
Alors que les élections législatives sont tout juste terminées, l’abstention fait beaucoup parler, en particulier celle des jeunes. Est-elle due à un désintérêt pour la politique ?
Jean-Luc Mélenchon a prononcé ces mots entre les deux tours :
Mais bouge-toi mon pote ! Bouge-toi un peu. Fais quelque chose à part pleurnicher ou rester à la maison à ne rien faire. Et les filles encore plus. Qu’est-ce que vous voulez, Le retour des réacs, c’est ça ? Bon alors, faites quelque chose. C’est nul de pas aller voter ! Voilà, c’est nul. C’est abandonner le monde à ceux qui ont du fric, c’est bête. Allez, allez, faut faire quelque chose[1].
Car face à une abstention juvénile en hausse, la première tête de la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (NUPES) est impuissante. Mais comment expliquer un tel dédain des urnes ? Et quelles solutions y apporter ?
Une hausse record de l’abstention en 2022
A gauche comme à l’ouest, rien de nouveau : le désintéressement de la jeunesse face à la politique, que certains expliquent par un manque de décisions prises en sa faveur et des promesses non tenues, n’est pas neuf, et se remarque depuis les années 1980. Passé relativement inaperçu au premier abord, cette abstention concerne principalement les générations les plus jeunes, entre 18 et 34 ans[2].
Graphique taux de participation lors du premier tour de la présidentielle et du premier tour des législatives, en fonction de l’âge.[3]
Mais si le dédain des scrutins n’est pas inédit, nous assistons depuis les premières études du vote blanc et de l’abstention à une hausse record du désintérêt des jeunes envers les élections, tout type confondu. Pour ce qui est du premier tour des élections législatives par exemple, près de 69% des 18 à 24 ans n’ont pas voté lors du premier tour et 71% ce dimanche[4]. Un score tristement record, qui n’a pas manqué de mettre en colère la plupart des entités politiques alors en campagne, comme Jean-Luc Mélenchon au micro de Quotidien, appelant les jeunes à arrêter de chouiner pour se bouger. “Bouge toi mon pote !” scandait-il.
Pourquoi un tel désintérêt ?
Comme aiment à le rappeler les médias à chaque résultat d’élection, l’abstention est bien (trop) souvent le premier parti de France, toute classe sociale et âge confondus. D’aucun réfléchissent alors à comptabiliser ces voix, pour assurer plus de représentation et enfin intégrer dans le vote ceux qui ne votent pas. Car là se trouve l’une des principales raisons de ce désistement politique : le besoin de représentation.
En 2012, l’Institut National de la Jeunesse et de l’Education Populaire (INJEP) publiait une étude sur l’abstention de la jeunesse, et y recensait plusieurs facteurs comme origine de l’abstention. Parmi ces facteurs, on trouve des raisons pratiques, comme l’oubli de se réinscrire sur les listes électorales, malgré l’inscription automatique dès l’âge de 18 ans générée par une loi de 1997. “Cette procédure n’a cependant pas d’effet permanent : lorsqu’il change de commune de résidence, un jeune électeur doit se réinscrire dans sa nouvelle circonscription”. Mais c’est véritablement l’absence de vote régulier qui est mis en lumière dans cette étude : la jeunesse ne se sentant pas concernée et représentée, elle ne se sent pas impliquée dans ce pour quoi elle vote, malgré un premier vote qui est souvent symbolique. Face à ce manque, et parallèlement ce besoin,d’insertion dans l’acte politique, l’abstention peut alors aussi devenir un outil politique : elle devient un acte de militantisme pur, symbole criard du refus des choix proposés.
Une raison commune aux propos tenus par les militants de l’association “Tous Élus”, dont l’une des portes paroles a expliqué dans les colonnes du Dauphiné qu’il “faut dézoomer” pour bien comprendre les mécanismes de l’abstention chez les plus jeunes, et ce qui les empêche de voter. “Les tranches d’âge jeunes ont de moins en moins le sentiment de faire partie de cette société, et cela se reflète sur le vote. Notamment parce qu’aujourd’hui, on a accès à un travail plus tard, on a des enfants plus tard, on paye des impôts plus tard… Et puis ces dernières années, on a eu affaire à une baisse des APL, à des aides insuffisantes pour les étudiants pendant la crise Covid, le RSA n’est toujours pas accepté en dessous de 25 ans. Tout cela creuse un fossé entre les politiques et les jeunes, qui n’ont plus le sentiment de faire partie d’un collectif. On comprend que les gens n’aient pas envie de se mobiliser lorsqu’ils n’ont pas l’impression que le vote aura un impact sur leur vie.”
Le manque d’insertion et de représentation serait donc l’enjeu principal de l’abstention chez les plus jeunes, et qui rappelle le besoin de s’inscrire dans un plus grand projet, mis en lumière par l’INJEP. Un enjeu qu’on retrouve dans les propos d’Enzo Pinaud, ex-candidat-suppléant NUPES de la 5ème circonscription et Jeune Militant pour La France Insoumise : “Les jeunes générations ont-elles abandonné les élections ou bien est-ce le système politique qui les a abandonnés ? 70% des 18-34 ans se sont abstenus de voter lors des dernières législatives. Il convient de constater que c’est d’abord les jeunes urbains, ayant un accès privilégié à l’éducation supérieure ainsi qu’aux réseaux, qui ont tendance à se mobiliser aux législatives. Plus la précarité gagne, plus l’État se retire des ruralités, et moins les jeunes votent. La construction culturelle très proéminente de l’homme providentiel, sur les épaules duquel reposerait l’avenir du pays tout entier, à la vie dure. N’ayant jamais été confronté à un appareil législatif véritablement acteur, ni de la vie démocratique, ni du changement politique, les jeunes générations préfèrent prioriser ce qui leur apparaît comme étant le plus porteur d’espoir : l’échéance présidentielle. De plus, la réforme constitutionnelle de 2000 instaurant le quinquennat, et fixant de fait les législatives à la suite des présidentielles, a favorisé très directement, par un effet de dynamique de mobilisation, le camp sortant victorieux de la présidentielle. Un tel agenda a acté de minorer la perception du Parlement ainsi que sa qualité de contre-pouvoir dans l’imaginaire collectif, en particulier de la jeunesse. Pourquoi donc se mobiliser aux élections législatives si elles ne sont vouées qu’à être le pâle reflet de l’élection présidentielle ? Le taux historique et monumental d’abstention chez les jeunes laisse entrevoir la faillite morale, culturelle et politique des institutions de la Vème République. Une abstention qui ne manquera pas de marquer une crise irrémédiable de la Vème.”
Les jeunes ne verraient ainsi pas l’intérêt du vote par scrutin[5]. Selon la sociologue Anne Muxel, directrice de recherche au CNRS et administratrice de la Fondation Jean-Jaurès, les jeunes se politisent autrement : selon l’enquête réalisée en ligne du 10 au 17 octobre 2018 par les Editions de l’Aube et la fondation Jean-Jaurès, les 18-30 ans ne sont pas dépolitisés et au contraire, s’engagent sur le terrain de manière plus active, descendant dans les rues, en manifestant. Génération de la crise économique, de la représentation politique mais aussi de la crise écologique, ils se méfient, n’ont plus confiance en la manière dont est dirigé le pays et du mode de scrutin[6].
A qui profite cette abstention ?
Tout bon sociologue saura prouver que les jeunes générations, encore sur les bancs de l’école ou fraîchement diplômés, ont un penchant pour la Gauche, âge à part. Mais force est de constater que les jeunes et les catégories “populaires” sont les moins touchés par les élections et le vote alors que ce sont les segments forts de l’électorat de Gauche[7]. On est alors en droit de se demander si l’abstention n’est pas un outil politique pour ceux qui ne votent pas, indiquant leur refus, mais aussi pour ceux qui ne veulent pas qu’ils votent : la Droite.
Antoine Bristielle, rédacteur pour la Fondation Jean Jaurès, se demande alors « À qui profite le crime ?”. Une question à laquelle on peut répondre que ce sont les partis les plus traditionnels, dont l’électorat est plus vieux, qui savent la chance que représente cette abstention : Jean-Luc Mélenchon, dont la victoire ne pouvait être assurée lors de la présidentielle et des législatives, que grâce au vote des jeunes, l’a bien compris. Tout comme le Rassemblement National, dont une partie de l’électorat se trouvait réparti entre les autres candidats plus modérés. De la même façon, ces candidats moins extrêmes, ont su user de l’abstention pour se démarquer.
Quelles solutions face à l’abstention ?
De plus en plus prise en compte, l’abstention soulève de nouvelles idées et devient un véritable moteur de mobilisations, semant des structures de plus en plus nombreuses pour la vaincre. En voici quelques exemples :
- Un groupe de jeunes habitants d’Aubervilliers se mobilisent contre l’abstention et en appelle aux habitants de la commune pour voter en leur distribuant une image de Marianne, rappelant que le “vote est un droit”[8] ;
- L’association Tous Élus, se mobilise depuis 2018 contre l’abstention tout au long de l’année avec pour objectif d’accompagner des gens à devenir candidats, à connaître les démarches pour s’inscrire ou voter/organiser des conférences autour du vote[9] ;
- L’initiative “Kids voting” aux Etats-Unis organise de fausses élections, avec de vrais candidats, pour sensibiliser au vote et son fonctionnement à l’école[10] ;
- Céline Braconnier (directrice de Sciences Po Saint-Germain-En-Laye) et Géraldine Bozec (de l’Université Côte d’Azur) proposent de réintroduire la politique dans l’éducation afin de permettre aux jeunes de développer leur sens moral et leur sentiment d’utilité en votant grâce à la compréhension du système politique[11] ;
Enfin, tous en appel aux politiques en place pour proposer plus de décisions pour la jeunesse : “Sans réforme démocratique majeure permettant de renouer un lien de confiance entre les représentants et les représentés qui pousserait à nouveau ces derniers vers l’isoloir, fort est à parier que la légitimité des décisions prises par des institutions récoltant un aval populaire aussi faible sera toujours davantage remise en question dans les années à venir” écrit Antoine Bristielle, de la Fondation jean Jaurès[12].
Pour aller plus loin :
Abstention : comment faire parler ceux qui se taisent : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-telephone-sonne/le-telephone-sonne-du-mercredi-15-juin-2022-1453101
L’abstention révolutionnaire ? https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-vif-de-l-histoire/13h54-le-vif-de-l-histoire-du-vendredi-15-avril-2022-5517124
[1] GQmagazine : Jean-Luc Mélenchon s’en prend aux jeunes
[2] Dauphiné : « Abstention chez les jeunes : « On ne convainc pas d’abstentionnistes dans l’entre-deux tours »
[3] Jean Jaurès, « Comprendre les logiques de l’abstention et leurs conséquences »
[4] France info, « Elections législatives 2022 : jeunes, ouvriers… Visualisez le profil des abstentionnistes du second tour »
[5] France culture, « A qui profite l’abstention? »
[6] 20 minutes, « les jeunes sont politisés autrement »
[7] Jean Jaurès, « comprendre les logiques de l’abstention et leurs conséquences »
[8] France bleu, “A Aubervilliers, des jeunes s’engagent contre l’abstention”
[11] Les Echos, « Abstention, comment faire voter les jeunes »
[12] Jean Jaurès, « comprendre les logiques de l’abstention et leurs conséquences »