Cela faisait dix mois que le procès des attentats du 13-Novembre était ouvert. Il s’est achevé dans la soirée du mercredi 29 juin 2022 avec le jugement de la cour d’assises spéciale de Paris. Combat raconte le 24 juin dernier, dernier jour réservé à la défense des accusés.
Les gens sont affairés sur l’île de la Cité. Ce vendredi, le Palais de Justice et ses alentours sont en ébullition. Avant de longer les murs de la Sainte-Chapelle pour entrer dans le bâtiment, il faut décliner son identité, ses intentions. « Bonjour, je viens assister au procès V13 ». Plusieurs personnes sont dans le même cas. Curieuses et curieux se massent, une file d’attente se forme dans la rangée « public ». Contraste avec les quelques quidams qui discutent par-delà le ruban de séparation, devant le panneau « convoqués ».
L’audience du 147ème jour de procès commence dans quelques minutes, à midi et demi. L’heure tourne mais le cortège ne maigrit pas. Koba, étudiante en Droit pénal et sciences criminelles à Assas sort sa salade de pâtes. « Ça fait quelques jours que je viens. J’espère qu’il n’y aura pas trop de monde à l’intérieur, qu’on va pouvoir entrer. Une avocate connue va plaider, ça va être intéressant. »
Treize heures. Sac dans la barquette, portique de détection, mains en l’air : ambiance aéroport. Comme en témoigne son dispositif de sécurité, le procès du 13-Novembre est unique. Près de 2 500 parties civiles et plus de 330 avocat·es ont défilé lors du plus long procès de l’histoire criminelle française d’après-guerre. Et puisqu’il s’agit de sentencier des faits de terrorisme, une cour d’assise spécialement composée a été mise sur pieds. Ce sont donc des magistrat·es qui jugent les crimes commis et non des juré·es populaires tiré·es au sort.
Pour cette occasion historique, une salle d’audience de 45 mètres sur 15 a été construite dans la salle des pas perdus du Palais de Justice. Seules les personnes munies d’une accréditation peuvent y entrer. Le public n’assiste au procès que par écran interposé, dans une salle de retransmission située au rez-de-chaussée.
Frustration
Aujourd’hui, les lieux sont pleins à craquer. Une centaine d’individus s’attardent dans le hall. La salle de retransmission, dont la capacité avoisine les cinquante places, est déjà remplie. Certain·es s’assoient au sol pour patienter ; ils et elles se font rappeler à l’ordre. D’autres pensent qu’une pièce a été ouverte à l’étage et gravissent les marches du Palais, sans succès. L’impatience est palpable. « J’aime pas les passe-droit mais, si j’avais su, j’aurais demandé une accréditation… » « Est-ce que les étudiants en droit peuvent aller là-bas ? » « Y’a que des journalistes dans la salle de retransmission ! » Il sera impossible d’assister à la plaidoirie.
Car nombreux veulent savoir comment Maître Ronen et Maître Vettes vont défendre leur client, Salah Abdeslam. Puisque, fait rare, le Parquet National Antiterroriste (PNAT) requiert à son encontre la perpétuité incompressible. Cette sanction, la plus lourde prévue par le code pénal, n’a jamais été appliquée pour des faits de terrorisme. Seules quatre personnes en ont fait l’objet depuis sa création en 1994 et ce pour des meurtres d’enfants précédés de viol, d’acte de torture ou de barbarie.
POINT JURIDIQUE : LA PERPÉTUITÉ
En droit français, les condamné·es peuvent écoper, en plus de leur peine, d’une période de sûreté. Durant cette période, il ne leur est pas possible de retrouver leur liberté. Ce n’est qu’à l’issue de celle-ci qu’ils et elles pourront demander, sous certaines conditions, un aménagement de peine.
Pour un jugement à perpétuité, cet intervalle varie entre 18 et 22 ans. Mais lors d’une condamnation à la perpétuité incompressible, la période de sûreté s’étend indéfiniment. Au bout de trente ans de prison, il est néanmoins possible de demander à un tribunal d’application des peines de réévaluer la situation. Une commission composée de cinq magistrat·es de la Cour de cassation statue après avoir consulté les victimes et s’être assurée que sa décision ne nuise pas à l’ordre public.
Sans cette possibilité d’aménagement, la France risquerait, à l’instar de certains de ses voisins européens, une condamnation de la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour « traitements dégradants ».
Parmi les vingt personnes jugées lors du procès des attentats qui ont entraîné 130 mort·es et plus de 400 blessé·es le 13 novembre 2015, Abdeslam est le seul à être accusé de « coauteur des meurtres et tentatives de meurtre » et « d’association de malfaiteurs terroriste ». Me Ronen explique au micro de France Info le 29 juin la logique du PNAT concernant le seul survivant du commando meurtrier : « La justice le condamne pour ce que les autres ont fait. Il aurait pu le faire et le parquet le condamne pour ça. » De fait, l’accusation a théorisé l’interchangeabilité entre les membres des différents commandos. Selon le PNAT, tous les membres appartiennent à la même cellule terroriste. Ainsi, même si le parquet sait que Abdeslam n’était pas au Bataclan et qu’il n’a pas tenu d’arme, l’instance considère qu’il aurait pu le faire. Pour l’avocate, « il a fait des choses pour lesquelles il doit être condamné, […] mais il faut aussi que la cour d’assises sache faire la part des choses et se dise que ce n’est pas parce qu’on est dans le dossier du 13 novembre 2015, qui a eu le retentissement qu’on connaît et qui nous émeut tous encore beaucoup, qu’on doit faire des montages juridiques qui ne méritent pas une peine comme celle-ci. » Cela soulève ainsi la question suivante : à quelle peine les auteurs auraient-ils été jugés s’ils avaient été attrapés ?

À l’inverse, les trois avocats généraux – Nicolas Braconnay, Nicolas Le Bris et Camille Hennetier – ont demandé à la mi-juin que des peines exemplaires soient prononcées. Lors du procès, ces derniers se sont attelés à représenter le peuple. Leur réquisitoire devait démontrer la culpabilité des accusés et requérir une peine adaptée tout en veillant aux intérêts généraux de la société. Selon eux, « l’idéologie mortifère » de Salah Abdeslam rend impossible toute chance de réinsertion. Il mérite donc la perpétuité incompressible, qui serait « la seule réponse sociale acceptable pour protéger la société. »
Un verdict prévisible
Après trois jours de délibération à huis-clos, la cour a rendu un verdict en accord avec la position des avocats généraux. Le 29 juin 2022 aux alentours de vingt heures, son président, Jean-Louis Périès, a reconnu tous les accusés coupables des chefs d’accusation qui leur étaient reprochés. Farid Kharkhach constitue l’exception : il est condamné pour association de malfaiteurs en vue de commettre des escroqueries et non dans un but terroriste. La peine maximale a été appliquée à Salah Abdeslam, la cour considérant que ce dernier appartenait à la cellule terroriste belge bien avant les attentats. Celui qui s’est présenté lors du premier jour d’audience comme « un combattant de l’État islamique » puis excusé quelques mois plus tard en « présentant ses condoléances et excuses à toutes les victimes » avait expliqué s’être abstenu de déclencher sa ceinture d’explosifs dans un bar du 18ème arrondissement de Paris « par humanité ». Les juges ont fini par estimer que son matériel « n’était pas en fonctionnement », remettant sérieusement en cause « ses déclarations quant à son renoncement ».
Si l’enjeu de ce procès était en partie de comprendre, il n’empêche que son dénouement fait appel à des considérations philosophiques plus larges. Comment rendre justice lors d’un procès si chargé historiquement ? Quel rôle joue l’opinion publique après un traumatisme tel que celui du 13 novembre 2015 ? Peut-on, en démocratie, considérer la réinsertion comme inenvisageable ? L’exceptionnelle publicisation du « V13 » pourrait permettre de tirer les fils de nouvelles pistes de réflexion afin d’éclaircir ce moment gravé pour longtemps dans la mémoire collective.
Par Elena Vedere