La Bible de l’assassin (3)

Chaque vendredi, une fiction ou un bout d’histoire…

Le miroir

Comme je n’avais nulle part où dormir, je profitais de Philastère et de sa chambre d’ami. Tout en comptant bien m’éclipser avant qu’il ne se réveille. Je dormais là comme un assassin. Avec le sang d’une fille à se pendre, entre les mains, ses cheveux. Comme je n’arrivais pas à dormir, je fouillais la chambre pour voir ce que je pourrai voler avant de me carapater. Rien d’intéressant, une vieille odeur de peinture à l’huile trainait dans l’air. J’ouvris l’armoire, et une dizaine de tableau s’écroulèrent. Je tendis l’oreille pour m’assurer que cela ne les avait pas réveillés, lui et le pauvre homme qu’il a ramené dans son lit au cours de la soirée. Après bien cinq minutes suspendu à une explication bidon, je regardai dans l’armoire. Rien, à part un grand trench noir, je l’attrapais et le revêtit. Il m’allait à la perfection, ce qui m’étonnait car Philastère était un gringalet par rapport à moi. Ce trench devait appartenir à une de ses conquêtes d’un soir. Mon ombre, dans le miroir, ressemblait à ce que j’avais été, subtilement mélangé à ce que j’allais devenir. Un assassin de sang-froid, un tueur en série, un psychopathe, selon les médias qui ne comprennent rien, ils ne comprennent pas. Ils n’ont jamais su ce que cela était d’être tatoué sur mon cœur rabougri. J’allumai tout ce qui me restait d’elle. Mon rendez-vous avec ma came. Mon rendez-vous d’assassin, poète. J’aurais voulu lui parler, lui crier ma haine, ma rage intérieure, mon amour pour elle. J’aurais voulu lui crier, avant qu’elle tourne le dos, tu crois vraiment que c’est possible ? Un faible, elle me traitait de faible en rigolant. Je ne suis pas un faible. Pourtant, tu me le prouves là tout de suite, quand tu bedaves solo ou que tu finis ta bouteille tout seul. Oui, tu sais quoi ? Je suis un faible, je suis un faible oui je te le dis maintenant mais je passe ma vie à me battre à cause d’elle. A cause de toi. Dans un élan de rage, j’abats mon poing sur le miroir, encore et encore jusqu’à ce que Philastère, averti par le bruit, n’arrive affolé, torse nu et les cheveux déformés pour me tirer en arrière et me flanquer une gifle qui m’envoya valser sur le lit, d’une étonnante force que n’allait pas avec son physique gringalet :

  • SALE ABRUTI ! TU SAIS COMBIEN Il MA COÛTE CE MIROIR ?
  • Désolé putain je suis désolé, je pisse le sang du nez !
  • … Et des mains, débile, suis-moi. Qu’est-ce qui t’a pris ?
  • Quoi ?
  • Cette nuit ?

Je lui jetai un regard noir qui en disait long. Comment communiquer avec quelqu’un qui n’aime que pour une seule nuit sous alcool et ecstasy ? Au lieu de ça, j’avalai d’une traite ma bière.

  • Tu ne devrais pas boire de la bière au petit matin. J’ai du café si tu veux.
  • De quoi je me mêle ? Tu l’as eu ou ton trench ?
  • Un homme en manque d’amour venu noyer sa peine dans le gin, un ouvrier robotique licencié. Tu sais ? Cette déontologie de l’activité ouvrière imposée. France de merde, jura Phil.
  • Tu me le donnes ?
  • Non.
  • Pourquoi ?
  • Tu ne mérites rien des autres, tu es un art à toi tout seul, déclara-t-il en se resservant du café.
  • Je veux un trench.
  • Apprends d’abord à être un vrai meurtrier.
  • Quoi ? Je ne suis pas un meurtrier.
  • Tu parles dans ton sommeil.
  • Pardon ? Putain t’es flippant !
  • Là n’est pas la question. Tu n’es qu’une ébauche de toi-même. Tu es un troubadour fou, apprends déjà à te former. J’ai rencontré beaucoup d’assassins, tu sais. Je sais comment ça se passe. Pour le moment, tu frises la crise du fantasme tueur. Jeune Padawan.
  • Ta gueule. Où je peux trouver un trench ?
  • Arrête, tu es ridicule. Laisse-moi t’apprendre.

Il m’a poussé à bout, je partis en claquant la porte. La lumière du matin m’éblouit. Je n’avais pas repris mes affaires, tout ce que j’avais était ma musique.

Je suis perdu dans ma rage. Ma colère noire. Tellement noire. Comme mes sentiments. L’usure de mes sentiments. Quelle imbécilité. A se demander qui s’en soucie ? Chacun cherche l’orgasme personnel, sans faire attention à ceux qui se pissent dessus. Je me souviens. Petit et innocent, avant même de devenir un enfant, j’étais destiné à aimer, pas à tuer, alcoolique, brutal, mauvais. Dans une irréversibilité sans fin. Dans ce cercle vicieux de la haine. Elle était magnifique, d’une beauté innocente à mes yeux et d’un sexy exaltant aux yeux des autres. Anorexie précoce, toxico bien trop tôt, adulte sans rien demander. Mes lèvres à peine cicatrisées se remirent à saigner. Rêve et désillusion. Une révélation de ma faiblesse, venue au monde pour me pousser à tuer. A voler des vies à coups de couteau. Sans scrupule. J’ai perdu mon humanité. On m’a retiré mon humanité, on me l’a arrachée de toutes forces. Qui s’en soucieront ? Sûrement pas les connards qui m’avaient élevé dans le mépris.

Elle nous tombe dessus sans prévenir. Moi et ma recherche vaine de comprendre. Comment décrire avec des mots ce qui ne peut être décrit ? Alors j’augmente le volume et je tombe de la vie. Mais au fond, le cri, il reste, il résonne en continu.

Sous le soleil de midi, je m’allume une nouvelle cigarette. Mon regard vague perdu dans la foule grouillante de fourberie et de rêves déchus. Moi aussi, j’ai décidé de mettre mon bonheur au fond d’un trou. Mais jamais je ne me plierais à ce bonheur faux dont les gens s’habillent. Entre deux bouffées, je repérai une jeune fille. Ma clope nerveuse resta suspendue entre mes doigts, à la frontière de mes lèvres abimées par le manque d’amour. Une force jaillit de mon corps, j’écrasai ma cigarette entre mes doigts. Sans ressentir la chaleur. Une pulsion me poussa à la suivre. Toujours. Je ne pouvais plus me détacher d’elle. Elle lui ressemble, ses cheveux bruns et souples, son nez, ses yeux noirs, sa bouche… Elle lui ressemble trop, beaucoup trop. Poussé par un mal nécessaire. Une mauvaise volonté de tuer la bête en moi, qui se cache au fond de moi. Elle m’attire dans une pulsion démoniaque. Une ruelle quittant la foule respirante. Des yeux affolés et interrogeant la cruauté d’un Homme. Un corps blanc dans des bras sombre, un ange de plus abattu par le mal. Ne pleure pas. Ne pleure pas pour ce que tu es. Pour ce que tu as fait. Est-ce grave ? J’ai craqué de ce crime passionnel. Le sang entre les mains poisseuses de ma tête. Le bourdonnement incessant de la folie dans mes oreilles. Je l’observe un peu. Le corps encore chaud, la vie coulante. La main tremblante, j’allume cette cigarette aux odeurs piquantes. De toute façon, c’est fait.

            J’avais fait ce choix de faire les mauvais choix. Voilà.

Dessin de Héloïse Braisaz

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