Deux protecteurs de l’Amazonie assassinés : le « journalisme vert » en danger

Une fois par semaine, Combat décrypte le sujet que VOUS avez choisi. Cette fois-ci, vous avez choisi celui sur la disparition en Amazonie.

Portés disparus début juin dans le cadre d’une enquête sur les atteintes écologiques à l’Amazonie, Dom Phillips et Bruno Pereira, ont été retrouvés morts une dizaine de jours plus tard. Décryptage de cette affaire, devenue symbole du danger que représente ce type d’investigation.

Un ciel trouble et un climat lourd ; l’humidité est totale. L’eau coule dans ses lits et sur quelques joues. L’Amazonie pleure deux de ses défenseurs. Dom Phillips, un journaliste britannique indépendant et épris du Brésil, et Bruno Pereira, fixeur et expert brésilien des populations autochtones, respectivement âgés de 57 et 41 ans, ont été retrouvés assassinés le 15 juin, le corps criblé de balles. 

Ils avaient été aperçus pour la dernière fois le 5 juin, naviguant en direction de la ville d’Atalai do Norte (Amazonas). M. Phillips enquêtait dans la vallée de Javari, située à l’extrême-ouest du Brésil et à quelques kilomètres de la frontière péruvienne, sur les atteintes écologiques. Au cœur de l’Amazonie, ce territoire parmi les plus isolés et difficiles d’accès du pays est le témoin d’intenses activités de braconnage, de trafics de bois et de drogue et d’orpaillage illégal. 

Une disparition en eaux troubles

Alors qu’il réalisait un reportage au cœur de cette forêt brésilienne pour terminer la rédaction de son nouveau livre Comment sauver l’Amazonie, le reporter Dom Phillips s’évanouit dans la nature avec Bruno Pereira. Leurs familles respectives donnent ensuite rapidement l’alerte, quelques jours plus tard.

Le dénouement de cette affaire débute le 12 juin, avec la découverte d’effets personnels appartenant aux deux disparus dans une zone marécageuse. Le lendemain, Alessandra Sampaio, l’épouse du reporter britannique, annonce que des corps encore non-identifiés ont été retrouvés. Des suspects sont très vites arrêtés : deux pêcheurs illégaux qui reconnaissent le 14 juin le meurtre des défenseurs de l’Amazonie. Amarildo da Costa de Oliveira, surnommé « Pelado », et son frère Oseney da Costa de Oliveira, dit « Dos Santos », auraient tué par balles MM. Philipps et Pereira avant de les enterrer. Un « crime politique » pour l’Union des peuples indigènes de la vallée de Javari (Univaja), dont des membres ont contribué aux recherches.

Considérée comme l’un des territoires les plus reculés du Brésil, la vallée de Javari abrite quelque 6 300 individus de 26 groupes ethniques, d’après l’ONG Instituto Socioambiental. Faisant l’objet de nombreuses convoitises, cette zone est difficilement préservée par la Fondation nationale de l’Indien (Funai), une institution publique dont les moyens ont été diminués au fil des années, en particulier sous la présidence Bolsonaro. 

Journaliste écologique au Brésil : un métier à haut risque

Si cette affaire agite le Brésil depuis son commencement, entraînant la mobilisation des populations autochtones comme de la police et des juges locaux, elle n’est pas un cas isolé. D’après le rapport « Résoudre les failles » sur le journalisme en Amérique latine publié cette année par Reporters sans frontières (RSF), la dernière décennie a vu au moins trente journalistes se faire assassiner au Brésil. Ce pays occupe ainsi la deuxième place des pays les plus meurtriers pour cette profession. « Les blogueurs, les animateurs radio et les journalistes indépendants travaillant dans des petites et moyennes municipalités, et couvrant la corruption et la politique locale, sont les plus vulnérables. Le harcèlement et la violence en ligne contre les journalistes, notamment contre les femmes, ne cessent de croître », est-il précisé. 

Cette situation, dramatique s’il en est, n’est pas allée en s’améliorant avec l’élection du président d’extrême-droite Jair Bolsonaro. « [Il] attaque régulièrement journalistes et médias dans ses discours », note RSF dans son classement 2022 sur la liberté de la presse. L’ONG rapporte aussi « [l]a violence structurelle contre les journalistes, un paysage médiatique marqué par une forte concentration privée et le poids de la désinformation constituent des défis importants pour faire avancer la liberté de la presse dans le pays ». Résultat : le pays est à la 110e place sur… 180.

Crédits : Bruno Kelly, Amazonia Real (Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0))

Et si les journalistes environnementaux sont les plus touchés au Brésil, c’est parce que les défenseurs de l’environnement sont les plus à même d’y être assassinés. En 2017, une consœur de Reporterre rapportait qu’au cours de l’année 2015 un défenseur de l’environnement était tué chaque semaine dans ce pays. Pour Jurema Werneck, directrice exécutive d’Amnesty International Brésil, « [c’est] l’un des pays les plus meurtriers au monde pour les personnes qui défendent les droits humains et celles qui défendent l’environnement. Cette réalité est la conséquence d’une politique qui encourage les attaques contre la législation environnementale, démantèle les organismes chargés de la promotion et de la protection des droits des populations autochtones et incrimine les mouvements sociaux et les organisations communautaires ». Des difficultés que le journalisme vert rencontre également dans d’autres régions du globe.

« Les journalistes environnementaux sont de plus en plus menacés »

A l’échelle mondiale, statistiquement, le constat est alarmant. Cela va des menaces et du harcèlement jusqu’aux atteintes à l’intégrité physique, qui mènent parfois à des assassinats, en passant par des interpellations et des gardes-à-vue. Lors de la dernière décennie, d’après Reporters sans frontières (RSF), au moins 21 journalistes écologiques ont été assassinés en raison de leur travail sur « l’extraction minière illégale, la déforestation ou encore l’accaparement de terres et la pollution industrielle ». Toujours d’après RSF, deux tiers des attaques commises ont été recensées en Asie et en Amérique. Mais cela touche également d’autres régions du monde. En France, par exemple, Alexandre-Reza Kokabi, journaliste chez Reporterre, a été placé en garde-à-vue après avoir couvert une action d’Extinction Rebellion à l’aéroport d’Orly en 2020 et condamné pour cela un an plus tard à une amende. « Depuis 2015, expose avec amertume Pauline Adès-Mével, rédactrice en chef de RSF, une tendance se confirme : les journalistes environnementaux sont de plus en plus menacés. »

Ce constat a motivé l’appel « Urgence climatique, urgence informationnelle ! » lancé à l’initiative de RSF le 29 octobre 2021, à la veille de la COP 26 de Glasgow. Il a été signé par plus de 60 journalistes de 34 nationalités différentes, dont la co-lauréate de l’édition 2020 du prestigieux Prix Pulitzer, Gaëlle Borgia, et par la rédaction de Reporterre, « le quotidien de l’écologie ». « Il est urgent, expliquent-ils, que les États prennent en compte le rôle joué par la presse dans la défense de l’environnement et la lutte contre le changement climatique. […] Correctement informées, les populations peuvent aussi mieux lutter contre cette menace climatique inédite dans l’histoire de l’humanité. Et les gouvernements prendre leurs responsabilités. » 

« Les thématiques environnementales sont sans doute celles qui exposent le plus au danger, souligne Pauline Adès-Mével. Car ce sont des questions qui dérangent les puissants et des groupes industriels. On demande une mise en œuvre concrète du droit international de protection des journalistes. » Et d’achever : « Nous réfléchissons à la création d’un consortium de journalistes environnementaux. »

Par Marius Matty et Mathilde Trocellier 

Image à la une : Crédits : EPA

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