Raphaël Lardeux : « Plus un individu est aisé, moins il est sensible aux inégalités »

Economiste au sein du Bureau redistribution et évaluation de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), un organisme gouvernemental sous la tutelle des ministères sociaux et de Bercy, il a publié en juin une étude intitulée L’opinion des Français sur les inégalités reflète-t-elle leur position sur l’échelle des revenus ?. Combat l’a rencontré.

Sur l’échelle des revenus, comment les Français s’autopositionnent-ils ?

Ils se perçoivent correctement, en moyenne, lorsque l’on compare la position à laquelle ils déclarent appartenir avec leur position effective [NDLR : par exemple, quand une personne déclare appartenir au 3e décile de revenus – les 30% les plus pauvres – et que, quand elle fait état de ses revenus, on constate qu’elle appartient bien à cette tranche]. En revanche, les plus modestes ont plutôt tendance à surestimer leur position, à donner une position perçue supérieure à leur position effective. Quand les plus aisés, généralement, la sous-estiment.

Le jugement de la population française sur les inégalités est-il lié à la place qu’ils occupent dans l’échelle des revenus ?

Oui. Plus un individu est positionné dans la partie haute de l’échelle des revenus, plus il va trouver que la société est juste ; moins il va être sensible aux inégalités, moins il va être favorable à un système de protection sociale et de redistribution. Cependant, ce n’est pas le plus frappant ! Ce qui nous a marqué, c’est le rôle déterminant de la position perçue par rapport à la position effective [NDLR : les effets susmentionnés sont accrus quand une personne se pense plus riche qu’elle ne l’est].

Vous analysez aussi les liens avec la croyance dans le « mérite individuel » pour « réussir dans la vie »…

En effet. Tous les deux ans, nous posons dans notre Baromètre d’opinion la question suivante : « Selon vous, pour réussir en France, qu’est-ce qui est le plus important : le mérite individuel, le hasard des circonstances ou le milieu social de naissance ? » Les individus qui occupent une position haute dans l’échelle de revenu ou ceux qui pensent se situer dans la partie supérieure ont plus souvent tendance à penser que la réussite sociale provient du mérite individuel.

Qu’en est-il de leur opinion sur l’intervention de l’Etat en matière socio-économique et sur le système de protection sociale ?

Dans ce cas précis, ce n’est pas la position perçue qui est déterminante, mais bien la position effective. Ceux qui sont objectivement positionnés parmi les plus aisés sont moins favorables à l’intervention de l’Etat et à la protection sociale.

On apprend également qu’une personne qui s’estime plus riche que ce qu’elle n’est vraiment, quand on compare avec une personne dans le même décile, a tendance à considérer le niveau de revenus à partir duquel on est riche comme moins élevé…

Tout à fait. Prenons, à titre d’illustration, deux personnes qui gagnent 1000€ et dont une surestime sa position dans l’échelle de revenus. Schématisons : elle peut penser que peu de personnes sont plus riches qu’elle et donc qu’on est riche à partir de revenus légèrement supérieurs à 1000€, alors que celle qui se positionne correctement va penser que beaucoup de personnes sont plus riches qu’elle et donc que cette situation s’observe à partir d’un seuil de revenus nettement plus élevé.

Par ailleurs, dans votre étude, vous avez également travaillé à partir d’un « indicateur d’inégalités légitimes ». Qu’est-ce que c’est ?  

Il faut d’abord dire que je les ai empruntés à d’autres auteurs, M. Andre E. Clark et Mme Conchita D’Ambrosio. Cet outil consiste à interroger les gens sur l’étendue de la réduction des inégalités qu’ils souhaitent. Pour que ça ne soit pas trop abstrait, on part de quatre professions : d’une part, médecin généraliste et ouvrier non-qualifié en usine et, d’autre part, PDG d’une « grande société française » et enseignant à l’école primaire. On leur demande d’estimer à la fois leur revenu moyen réel et leur revenu moyen qu’ils devraient percevoir. Ainsi, en comparant ces deux réponses, il est possible d’établir le niveau d’inégalités considérées comme légitimes.

Quels sont les résultats ?

Plus de 70% des personnes qui ont répondu à l’enquête souhaitent réduire les écarts de rémunération. Dans le cas de figure des PDG comparés aux enseignants, 10% des répondants pensent qu’il faut diviser l’écart de rémunération par dix. A titre d’illustration, s’il est estimé qu’un PDG gagne quarante fois plus qu’un enseignant primaire, alors il devrait gagner seulement quatre fois plus.

De quelle manière les préférences des citoyens vis-à-vis de la redistribution peuvent-elles évoluer ?

Des travaux internationaux montrent que si l’on informe des personnes modestes qui estiment être plus riches qu’elles ne le sont vraiment sur leur véritable position, leur soutien à des politiques sociales va croître significativement. Pour les personnes plus aisées, au contraire, si on les renseigne de la même manière elles vont être moins enclines à soutenir ce type de politiques.

Propos recueillis par Marius Matty

Portrait de Raphaël Lardeux (DR)
Raphaël Lardeux (DR)

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