Quelques jours avant la remise du rapport Braun sur les urgences hospitalières, un rassemblement, qui a réuni environ 100 personnes, s’est tenu à l’appel de plusieurs syndicats devant les anciens locaux ministériels d’Olivier Véran. Combat y était.
Aux premières heures de l’après-midi, une semaine après l’équinoxe d’été, une petite foule se masse aux abords d’un imposant bâtiment à la façade vitrée, à quelques encablures du Champ-de-Mars et des Invalides. Ce 28 juin, les quatre syndicats de la psychiatrie publique (USP, IDEPP, SPH et SPEP)[1] se rassemblent devant le ministère chargé de la santé afin de ponctuer une journée d’action et de grève. « Jamais dans son histoire, depuis la libération (sic), la psychiatrie n’a connu un tel danger : l’effondrement est proche », alertaient-ils le 10 juin dans un communiqué de presse pour appeler à la mobilisation de ce jour. Leur mot d’ordre : la nécessité d’un soutien massif à leur discipline.
« Tant que le gouvernement n’est pas sous une pression générale, pas seulement des psychiatres, il n’y a aucune confiance à avoir », soutient Reine Cohen, psychiatre de 65 ans, longtemps dans le public, aujourd’hui à l’Association santé mentale Paris 13. Le ton, qui monte, est donné. A l’intersection de l’avenue de Ségur, de la rue d’Estrée et de l’avenue Duquesne, sur la place Pierre Laroque, un des haut-fonctionnaires fondateurs de la Sécurité sociale, toutes les personnes interrogées partagent ce constat marqué du sceau du doute.
La psychiatrie en péril
Il y a aussi urgence à agir, selon ces professionnels du soin psychique, psychiatres pour une large part d’entre eux. Et, estiment-ils, à l’ombre de quatre platanes touffus et sous une chaleur encore supportable, le Gouvernement ne semble pas en prendre la mesure. « La psychiatrie publique est oubliée », s’alarme ainsi Marie-José Cortès, présidente du SPH, masquée – à l’heure où l’épidémie reprend –, de multiples bracelets aux poignets, un médaillon doré autour du cou et des cheveux noirs attachés. « Si elle n’est pas soutenue très rapidement, il est possible que nous ne puissions plus offrir à nos concitoyens un accès égalitaire et de qualité aux soins. » Un soutien, faut-il entendre, avant tout matériel, budgétaire et, en définitive, humain.
Quelques mètres plus loin, l’on surprend une conversation d’une teneur similaire entre Esther et Margaux Guillotte, psychiatres dans une unité fermée, à l’hôpital parisien Henri Ey. Leur visage est estival, épousé de lunettes de soleil. Mais leur cœur est hivernal. « On a de plus en plus de patients difficiles, de plus en plus de personnes migrantes en situation de précarité extrême qui résistent aux traitements », observe, un brin de tristesse dans la voix, Mme Guillotte. En outre, la mise en place récente d’un contrôle judiciaire des mesures d’isolement et de contention n’est pas sans susciter des remous. Le grief : non pas l’encadrement en soi, mais sa mise en œuvre dans sa forme actuelle, jugée singulièrement chronophage. Un autre psychiatre, anonyme, se joint à la discussion et assure : « Au SPEP, on a calculé que cela faisait en moyenne 275 certificats médico-légaux par médecin par an ! »

Ce à quoi s’ajoutent les dégâts psychiques provoqués par la crise sanitaire. Derrière ces deux femmes, une grande silhouette se détache. C’est Michel Triantafyllou, président du SPEP, dont la taille tutoie le mètre quatre-vingt-dix. Derrière son masque et ses carreaux fumés, celui qui est aussi chef de pôle au sein du Groupe hospitalier universitaire (GHU) Paris Psychiatrie & Neurosciences souffle : « Avec le Covid, la demande des jeunes a augmenté, alors qu’on a de moins en moins de moyens. »
Plusieurs des manifestants ont par ailleurs évoqué une « perte d’attractivité » de leur discipline. Une observation que partage le Conseil économique, social et environnemental qui envisage de l’expliquer par « la faiblesse des moyens de la psychiatrie de secteur ou encore les difficultés pour un ou une jeune de s’installer en libéral ». Depuis le début des années 2010, en effet, la psychiatrie est devenue une spécialité peu à peu à délaissée dans le choix des spécialités de l’internat. En 2020-2021, elle occupait la 41e place sur… 44. Ce déficit d’attractivité, s’il n’en cause pas déjà, est susceptible de provoquer à l’avenir de graves difficultés de démographie médicale. M. Triantafyllou, réajustant son épaisse moustache après avoir baissé son masque, affirme avec gravité : « 30% des postes de psychiatres praticiens-hospitaliers [PH] sont vacants. »
Surdité gouvernementale ?
Pourtant, le Président de la République lui-même avait supervisé l’organisation des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie en septembre 2021 destinées à répondre à la crise structurelle du secteur psychiatrique. Des mesures qui souffrent de carences caractérisées, entend-on souvent lors de ce rassemblement, sous le vrombissement des quelques voitures et le regard neutre de deux camions de la Police nationale stationnés sur le trottoir d’en face.
« Les propositions sont loin d’avoir été suffisantes », regrette Delphine Glachant, psychiatre et présidente de l’USP, cheveux châtains et courts et petites lunettes circulaires sur le nez, alors qu’un discours au mégaphone résonne. Un drapeau de son organisation – sans doute la plus radicale des quatre – à la main, elle poursuit : « Il était en particulier question d’ouvrir 800 postes dans les Centres médico-psychologiques [CMP]. » Problème : le ministère lui-même dénombre 2550 de structures de ce type. Un calcul rapide suffit à appréhender la faiblesse du ratio. D’ailleurs, en octobre 2021, treize organisations professionnelles du soin psychique pointaient, à propos de ces assises organisées et conclues par le chef de l’Etat, « un beau discours présidentiel qui laisse pourtant des problèmes majeurs sans réponse ».

Un des objectifs de cette journée d’action et de grève : porter des revendications qui, pour les signataires, n’ont toujours pas trouvé de véritable écho au sein de la Macronie. En janvier 2022, douze organisations professionnelles du soin psychique, dont les quatre syndicats, réagissaient avec amertume au discours d’Olivier Véran au Congrès de l’Encéphale, un rassemblement annuel d’une partie de la communauté psychiatrique : « Manifestement, la mesure de l’urgence et de la gravité de la situation de crise que connaît la psychiatrie publique dans notre pays est loin d’être prise en compte ». « Nous voulons refonder une psychiatrie humaniste, qui repose sur le secteur, expose Mme Glachant. Il faut une embauche de personnel, des revalorisations de salaires pour les médecins et les infirmiers, un budget plus grand pour la formation et arrêter la fermeture de lits. »
« Il faudra continuer les grèves et les rassemblements »
L’heure tourne, l’impatience des manifestants monte. Quatre représentants des syndicats doivent être incessamment reçus par des membres du cabinet de celle qui était alors Ministre de la santé et de la prévention, Brigitte Bourguignon, des hauts-fonctionnaires de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et un membre de la Commission nationale de psychiatrie. Soudain, un homme en costume, assez fort, lunettes et cheveux blancs passe entre les deux camions de la Police nationale. Les émissaires sont attendus.
Et, alors que la foule se fait moins dense, le temps passe. Après deux heures de discussions, les mandataires reviennent, sans réponse, juste de l’écoute. « Si le constat des difficultés était partagé, aucune réponse de la part du ministère et de la DGOS ne nous a été apportée sous-estimant ainsi l’intensité des difficultés et l’urgence à agir », ont conclu les syndicats dans un communiqué de presse commun. Une réponse au goût âpre, tandis que les quatre organisations revendiquent 60% de grévistes parmi les psychiatres publics et que « Le Quotidien du médecin » estime ce taux entre 30% et 50%.
« Peut-être qu’on sera plus écouté avec la nouvelle Assemblée nationale [NDLR : la majorité présidentielle n’a obtenu qu’une majorité relative lors des dernières législatives] », songe Allison, 33 ans, assistante sociale au GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences. Cette femme, gilet blanc et violet « Solidaires Sud santé sociaux » sur les épaules, lunettes rectangulaires sur le visage et casquette bleu marine « Puma » sur la tête, reprend avec une voix d’une rare assurance : « Quoi qu’il en soit, il faudra continuer les grèves et les rassemblements. » Delphine Glachant ne dit pas autre chose : « Rendez-vous le 15 septembre ! On organisera une manifestation de tous les personnels de psychiatrie et les psychologues, qui sont aussi très mal traités en ce moment. » Et de conclure avec un sourire conquérant : « Il faut qu’on se mette tous ensemble pour défendre une vraie qualité du soin psychique. »
Par Marius Matty et Mathilde Trocellier
[1] L’Union syndicale de la psychiatrie (USP), l’Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique (IDEPP), le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH) et le Syndicat des psychiatres d’exercice public (SPEP).
