Christian Baptiste et Valérie Hugues : « Un plan Marshall contre les sargasses »

La prolifération de ces algues brunes depuis 2011 perturbe la vie des Antilles, singulièrement en ce mois de juillet. Entretien exclusif avec le député de Guadeloupe (Parti progressiste démocratique guadeloupéen, gauche) et désormais ex-maire de Sainte-Anne, ainsi que l’élue à l’aménagement urbain du littoral de cette même commune, à propos d’une future interpellation publique du Gouvernement.

Vous allez rédiger une question écrite au gouvernement sur l’échouage des algues sargasses sur les côtes de la Guadeloupe. Pourquoi ?

Christian Baptiste (C.B.) : Nous sommes actuellement en pleine période d’invasion massive des algues sargasses. Il faut dire aussi que cela intervient à un moment où Patrick Karam, un élu francilien [Les Républicains] originaire de Guadeloupe qui a passé quelques jours à Sainte-Anne, m’a interpellé ainsi que le Gouvernement sur le sujet. Ce problème se pose depuis 2011. Toutefois, auparavant, des algues échouaient sur les plages de façon récurrente, mais sans que cela soit intensif.

Quels problèmes cet échouage cause-t-il ?

Valérie Hugues (V.H.) : Lorsque les algues s’accumulent sur le littoral, elles entrent en état de putréfaction. Elles dégagent alors du sulfure d’hydrogène, qui a une odeur similaire à celle de l’œuf pourri, et de l’ammoniac. L’ARS et la DEAL contrôlent quotidiennement les concentrations de ces gaz dans l’air [NDLR : respectivement « Agence régionale de santé » et « Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement », des services de l’Etat]. La préfecture nous alerte en cas de dépassement des seuils. Car cela peut être toxique, notamment pour les femmes enceintes. A Sainte-Anne, nous avons aussi été obligés il y a quatre ans de fermer un collège pendant le brevet ainsi qu’une crèche et une école maternelle d’une capacité respective de 60 et 200 enfants.

Que se passe-t-il en cas d’alertes ?

V.H. : La cellule PULSAR [NDLR : Plan d’urgence local sargasses] nous informe du dépassement des seuils. Puis les autorités préfectorales nous donnent 48 heures pour retirer les algues. On parvient généralement à le faire à la tractopelle. Mais il reste parfois un plateau jusqu’au large, pouvant mesurer près de 100 mètres de long. Et il faut dire que le littoral de Sainte-Anne fait plus de 12 kilomètres de long !

Pourquoi la question des algues sargasses se pose-t-elle de manière aiguë depuis 2011 ?

V.H. : C’est une espèce endémique à l’océan Atlantique. Leur prolifération est essentiellement liée au réchauffement climatique et à l’acidification des océans. Leur échouage plus fréquent sur les côtes est aussi favorisé par la modification des courants marins, qui s’accélère avec le changement global. Ces algues se nourrissent également des nutriments issus de la déforestation qui se diffusent avec les fleuves Congo et Amazone. Elles se démultiplient au large du premier, voguent vers l’Atlantique sud et passent près du second, tout en « bénéficiant » des engrais agricoles déversés dans l’eau. Enfin, les courants marins et les alizés les conduisent jusque dans les Caraïbes, les font passer par les Antilles et les mènent au terme de leur voyage dans le golfe du Mexique. Par ailleurs, on a aperçu grâce à des images satellites des masses d’algues sargasses de plus de 20 kilomètres de long !

Les difficultés ne sont-elles que d’ordre sanitaire ?

V.H. : Non. Il y a aussi des conséquences environnementales sur la faune et la flore [NDLR : dans l’eau, elles peuvent étouffer la vie marine et sur terre, leur retrait au moyen de pelles mécaniques perturbe la biodiversité des plages]. Cela est également susceptible de bouleverser l’économie locale, et donc le tourisme, puisqu’il arrive que des restaurateurs, des commerçants et des responsables de gîtes cessent temporairement leur activité. J’ajoute qu’à plusieurs reprises les liaisons maritimes entre le « continent » et La Désirade ont été coupées pendant quelques jours [NDLR : la compagnie maritime a fait ce choix pour préserver la coque de ses embarcations].

Carte de la Guadeloupe (crédits : Globe Trotting)

Que fait l’Etat ?

V.H. : En 2018, le « Plan Sargasses I » est paru, puis un second a pris sa place cette année [NDLR : jusqu’en 2025]. Il va permettre, en plus de l’investissement dans des tractopelles et des tapis collecteurs, l’installation de barrages déviants pour le dernier trimestre 2022. Mais il y a un problème : c’est un plan national qui ne tient pas compte du local. La Direction de la mer [NDLR : service déconcentré de l’Etat dédié aux politiques publiques maritimes] étudie point par point sans faire d’analyse globale à cause de la législation en vigueur. Tant qu’on n’a pas d’avis favorable de sa part, on ne peut pas débuter les travaux. Le Gouvernement n’a pas prévu de simplification administrative.

Que reprochez-vous aux autorités de l’Etat ?

V.H. : L’Etat ne veut pas entendre que ce ne sont pas les Guadeloupéens qui produisent les sargasses. On nous dit qu’en Bretagne, face aux algues vertes, ce sont les EPCI qui gèrent [NDLR : établissements publics de coopération intercommunale dits « intercommunalités]. Or dans cette région, c’est l’agro-industrie qui est la responsable.  La prolifération des sargasses est quant à elle un phénomène mondial. Elle vient des modes de consommation et production industriels des pays riches et des nations émergentes, mais également du changement climatique et de ses conséquences. Et on nous demande de payer avec un syndicat mixte unique ! L’Etat veut aussi mettre en place une taxe sur le tourisme… Nous ne sommes pas responsables ! Il faut une solidarité nationale et internationale.

C.B. : Nous regrettons leur abandon. Il n’y a pas de véritable plan de solidarité. Certes, on est accompagné ; on l’a vu avec les deux plans successifs. Mais il n’y a pas d’organisation structurelle qui montre une profonde implication de l’Etat. D’une part, nous demandons un « plan Marshall » avec un fonds dédié à la lutte contre les sargasses. D’autre part, nous souhaitons créer un syndicat mixte ouvert (SMO) [NDLR : une structure pouvant associer des collectivités territoriales entre elles et avec des établissements publics qui permet d’exercer en commun des compétences] comprenant les collectivités locales concernées, mais aussi et surtout l’Etat qui participerait au moins à hauteur de 50%. Alors qu’il contribue aujourd’hui au moyen de la Dotation d’équipement aux territoires ruraux (DETR). Il a déshabillé Paul pour habiller Pierre. Ces fonds ne devraient pas être utilisés ainsi, car cela provoque un manque budgétaire. Ce sont aujourd’hui les maires qui se débrouillent seuls. Sainte-Anne a d’ailleurs dépensé près de 3,5 millions d’euros depuis 2017 dans ce cadre.

Propos recueillis par Marius Matty

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