Où sont les profs?

Une fois par semaine, Combat décrypte le sujet que VOUS avez choisi. Cette fois-ci, vous avez choisi celui sur la pénurie d’enseignants.

C’est un nombre record : cette année, 4 000 postes n’ont pas été pourvus aux concours enseignants. En cette rentrée scolaire, ces chiffres ont de quoi inquiéter, d’autant plus que la France est loin de faire exception sur le continent européen. 

Souvenez-vous. C’était en mai dernier. A l’approche de l’été, l’Académie de Versailles avait mis en place un système de recrutement à coups de jobs datings. L’idée : face au manque enseignant, l’Académie recrutait des enseignants contractuels en leur faisant passer des entretiens d’une demi-heure. 2 000 entretiens de chacun trente minutes avaient ainsi été réalisés en l’espace de quatre jours. L’Académie accusait alors un manque de 1 300 contractuels pour la rentrée 2022 : 700 dans le primaire et 600 dans le secondaire. Après vérification du parcours et du casier judiciaire, les candidats se devaient de répondre à des questions telles que “pourquoi venir aujourd’hui?”, “quelles sont vos conceptions de l’école, de la charge de travail, de la discipline?” ou encore “peut-on punir un enfant?” L’Académie disait viser “des profils bienveillants et formables” : en cas d’avis favorable du jury, puis d’une commission, elle promettait des réponses rapides et une embauche avant juillet. Les candidats choisis se voyaient ensuite offrir une formation sur les niveaux, les programmes, la gestion de classe… 

Ce système d’embauche-express, loin du recrutement habituel reconnu pour sa sélectivité et sa recherche de l’excellence, est le symptôme d’une pénurie enseignante qui va crescendo. Alors qu’en 2021, 94,7% de postes étaient pourvus dans l’Education Nationale, le chiffre tombe à 83,1% cette année.

Bobigny, le 6 janvier 2022. Professeurs et parents d’élèves ont bloqué l’entrée du collège Auguste-Delaune de Bobigny pour protester contre le manque de moyens et l’absence de protocole sanitaire sérieux. (Cyril Zannettacci/Vu pour Libération)

Une pénurie européenne 

« Il y a dix ans, quelques matières étaient sous tension comme les maths ou les langues, aujourd’hui le phénomène se généralise y compris chez les professeurs des écoles », constate Gilles Langlois, secrétaire national du syndicat Unsa. En plus des difficultés de recrutements viennent s’ajouter les démissions de plus en plus nombreuses et un manque accru d’enseignants remplaçants. 

Une situation que connaît l’ensemble de l’Europe et des pays de l’OCDE. A titre d’exemple, en Italie, 150 000 postes sont désormais occupés par des remplaçants au statut précaire. A Berlin, 875 postes n’étaient pas pourvus le jour de la rentrée, le 20 août. En Angleterre, selon un sondage de l’Association of School and College Leaders (ASCL), le syndicat des directeurs d’établissement, 95 % d’entre eux disent peiner à recruter ; 72 % font appel à des remplaçants pour couvrir des postes censés être permanents.

Si des salaires plus attractifs n’empêchent pas l’Allemagne et l’Espagne de connaître des pénuries enseignantes, la question de la valorisation par la société est de plus en plus mise en avant. Selon la dernière étude de l’OCDE, seulement  7 % des enseignants de collège français se disaient «  valorisés à leur juste valeur dans la société Contre 25 % en moyenne pour les pays de l’OCDE… ce qui n’est pas beaucoup non plus.Sont également désignées les conditions de travail dégradées dans la fonction publique, avec notamment un climat de discipline qui ne cesse de s’étioler dans la plupart des pays de l’OCDE. 

De manière générale, les raisons de cette pénurie se distinguent en fonction des régions. Les enseignants allemands se détournent d’un métier où les tâches administratives à réaliser prennent le pas sur le métier d’enseigner, tandis que les Hongrois dénoncent une augmentation de leur temps de travail. En France, on soulève assez régulièrement le problème des salaires et de l’évolution de carrière, l’affectation des jeunes enseignants dans les établissements les plus difficiles, la formation continue pas toujours ciblée sur les besoins, le manque de coopération à l’intérieur de l’établissement, ou encore le manque de mobilité… En revanche, les enseignants de l’OCDE se rejoignent sur la pression du système et le manque de perspective sur le long terme. 

Zoom sur les salaires 

Selon Statista, qui a relevé certaines données du rapport « Regard sur l’éducation 2020 » de l’OCDE, les enseignants français du secondaire gagnent en moyenne 29 400€ bruts annuels en début de carrière (soit 2 450€ mensuels), puis 35 500€ (soit 2 958€ mensuels) après 15 années d’expérience. Des rémunérations qui placent la France en bas du classement, juste devant la Pologne et la Grèce. Au Luxembourg, en revanche, les enseignants du secondaire gagnent bien mieux leur vie. En début de carrière, ils sont payés 71 700€ chaque année (soit 5 975€ mensuels), puis 98 700€ (soit 8 225€ mensuels) après 15 années d’enseignement. Même constat en Allemagne, où ces niveaux annuels atteignent respectivement 62 300€ (soit 5 191€ mensuels) et 75 400€ (6 283€ mensuels).

Le symbole d’une profession à bout de souffle 

Dans notre numéro d’avril 2022 consacré aux Oubliés de la Présidentielle, plusieurs enseignants français pointaient du doigt le statut de leur métier qui ne cesse de se dénigrer depuis des années. Déficits attentionnels, un salaire qui ne cesse de décrocher, un lien avec les parents qui s’érode, une vision consumériste de l’école… Selon Alexis, professeur de français dans un collège public de la grande banlieue parisienne, « une des grandes souffrances du métier, c’est la méconnaissance du temps, du travail et des qualités qu’il implique. Un enseignant qui donne une vingtaine d’heures de cours par semaine en passe une vingtaine d’autres à préparer ses cours, corriger ses copies, appeler les parents… C’est un travail énorme et qui ne s’arrête pas quand on rentre chez soi. En période de conseils de classe, je peux rentrer chez moi vers 22 heures, alors que je suis arrivé au collège à 7h30. Je passe mes vacances à faire des appréciations, corriger des copies, travailler mes séquences, et même mes amis se permettent parfois de me dire : « alors, encore en vacances ? ». On parle de nous imposer des formations obligatoires pendant les vacances, en oubliant qu’elles sont déjà chargées et qu’on ne les passe pas à rien faire. » En Alsace, Stéphanie, professeure d’histoire-géographie au collège, reprochait quant à elle au gouvernement la sensation de ne pas être écoutée : « J’ai l’impression qu’on est les petits soldats au front avec à l’arrière des généraux qui ne comprennent pas toujours ce qu’il faudrait faire sur le terrain pour avancer, progresser et rendre notre système éducatif plus viable pour tout le monde. On entend rarement ce qu’on a à proposer et à dire sur le terrain, on nous infantilise énormément. Nous n’avons pas les moyens d’exprimer envies, besoins, angoisses.” 

De manière générale, les enseignants appelaient à revaloriser leur métier, tant avec une remise à niveau de leur formation, de plus en plus hors-sol, que par les salaires, de plus en plus considérés comme “des salaires d’appoint.” Alors que, en février 2022, Emmanuel Macron évoquait la possibilité de mettre fin au CAPES, les professeurs émettaient enfin l’idée que “les économistes cessent de parler à la place des enseignants.” 

Grève enseignante en juin 2022 . Photo : afp.com/Thomas SAMSON

Plutôt que de baisser le niveau, revaloriser les métiers 

De plus en plus, les gouvernements tentent de combler les places vacantes en proposant d’embaucher à plus bas niveau. En témoigne l’exemple de l’Académie de Versailles, mentionné plus haut, où un journaliste de BFM TV avait pu être embauché en l’espace de 30 minutes alors qu’il ne disposait d’aucune expérience enseignante. Recruter à partir de la licence, mettre fin au CAPES, réduire le nombre de contractuels… sont tant de suggestions qui n’auraient comme conséquence que de dégrader davantage les réalités du métier. Eric Charbonnier, analyste éducation au sein de l’institution interrogé par Ouest France estime quant à lui : « il faut une revalorisation inconditionnelle des enseignants, et avoir une discussion plus profonde sur le métier.  » Il propose de considérer toutes les dimensions du métier et d’élargir le débat, souvent centré sur les salaires, vers des points comme la formation continue, le temps de travail ou encore les perspectives d’évolution. 

En Europe et en Finlande, par exemple, le statut des enseignants est plus valorisé. Les professeurs bénéficient d’une formation continue et jouissent d’un statut social plus proche de celui des chercheurs : ce sont des “innovateurs.” 

En 2018, une étude du Globak Teacher Status portant sur 35 pays avait démontré que c’était en Chine, en Malaisie et à Taiwan que les enseignants jouissaient de la plus haute considération. En Chine, par exemple, 81 % des personnes interrogées estiment que les élèves chinois témoignent d’un grand respect pour leurs enseignants. Un chiffre très largement supérieur à la moyenne des 35 pays concernés par l’enquête, qui s’établit à 36 %. Alors que ces pays sont considérés comme les plus performants, se hissant à la tête des tests internationaux, les chercheurs concluaient ainsi : “il existe un lien entre le statut des enseignants dans la société et les performances scolaires des enfants. Nous pouvons maintenant affirmer sans équivoque que la considération pour les enseignants n’est pas seulement un devoir moral important : elle est essentielle pour assurer de bons résultats scolaires.” 

Par Julie Leblanc et Charlotte Meyer 

Pour aller plus loin : 

Image à la Une : Egbert van Heemskerck, Le maître d’école, 1687. Alors que l’époque était à l’enseignement individuel, les peintres flamands s’amusaient à caricaturer les professeurs débordés par le chahut. Une situation à nouveau d’actualité?

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