Industrie pornographique : le Sénat hausse la voie contre le X

Alors qu’une mise en lumière croissante des violences du « porno » a lieu, quatre parlementaires de bords politiques différents ont rédigé un rapport d’information sur cette économie massive, opaque et constitutive d’inégalités de genre.

Avertissement : Cet article fait mention de violences sexuelles.

C’est une première. Le travail d’une institution parlementaire, en France, a été entièrement dédié à la question de l’industrie pornographique. Ce mercredi 28 septembre, la Délégation aux droits des femmes du Sénat, par l’intermédiaire de quatre co-rapporteures, Annick Billon (UDI, centre-droit), Alexandra Borchio Fontimp (LR), Laurence Cohen (PCF) et Laurence Rossignol (PS), présentait à la presse son rapport intitulé « Porno : l’enfer du décor ». Lancée en janvier, cette mission d’information de la chambre haute du Parlement a auditionné plus de 60 personnes : membres d’associations féministes, chercheurs, journalistes, ARCOM (ex-CSA), actrices, victimes de violences sexuelles dans le cadre de l’affaire « French Bukkake », industriels de la pornographie… Une démarche qui s’explique sans doute par les débats suscités par les différents scandales judiciaires qui ont éclaboussé le « milieu » ces dernières années.

Principal grief : la Délégation aux droits des femmes estime que l’industrie pornographique « génère des violences systémiques envers les femmes ». L’objectif derrière ce rapport est donc de sonner l’alerte sur « les violences perpétrées et véhiculées par et dans l’industrie pornographique ainsi que sur les représentations sexistes, racistes, homophobes et inégalitaires qu’elle génère », indiquent les autrices. Un dessein qui explique la saillie de Laurence Rossignol lors des derniers instants de la conférence de presse : « Oui, nous souhaitons déstabiliser le système pornographique basé sur l’exploitation de femmes vulnérables ! » Les « pornographies plus respectueuses des personnes » sont, de leur côté, renvoyées à « une goutte d’eau dans un océan de violences ».

L’industrie pornographique représente près de 27% du « trafic vidéo en ligne » mondial. DR

Titanesque et violent

Un système qui n’a de cesse de s’étendre et de se transformer, pour le pire. « L’industrie pornographique a beaucoup changé en 15 ans », rappelle Annick Billon. Les autrices du rapport écrivent effectivement : « Les conditions dans lesquelles s’est exercée cette activité ont significativement évolué : renvoyant d’abord à de la littérature pornographique puis à l’émergence, dans les années 1970, de films pornographiques abusivement associés à la libération sexuelle, la pornographie a franchi, à partir du milieu des années 2000, une nouvelle étape avec la massification de la diffusion de vidéos pornographiques en ligne générant un trafic mondial massif et véhiculant des contenus de plus en plus extrêmes et violents. »

« Est-ce que c’est une dérive ? », s’interroge celle qui fut notamment ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes sous François Hollande. « Non, c’est inhérent à l’industrie pornographique. 90% des scènes montrées sont violentes, et de manière non-simulée. » Il faut souligner, pour ne rien laisser à l’imprécision, que Laurence Rossignol s’appuie sur un article publié en 2019 par des scientifiques du pays de l’Oncle Sam. Cette étude conclue en particulier que, sur 304 scènes examinées, « 88,2% comportent une agression physique ».

Et ce système bâti sur la violence pèse lourd. Près de 27% du « trafic vidéo en ligne » mondial, nous disent Mmes Billon, Borchio Fontimp, Cohen et Rossignol, reprenant les chiffres d’un rapport réalisé par The Shift Project. Soit « 5% des émissions de gaz à effet de serre dues au numérique », affirme la même étude. Surtout, l’industrie pornographique engrange une très forte activité économique : environ 8 milliards d’euros à l’échelle du globe, d’après les quatre sénatrices.

Creuset des inégalités femmes-hommes

Il y a « une consommation massive, banalisée et toxique, chez les enfants et les adolescents comme chez les adultes », pointent les autrices du rapport. Elles dénoncent également « des contenus accessibles à toutes et tous en ligne, en dépit de la loi interdisant l’accès aux mineurs » – il suffit de cliquer sur une case pour démontrer que l’on est majeur ; et « une exposition de plus en plus précoce, volontaire mais aussi subie, notamment par les plus jeunes » – l’âge moyen de premier visionnage serait 14 ans, indiquent-elles. Les sénatrices estiment que la jeunesse est « en danger ». En effet, elles constatent que des « traumatismes voire des ‘’viols psychiques’’ » touchent les plus jeunes, qui sont socialisés à « une vision déformée et violente de la sexualité ».

Plus largement, l’industrie pornographique cause selon elles « une menace pour l’ensemble de la société ». En cause : « une érotisation de la violence et des rapports de domination » ; « des normes corporelles oppressantes » ; et « des troubles et violences engendrés par des consommations intensives de porno ». Sur ce dernier point, elles rappellent à partir d’une étude que : « des corrélations ont été mises en évidence, indiquant qu’en moyenne, des individus consommant plus fréquemment du porno sont davantage susceptibles de manifester des attitudes agressives et de se livrer à des agressions sexuelles. »

Des conséquences délétères pour les consommateurs. Et pour ceux – celles ! – qui produisent, à savoir les protagonistes ? « Le porno (sic) n’a pas accompagné la libération sexuelle », tranche Laurence Rossignol. « Ou plutôt, il l’a fait au profit de l’industrie. » La sénatrice communiste, Mme Cohen, expose quant à elle le cas de « femmes vulnérables, tout juste majeures, qui se font démarcher sur les réseaux sociaux par des gens qui se font passer pour des escorts (sic) et qui donc les manipulent ». Mais la démonstration sur la précarité des actrices X s’arrête ici. C’est un angle mort du rapport : il n’est fait mention d’aucune statistique sur les conditions matérielles d’existence des principales concernées. En revanche, en ce qui concerne des solutions, on sera bien servi.

Pour la sénatrice du Val de Marne Laurence Cohen, ce rapport constitue un premier pas vers l’abolition. DR

Unanimité… à gauche ?  

L’ensemble de la Délégation aux droits des femmes a adopté le rapport la veille. Les 23 recommandations sont réparties selon 4 axes : « imposer dans le débat public la lutte contre les violences pornographiques » ; « faciliter les suppressions de contenus illicites et le droit à l’oubli » ; « appliquer enfin la loi sur l’interdiction d’accès des mineurs et protéger la jeunesse » ; et, enfin, « éduquer, éduquer, éduquer ». Voilà un dernier point qui fait écho à la volonté du ministre de l’Education nationale, Pap N’Diaye, de relancer les cours d’éducation à la sexualité. Avec la nouvelle situation politique, « il se passe des choses intéressantes », sourit Laurence Cohen en marge de la conférence de presse.

Parmi les recommandations, certaines sont emblématiques : « faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d’incitation à une infraction pénale (viol ou agression sexuelle » ; « imposer aux diffuseurs, plateformes comme réseaux sociaux, des amendes face à toute diffusion de contenu illicite » ; « créer une catégorie ‘’violences sexuelles’’ dans les signalements à Pharos [NDLR : un dispositif public qui sert notamment à retirer des contenus illicites en ligne] » ; et « imposer aux sites pornographiques l’affichage d’un écran noir tant que l’âge de l’internaute n’a pas été vérifié ».

On reste loin, malgré tout, de l’abolitionnisme. « Nous avons surtout fait ce rapport pour qu’il y ait un débat public », concède Laurence Cohen, pourtant ardente défenseuse de la fin de la pornographie, qu’elle considère équivalente à la prostitution. « C’est un coup de pied dans la fourmilière », ajoute-t-elle toutefois. Comprendre : un premier pas vers l’abolition. « On est unanime sur ce sujet, mais à gauche ! », souligne auprès de Combat la sénatrice du parti dirigé par Fabien Roussel. « Il ne faut pas penser que l’on puisse règlementer le porno pour que ça devienne acceptable. Par essence, à partir du moment où vous avez un rapport tarifé, il y a un dominant et un dominé. Celui qui paie est celui qui commande. C’est l’homme qui impose ses fantasmes ! » Rendez-vous est pris le 18 octobre entre les quatre sénatrices et Isabelle Rome, ministre de l’Egalité entre les femmes et les hommes, pour d’éventuelles suites à ce rapport.

Par Marius Matty

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