Hadrien Clouet : « Chaque travailleur a intérêt à la protection des chômeurs »

Le député LFI de la 1ère circonscription de Haute-Garonne, et par ailleurs sociologue de l’emploi, est vent debout contre la réforme gouvernementale de l’assurance chômage en cours qui attaquera, selon lui, « la solidarité interprofessionnelle ». Après avoir été adopté en commission le 27 septembre, ce texte est examiné dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale à partir d’aujourd’hui.

En tant que membre de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, vous avez commencé, le 13 septembre dernier, l’examen du projet de loi « portant mesures d’urgences relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi ». Que pensez-vous de ce texte ?

Deux éléments sonnent l’alerte. D’abord, sous couvert de ne rien faire, ce texte réalise quelque chose d’important. Il reproduit en effet les règles actuelles de l’assurance chômage, largement contestées, au lieu de les mettre en discussion comme on devrait le faire dans le débat public [NDLR : l’article 1er permet au Gouvernement de prendre un décret en ce sens, puisque ces règles prennent fin le 1er novembre prochain]. Alors qu’il n’y a aucun bilan. C’est dingue !

Avez-vous tenté d’en savoir plus sur les conséquences de cette réforme lors de l’audition d’Olivier Dussopt, ministre du travail, qui a eu lieu en même temps que la présentation du texte aux députés ?

J’ai demandé combien de chômeurs étaient passés sous le seuil de pauvreté depuis la mise en place de la réforme de 2019 [NDLR : pleinement entrée en vigueur le 1er octobre 2021 après une suspension au cours de la crise sanitaire, elle a notamment eu pour conséquence la diminution de l’indemnité journalière de 17% en moyenne pour 1,15 million d’allocataires]. Il n’y a pas besoin d’être le pingouin qui glisse le plus loin pour connaître l’effet de ces règles. On n’a aucune tentative gouvernementale de nous communiquer des informations fiables sur l’ampleur de la catastrophe.

Ce projet sert-il aussi à gagner du temps ?

Oui, puisque le gouvernement devait remettre le 1er juillet la lettre de cadrage aux organisations paritaires pour négocier la convention Unédic [NDLR : l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce est l’organisme chargé par délégation de service public de l’assurance chômage]. Ce qu’il n’a pas fait. Donc il crée volontairement une situation d’urgence artificielle. L’objectif est de continuer à organiser son projet de « modèle canadien » de l’assurance chômage, même si ce n’est pas ce que le texte dispose [NDLR : mais c’est ce que le Gouvernement compte mettre en œuvre par décret après l’entrée en vigueur de ce projet de loi].

C’est-à-dire ?

Il veut instaurer un modèle d’assurance chômage dans lequel la durée des droits [NDLR : période d’indemnisation] serait modulée en fonction de la conjoncture économique [NDLR : plus d’allocations quand elle est dégradée, et vice-versa]. En d’autres termes, par exemple, si une profession va bien, elle entraîne la diminution de l’indemnisation d’autres professions qui peuvent aller mal. Tout cela en lieu et place d’une solidarité interprofessionnelle. Dès lors que votre voisin devient chômeur, vos droits se prolongent ; quand il retrouve du boulot, vos droits se raccourcissent. Vous avez un intérêt objectif, en tant que demandeur d’emploi, à la montée du chômage. Moralement, c’est assez absurde !

Olivier Dussopt, ministre du travail. Photo Thomas SAMSON / AFP

La piste de la modulation en fonction des conditions d’admission à l’indemnisation chômage a aussi été envisagée…

Oui. Par exemple, lorsque l’économie ira bien, on n’aura pas le droit d’ouvrir des allocations chômage avant 6, 7, 8 ou 9 mois. Alors qu’en temps de crise, cela pourra se faire en 2, 3 ou 4 mois. En réalité, c’est la valeur de la cotisation qui est en jeu. Le type qui a cotisé 100 balles (sic) ne saura plus si elles vaudront deux fois plus ou deux fois moins dans le futur. Il faudra d’ailleurs se mettre d’accord sur ce que signifie qu’une économie aille bien ou mal.

Par définition, on ne peut pas prévoir l’avenir…

Exactement ! Alors j’imagine que Marc Ferracci [NDLR : rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale (Renaissance)] compte ouvrir des poulets et examiner leurs entrailles tous les 6 mois pour savoir quel sera la conjoncture et prévoir les budgets de l’Unédic (sourires). Je crois que ce n’est pas extrêmement fiable.

Comment analysez-vous la publication à venir du décret ?

C’est la fin du paritarisme [NDLR : c’est-à-dire, en l’occurrence, l’élaboration des règles de l’assurance chômage à partir d’une négociation entre syndicats et patronat]. Il s’occupera lui-même de nous pondre une convention Unédic [NDLR : le document juridique censé reprendre les conclusions de la négociation].

Alors que le Gouvernement a mis de côté l’option de la négociation, il promet une concertation. Mais elle interviendra après la publication du décret… [NDLR : Olivier Dussopt avait annoncé une concertation à partir de la mi-septembre, laquelle n’a toujours pas débuté].

Une concertation après une décision, j’appelle ça une fête des voisins. De surcroît, c’est la fin des négociations Unédic. Le Gouvernement fait un petit cocktail pour nous expliquer entre la poire et le dessert quel est le bon régime. Il va décider sans les collecteurs [NDLR : des cotisations] et les organisations syndicales et patronales qui sont les principales concernées puisqu’elles s’acquittent de la contribution.

Quelle réforme de l’assurance chômage préconisez-vous ?

Je crois qu’il ne faut pas tortiller : comment met-on de l’argent dans les caisses ? Si on veut élargir les droits de la population, il y a deux options. D’une part, à chômage constant, on contribue plus en augmentant la part patronale des cotisations. D’autre part, on crée des emplois au moyen de politiques de relance de l’activité, de la réduction du temps de travail et d’investissements dans des secteurs clés, notamment industriels. On pourrait également redistribuer différemment.

Y a-t-il des solutions supplémentaires du côté de l’Unédic ?

Sa cagnotte pourrait être mise à contribution. Cette année, elle était en excédent budgétaire. Ce surplus sert aussi à éponger la financiarisation des comptes de l’Unédic. Lorsqu’elle était en déficit, elle s’endettait sur les marchés financiers. Nos cotisations ont servi à payer des SICAV [NDLR : Société d’investissement à capital variable] luxembourgeoises qui échappent au fisc. Il faut sortir l’organisme du marché. Et une fois que l’on a un budget acceptable, alors il faut penser aux droits des chômeurs. D’abord, il y a l’égalisation des règles juridiques. Parce qu’on voit dans tous les rapports de Pôle Emploi que la complexité des normes conduit à des radiations tout à fait discrétionnaires et inégalitaires d’une agence à une autre. Ensuite, il faut améliorer le taux de remplacement [NDLR : la proportion du salaire dont on bénéficie avec l’allocation chômage]. Enfin, il convient d’indemniser dès le premier jour de chômage, c’est-à-dire mettre fin au délai de carence.

De quelle manière faudrait-il prendre en charge les demandeurs d’emploi qui ne sont pas indemnisés ?

Un tiers des personnes éligibles à l’assurance chômage ne demandent pas leurs droits [NDLR : 40% en 2019, d’après Pôle emploi]. Quand des gens ne sont pas couverts par l’assurance chômage, on les encourage à être recrutés pour moins cher, de prendre des boulots pourris, mal payés, qui tirent vers le bas tous les salaires. Une assurance chômage confortable permet d’avoir du temps pour chercher un emploi. En définitive, chaque travailleur doit comprendre qu’il a un intérêt à la protection des chômeurs. Protéger les chômeurs, c’est protéger son propre poste de la concurrence déloyale.

Propos recueillis par Marius Matty

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