La bible de l’assassin (6)

Chaque vendredi, une fiction ou un bout d’histoire…

Des envies meurtrières, j’imagine que tous en ont déjà eu. Comme les miennes, je ne sais pas. Je suis un cliché de livre que tout le monde trouvera pathétique. Avez-vous déjà écrit ? Alors voilà. C’est long, très long. Et ce n’est pas fini. Si vous avez un minimum de pitié, brûlez-moi, tuez-moi. Qui mérite de vivre ? Pas plus moi que vous. Un tas de gueules souriantes. Hypocrisie totalitaire de votre société. Je sors d’où ? D’un vieux cauchemar oublié dans le temps. Un amas de haine, d’oubli, de solitude. Trop jeune pour être triste et trop vieux pour pleurer dans les draps de ses parents. Un milieu qui n’est pas juste. Un verre qui n’est pas assez rempli. Un talent brisé. Une nuit blanche de plus dans vos yeux. Une chanson de Saez entre deux couplets. La complainte du loup mort. Une imagination titillée par le bout du stylo. Une fille qui prend aux tripes. Mon sel de vie, du sel mélangé au sang des veines d’une jeune vierge, d’un jeune solitaire. Ce qui est beau ? Des larmes de désespoirs, une marche perdue sur l’autoroute, un Homme mélancolique. Une nuit aveugle de haine au sein d’une longue note fausse. Interprétez-le comme vous le voulez. Les mots de la rage imprimés sur votre foie. Que savons-nous de l’amour ? Rien si ce n’est que c’est compliqué et que ça en bousille certain. A regarder Phil, romantique incompris dans les bras de Brad Pitt ou de DiCapprio. Et si on se mettait mal ? Au point d’en vomir, au point d’en mourir. Ce long voyage initiatique qui nous amène à la fin. C’est dans ce cinéma poussiéreux de Lausanne que Phil m’entraine sans gêne, un minuscule tourbillon de passionné et de rétroprojecteurs qui sentent la poussière brûlée. Du film torride au film comique. De la poésie d’un Gaspard Noé au burlesque d’un Coluche. Ce genre d’endroit où les hommes portent des bérets, ou les femmes sentent le vin et le sourire aux lèvres, ouvrent leurs petits bras en éclatant d’un rire franc, fort. Ce genre d’endroit qui peut vous réchauffer le cœur, hors du temps et des autres, dans un autre siècle protégé des lumières. Les dents à l’air et le cœur ouvert, on participe aux bavardages d’après film dans la petite salle éclairée aux lanternes. Un pas de plus vers la beauté du monde. Un pas de plus vers la terreur du retour à la réalité. Cet endroit où les amoureux viennent te parler. Un vieux poème oublié par une adolescente, chuchoté au creux de l’oreille :

« Ils n’avaient rien fait.

Mais tous leur en voulait.

Ils ne sont pas un, mais tout un groupe.

Coulant de la couleur pourpre.

Cette nostalgie écarlate qui envahi leur corps.

Le soir, fumant leur clope au vieux port.

Inspirant la mort qui les étouffe.

Qui asphyxie leur vie à leur en couper le souffle.

Le cœur perforé par le constant mal-être.

Ils en deviennent fous jusqu’à ne plus être maître.

Alors ils essaient de s’arrêter.

Et ils en sont dégoûtés. »

Un petit poème improvisé à l’instant même par la langue dénouée d’une jeune fille de 15 ans qui découvre la vie. Une jeune fille aux longs cheveux bruns, aux petites mains griffées par la peur et au nez froid de la future mort. Elle respirait une fatalité fatale mais elle voulait connaître l’amour avant la haine. Après le poème, elle n’avait plus dit aucun mot, émue par la fin, elle n’avait même pas crié, elle trouvait ça beau, comme fin. Une poésie. Emue, seul le silence s’exprime. Tant de chagrin à essuyer.

            J’ai retrouvé Phil, un soir. Son crayon en suspens au-dessus de sa feuille blanche, on lit une profonde lassitude sur son visage. Comme s’il savait qu’un jour, que le jour de sa mort, il sombrerait dans un salut d’artiste. Il leva les yeux sur moi.

« -Je sais. Me dit-il. J’ai compris ce que tu veux. Tu veux écrire. Je sais que tu sais écrire. Je sais que ton rêve était de couvrir les romans de ton cœur. C’est trop tard maintenant. Regarde ce que tu as fait. Ce que tu lui à fais. Elle n’avait que 15 ans. Et de si beaux cheveux.

-Phil, tu es tant d’insouciance dont tu es conscient, tant de culpabilité dont tu es innocent. Regarde-toi, regarde-moi. »

            J’ai déjà tout fait pour ressentir, hanté par le désir d’écrire. Phil a eu raison. J’ai gâché ma chance de redonner espoir au monde par la danse de ma plume sur le papier blanc. Par mes mots cachés derrière mes yeux. C’était un beau rêve, si beau que même les mots n’auraient pas pu l’expliquer. Je voulais vivre, je voulais souffrir, sentir la vie pomper dans mes veines. Phil pleurait doucement, sans bruit, chaque larme portant le poids d’une tristesse inconnu. Des larmes qui même-moi, on réussi à me bouleverser. Ces larmes rares qui brisent même le plus dur des cœurs. Parce que les larmes silencieuses, comme ça, ce sont les larmes qui viennent de loin et qui finissent leurs courses tellement fatiguées qu’elles n’ont plus la force du bruit. Ces larmes qui coulent lentement sur la joue, une fine torture à voir. Je me détournai, quelle ironie indifférente je suis ! Capable de tuer mais pas de pleurer avec un ami. Il s’en remettra de toute façon, non ? Ce minuscule espoir qui rend si vulnérable, qui rend si impuissant.

            J’essaye d’imaginer la jeune fille de 15 ans. Comment elle était, avant. Triste. J’en suis sûr. Elle pourrait s’appeler… Ophélie ? Ophélie, regardant par la fenêtre rêveuse. Il faisait gris dehors, elle aime bien ce temps. Elle restera longtemps, comme ça, regardant le jardin vaporeux depuis le second étage d’un immeuble poisseux de la banlieue de Genève. A quoi pensait-elle ? A la mort. C’est beau la mort, elle pense. C’est quelque chose de beau, en fait elle trouvait même que le suicide était magnifique quand il est bien fait. C’est une œuvre d’art, elle pense. Comme cette peinture de John Millais, où l’on voyait cette jeune Ophélie, morte, les yeux entrouverts et entourée de fleurs. Comment mourra-elle ? Elle s’était déjà imaginée plein de fois son propre assassinat. Elle pourra se jeter dans le vide, du haut des falaises, un jour de pluie ou les vague se fracassent à leurs pieds, se sentir tomber, cette sensation de relâchement du corps…

Elle pourrait s’empoisonner ou se pendre. Des pensées d’ado.

Mais maintenant, elle savait comment elle mourra.

Elle portait une belle robe blanche, ses cheveux bruns sont détachés, elle ressemblait à un ange. Lentement elle s’était dirigée vers l’homme de l’autre côté de la pièce, c’était moi, l’homme. Elle avait 15 ans, elle était intelligente et sublimement mélancolique, dramatique, sa vie n’était qu’une vieille tragédie, c’était une déesse toute droit sortie d’un amphithéâtre. Consciente que son prénom forcé était marqué par sa tournée fatale, qu’elle ne pouvait décider, qu’elle devait suivre. Ensuite, Ophélie m’a pris la main, doucement, comme un léger frôlement, et elle m’a récité son poème, son souffle chaud m’a caressé la peau comme une plume.

Elle resserre sa main, l’étau étouffant, comme essoufflé, toujours son grand regard cerné par trop de larmes asséchées dans un vide intolérable. C’est là que j’ai compris qu’elle voulait mourir. Que c’était insoutenable. Ce poème qui fut prononcée du bout de ses lèvres usées par la vie qu’elle s’est imaginée. 15 ans depuis trop longtemps, lassée d’avoir trop de souvenir à fuir. Les bras ballants, elle m’a laissée caresser sa joue, sans vraiment toucher cette virginité. Les bras ballants elle m’a laissé regarder dans ses yeux. C’est l’histoire d’une fille qui n’a plus rien. Elle part et ne reviendra pas, elle est décidée. Et pourtant, elle est tellement jolie. Elle s’est offerte au monde dans un cri et repart dans un sanglot. Elle, baignant dans la naïveté d’une croyance platonique, nageant dans tous les mensonges de l’enfance. Je ne la connaissais pas. Pour avoir si souvent pleuré pour changer les choses, hantées par son image, fidèle comme une ombre, elle se suiciderait, elle le savait. Elle s’empoisonne de mal-être, le mal de vivre. Pendant un instant, elle était moi.

Comment l’expliquer à Phil ? Comment pourrait-il comprendre ? Il observe, il reste. Il commente juste. Je me demande ce qui le fait rester. Pourquoi n’a-t-il pas peur de moi ?

(à suivre….)

Par Coline Minaud-Lehmann

Dessin de Héloïse Braisaz

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s