Samedi 19 novembre 2022, des dizaines de milliers de personnes se sont réunies dans les rues parisiennes afin de protester contre les violences sexistes et sexuelles et l’inaction aberrante du gouvernement et de la population vis-à-vis de ces actes. Organisée par le collectif féministe Nous Toutes, cette manifestation rassemble chaque année toutes celles et ceux qui veulent dire stop aux violences et à l’insécurité provoquées par la société patriarcale dans laquelle nous vivons et qui ne permet aucune considération des victimes. De la Place de la République à celle de la Nation, Combat est allé à la rencontre des manifestants. Reportage.
Samedi 19 novembre, 14h, ligne 5 du métro parisien : je rencontre Sol, manifestante reconnaissable à sa pancarte arborant le numéro du collectif auquel elle adhère : Viols-Femmes-Information, 0800 05 95 95 (ligne d’écoute gratuite et anonyme). « Je viens manifester aujourd’hui au nom du collectif, mais aussi car j’ai été victime d’inceste et de violences conjugales et que l’on ne m’a pas crue. Je voudrais tellement que les choses changent et qu’il y ait une prise de conscience collective pour aboutir à des réformes, mais avant cela, il faudrait commencer par croire les victimes« , me confie-t-elle.
Sortie 10 du métro République, une vague violette apparaît. Comme me l’a expliquée une manifestante, le violet, couleur représentante du féminisme d’aujourd’hui et des suffragettes d’hier, symbolise le mélange homogène et égalitaire entre le rose et le bleu, couleurs trop souvent genrées. La musique commence à se faire entendre et quelques pancartes se démarquent déjà : « mon prénom n’est pas salope » ou encore « mâle dominant, pour qui tu te prends ? ». Ces phrases traduisent bien la sensation de discrimination dont sont victimes les femmes. C’est ce que dénonce Noémie : « je manifeste contre toutes les discriminations faites dans notre société et dont nous n’avons pas forcément conscience. Savoir que, passée une certaine heure, on doit changer de tenue, prendre les grandes routes, garder son portable et ses clés dans sa main, c’est aussi une forme de discrimination car nous sommes obligées de modifier notre comportement sans le vouloir ». Continuant la marche, je rencontre Clémence, qui voit les choses de manière similaire : « les conditions de la femme dans notre société actuelle sont regrettables et il faut faire entendre notre voix », tout comme Manon : « finalement, lorsqu’on est une femme, on ne se sent toujours pas traitée de la manière dont on devrait l’être ». Je poursuis en m’interrogeant sur les fondements de ces discriminations, de ces inégalités et de ces violences : comment a-t-on pu en arriver à ce qu’une femme ne puisse plus sortir de chez elle sans avoir peur de se faire violer ?

Un tabou ancré dès le premier âge
Je rencontre ensuite Jade. Pour elle, « on a un vrai problème systémique : le fossé entre les genres se creuse dès l’entrée à l’école et aucune éducation n’est faite à ce sujet ». Si ce fossé n’est pas résorbé activement par les pouvoirs publics, Julia espère qu’un jour la parole sur ce sujet se libèrera complètement : « en manifestant et en étant de plus en plus nombreux.ses, cela peut permettre de montrer à la société en générale et à des personnes qui ne sont pas particulièrement sensibles à ce sujet que cela existe réellement, que c’est important d’en parler. Le tabou doit être levé ». Pour Murielle, dont les paroles sont rythmées par un orchestre de rue mixte et féministe, « nous vivons un moment où nous avons libéré une parole, ce qui est positif, mais il y a toujours des personnes qui pensent que ce sont des cas particuliers et isolés. Finalement, nous avons l’impression que la façon dont on éduque les jeunes fait que nous vivons dans une société où les gens font délibérément du mal aux autres ».
C’est la raison pour laquelle ces dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées dans les rues de Paris ce 19 novembre 2022, pour lutter contre l’insécurité et les violences. Contrairement aux croyances de certains, il n’y avait pas que des femmes dans cette manifestation, bien au contraire. Pour Maxime, « c’est un sujet qui nous concerne tous, quel que soit notre genre car c’est un sujet de société et nous y vivons tous, dans cette société qui fait du mal aux autres ». Selon Alexis : « peu importe notre genre, nous sommes ici pour parler des combats qui ont besoin de visibilité et de représentation ». Liam, étudiant en santé, précise : « en tant que professionnel de santé, nous avons un véritable rôle de prévention : nous ne pouvons pas laisser des femmes rentrer chez elles en ayant peur d’être tuées le soir même ».
Tous ces hommes représentent la FNEK (Fédération Nationale des Étudiants en Kiné) et sont accompagnées de plusieurs femmes, également du même collectif, soulignant le désarroi qu’elles éprouvent face à leurs patientes qui sont terrorisées à l’idée de quitter le cabinet de peur de subir des violences ou à leurs amies qui n’osent pas encore lever le tabou. Jeanne vient « représenter toutes les étudiantes qui ne peuvent pas encore parler et raconter ce qui leur est arrivé » tandis que Julie « manifeste pour toutes celles qui ne peuvent plus faire entendre leur voix. »

Un système judiciaire défaillant
Je continue d’avancer en entendant des chorales donner le rythme. Je m’émeus de la banderole et du cortège de la Fédération Nationale des Victimes de Féminicides portant les noms et photos des 125 femmes, activiste, mère, amie ou collègue tuées car elles étaient Femmes. Je pense à toutes ces mortes, je pense à toutes celles qui ont été violées ou agressées : l’action est urgente.
Une grande pancarte, tenue par une jeune femme, m’alerte : « un métro toutes les 3 minutes et un viol toutes les 7 minutes ». Si ce chiffre impressionne et est visiblement difficile à croire pour certains, il est bien réel. Prétendre le contraire serait trop facile dans une société où la culture du viol est répandue et perpétuée de générations en générations. Une pancarte l’illustre bien : « on l’accuse parce qu’elle avait trop bu, on l’excuse car il avait trop bu ». Il me paraît évident que se rendre compte de l’ampleur des violences serait compliqué si tous les tabous n’étaient pas brisés et si la société ne culpabilisait pas les victimes. C’est d’ailleurs ce que souligne Mathilde : « il faut savoir écouter les victimes et se forcer à imaginer que c’est possible et que cela s’est produit si l’on espère changer les choses ». Malaurie me le confirme : « j’ai moi-même subi plusieurs agressions sexuelles et je viens manifester pour montrer mon ras-le bol : à chaque fois, on m’a dissuadée de porter plainte. »
Le cortège violet entre République et Nation se poursuit et une affiche m’interpelle : « 0,6% des violeurs condamnés. » Je songe alors à toutes ces femmes qui savent un criminel en liberté, qui vivent sans cesse dans la peur de le recroiser dès qu’elles sortent et de se faire violer à nouveau.
Si seulement 0,6% des violeurs sont condamnés par la justice, cela s’explique par un système policier et judiciaire défaillant. C’est ce que me raconte Jade : « Des amies ont été violées et n’osent pas porter plainte, d’une part parce qu’elles ont peur de revoir leur violeur mais surtout parce qu’elles sont convaincues que la justice ne les croira pas ou cherchera ‘la petite bête’ ». Charline accepte ensuite de se livrer, en soutien à une de ses amies : « elle est allée porter plainte cet été pour attouchements et tentative de viol lors d’une soirée et la police n’a pas pris sa plainte en lui répondant qu’il n’y avait pas eu de véritable viol donc que ce n’était rien et que ‘ça allait’ ».
Choquée par ces histoires reflétant l’inaction affligeante de notre système judiciaire, je rencontre ensuite Marie, pour qui cette marche annuelle contre les violences sexistes et sexuelles est très importante : « je suis là tous les mois de novembre depuis l’appel de 2019 parce que depuis, le nombre de femmes tuées sous les coups de leurs maris augmente chaque année et il n’y a toujours rien qui est fait. Cela devient absolument urgent que le gouvernement mène une action concrète. » Laura poursuit le même raisonnement : « on voit que chaque année le nombre de féminicides est aberrant et pas croyable mais pourtant toujours en hausse, donc chaque année nous revenons manifester. » Eugénie m’explique ensuite : « si on continue à ne pas en parler, cela perpétue la honte et le secret donc cela se répète inévitablement. Il faut que les mentalités changent. »

Une lutte en marche
J’entends derrière moi un groupe entonner l’Hymne des Femmes et je pense à toutes les solutions qui ont été trouvées par des experts, soumises au gouvernement mais jamais appliquées. Deux pancartes particulièrement me sautent aux yeux : « 0,1% du PIB, c’est trop demander ? » et « des réformes avant qu’on soit mortes ».
En effet, tous les militants ainsi que les différents collectifs, les ONG et les spécialistes réclament 2 milliards d’euros au gouvernement français afin de mettre en place des mesures concrètes pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Parmi elles, le financement et la construction de foyers d’accueil de victimes de violences conjugales et de leurs enfants, un soutien psychologique et juridique gratuit, la mise en place de davantage de formations spéciales pour les policiers voire la création d’un pôle policier spécialisé dans ces violences afin d’éviter tout problème de refus de plainte ou de non prise en charge des victimes (65% des femmes mortes sous les coups de leur conjoint avaient déjà porté plainte).
Je pense à toutes celles qui ne peuvent plus marcher et chanter avec nous aujourd’hui. A l’heure actuelle, plus de 125 femmes ont été tuées en 2022 parce qu’elles étaient femmes. A l’aube de 2023, il est temps de changer les choses, de faire avancer les mentalités et de briser les tabous pour faire cesser les violences.
Après un bel après-midi rythmé par la sororité, l’entraide, la bienveillance et surtout par la lutte pour une cause si importante, je m’apprête à reprendre le métro quand je lis cette phrase : « il est libre et le restera tandis que moi j’ai pris perpétuité le jour où il m’a violée ».
Par Capucine Schmit
Un grand merci à l’ensemble des personnes qui ont répondu à nos questions et qui nous ont livré leurs témoignages.
