Vieillir dans la dignité : le nouveau défi sociétal ?

Le scandale des établissements Orpea a ouvert la boîte de Pandore, mettant en avant les conditions de vie de nos aînés en EHPAD. Il était temps qu’elles soient dévoilées et fassent l’objet d’une médiatisation, que la justice soit saisie, et qu’elle puisse faire son œuvre. 

Un an après sa parution, le livre choc de Victor Castanet continue à faire parler de lui. Les fossoyeurs, révélation sur le système qui maltraite nos aînés a permis de dévoiler au grand public la négligence et les maltraitances physiques et émotionnelles perpétrées à l’encontre des résidents des établissements privés et côtés en bourse, Orpea. Trois ans d’enquête pour le journaliste d’investigation, qui ont mené au limogeage du directeur général Yves Le Masne.

Au printemps, un procès au civil, intenté après le décès d’une résidente des Hauts de Seine, des suites de la négligence des soignants de l’EHPAD, a condamné le groupe à verser 65.000 euros à la famille de la défunte. Une autre plainte, cette fois-ci déposée par le groupe contre l’ancien directeur, a été déposée en décembre, visant « des faits susceptibles de caractériser des infractions d’abus des biens ou des crédits de la société, d’abus de confiance,  complicité, recel ou blanchiment », vient compléter une première plainte contre x pour abus de biens sociaux.

Un manque de moyens criant

Les soignants qui ont fait de leur vocation un métier, ne sont pas épargnés non plus : manque de personnel, de temps, pression financière grandissante. La plupart subit une grande fatigue, physique et émotionnelle. Comme l’exprime Eliane, aide-soignante dans un EHPAD breton « heureusement que la passion du métier ainsi que la cohésion d’équipe sont là, mais cela n’est pas toujours suffisant, nos corps sont fatigués. »

Et pour cause, « nous subissons un manque cruel de temps. Les résidents nous font part de leur ennui. Ils ont besoin de plus d’activités, d’animations, de sorties, de temps de parole avec nous, soignants. Les journées sont longues pour eux », et bien trop courtes pour les équipes, qui doivent tenter de tout mettre en œuvre pour que chacun ait suffisamment d’attention, d’accompagnement, dans la bienveillance, afin de leur permettre de vivre leur séjour dans les meilleures conditions possibles, tout en gérant l’intendance. 

« Nous nous devons d’être d’humeur égale, d’avoir le sourire, l’empathie, l’écoute, l’oeil professionnel, avec beaucoup de pression quant au temps imparti » ajoute Eliane. Ce temps, parlons-en. De dix à vingt minutes par résident, chaque matin, pour prodiguer les soins, quand il en faudrait trente. Et « si nous prenons plus de temps, nous devrons le récupérer sur une autre toilette moins compliquée. »

Notre aide-soignante bretonne partage le service, en matinée, avec deux autres collègues, alors qu’une seule personne en plus changerait la donne et leur permettrait d’offrir des soins suffisamment qualitatifs, à leurs 24 résidents de l’unité Alzheimer. 

Eugenio-Zampighi (1859-1944), Le favori de grand-père

Vers de nouvelles alternatives

Les mots résonnent, forts, et douloureux, pour toutes les personnes âgées dont les établissements spécialisés et l’État se déchargent. Un grand sentiment d’être laissés pour compte. Ils sonnent forts aussi pour tous ces soignants qui souffrent de leurs conditions de travail, qui ne sont pas optimistes, qui vont travailler sans joie, sans se sentir en accord avec leurs convictions, avec leur humanité, qui ont tant à donner, mais qu’on empêche de se révéler, d’accompagner librement. 

L’alternative pour bon nombre de familles, est de laisser leurs aînés en demande d’autonomie, chez eux, dans leur environnement, vivre au rythme de leurs habitudes. Ils sont accompagnés par des auxiliaires de vie, des médecins et des infirmiers travaillant pour des associations, telle que l’ADMR (Aide à Domicile en Milieu Rural). 

Qu’en est-il de leurs conditions de travail auprès des bénéficiaires âgés ?

Sont-elles préférables à celles mises en lumière précédemment ? 

Morgane a fait le choix de devenir auxiliaire de vie auprès de cette association, en Savoie, il y a deux ans, après un passage en EHPAD. Elle met elle aussi en avant le manque cruel de personnel, et donc de temps, entraînant un lien avec les bénéficiaires entaché par ces contraintes budgétaires. « J’ai parfois le sentiment de mal faire mon travail parce qu’on ne prend plus le temps d’être présent à ce que l’on fait. En enchaînant les tâches et les bénéficiaires, nous perdons en humanité. »

Pour cette passionnée, les conditions sont tout de mêmes meilleures qu’en EHPAD : « les interventions sont chronométrées mais relativement bien adaptées, même s’il n’y a aucune place pour l’imprévisible. » Il faut savoir jongler entre le ménage, l’aide au repas, la toilette, les courses, les promenades, l’administratif, l’écoute, tout en tissant un lien de confiance mutuelle avec le bénéficiaire.

La question du budget revient à chaque réunion, forçant le personnel à prioriser certaines situations. Le manque de soignants entraînant également une perte de repère chez les bénéficiaires, qui doivent s’adapter à plusieurs référents, parfois dans une même journée. 

Morgane conclut en nous disant que le métier ne fait pas rêver, malgré une légère prise de conscience au niveau national depuis le Covid. Les salaires ne sont que trop peu attractifs, les horaires rebutent, les conditions de travail effrayent et révoltent. Et pourtant, il en va de la survie du métier. 

Eugenio-Zampighi (1859-1944), Scène de famille

Repenser la place de nos aînés dans la société

Comment s’occuper convenablement de toutes ces personnes en fin de vie ayant de grands besoins, quand « la hiérarchie ne voit que l’aspect financier ? » Quand on fait taire l’humain, qu’on le fait passer après l’argent, que reste-il de sa dignité ? 

C’est toute la sphère médicale, tout le personnel soignant, quel qu’il soit, qui subit la pression budgétaire, sociétale, gouvernementale (on se souvient de ceux mis au banc pour ne pas s’être soumis à l’autorité vaccinale). Et dans le cas de la prise en charge du troisième âge, ce sont nos parents, nos grands-parents, qui souffrent de ce manque d’humanité ainsi créé.

Et dans le reste du monde ?

D’un point de vue sociétal, il semblerait que nos pays occidentaux soient plus enclins à l’agisme que nos voisins. En effet, si en France le terme « vieux » est connoté de manière négative, il évoque dans les pays asiatiques le chef de famille, la sagesse. Les populations chinoises, japonaises, coréennes, vietnamiennes, pour ne citer qu’elles, ont un grand respect des personnes âgées, de leurs aînés. Les maisons de retraite n’existent pas, ou peu. Les enfants et petits-enfants prennent sous leur aile les grands-parents, dépendants ou non. Il est naturel pour eux de continuer de faire vivre ce modèle séculaire, de vivre avec plusieurs générations sous le même toit. De les aider, de les accompagner dans leur fin de vie. Ils sont les clés de la famille, les racines, et sont traités comme telles, avec tout le respect qui leur est dû.

Certains pays d’Europe commencent doucement à changer de cap, à ne plus pousser à l’enfermement de ses citoyens les plus âgés et dépendants. En adaptant les logements, les services, les soins et la mobilité, ils permettent de plus en plus aux proches d’accompagner leurs aînés. L’Écosse en est l’exemple.

Une question politique

La population de l’hexagone est vieillissante, c’est un fait. En 2040, près de 15% d’entre nous auront 75 ans et plus. Il en va de notre avenir, à tous. Et si la question de l’âge de départ en retraite est sur toutes les lèvres, celle des conditions liées à l’après, doit l’être aussi.

En prenant le parti d’explorer ces pistes, le gouvernement français permettrait aux troisième et quatrième âge d’être représentés et d’avoir du poids dans les décisions politiques qui les concernent directement. En adaptant les foyers, en mettant l’accent sur l’aide intergénérationnelle, en augmentant les moyens mis à disposition des familles, le rôle de proche aidant prendrait tout son sens. Il serait peut-être alors possible de modifier ses horaires de travail, sans perdre en salaire grâce à la rémunération proposée, afin d’accompagner ses parents. Pour un juste retour des choses…

Par Jessica Combet

Pour aller plus loin :

Victor Castanet, Les fossoyeurs : Révélations sur le système qui maltraite nos aînés, Fayard, 2022, 384 p. Ici

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