Chaque vendredi, une fiction ou un bout d’histoire…
Le lendemain, toute une réalité m’est retombée dessus. Violemment. Sans aucune pitié. Phil dort sur un vieux canapé débraillé, ça sent la beuh dans la pièce mi-abandonnée qu’on a trouvée pour pas cher. La pièce est sombre et oubliée. Je campe au milieu de la salle sans trop savoir quoi faire. Bon Dieu ce que j’ai envie de pisser. Soulagé, je repense à cette cathédrale, froide, belle, harmonieuse. J’ai l’air de jouer avec les mots ? J’ai l’air d’être un poète ? Peut-être que pas, finalement, je n’ai peut-être pas eu la chance d’avoir ce don. Je retombe peu à peu sur la terre. Me laisse glisser sur le sol gris et poussiéreux. Phil ronfle. Le bruit sourd de l’orgue un soir de Noël. Comme dans ma cathédrale. Elle avait cette façon de s’approprier les endroits, les choses. La cigarette allumée, elle soufflait sa fumée dans l’air, elle marquait son territoire. La fumée a touché mon cœur. Tant d’insouciance dans ce geste. Le con a viré débile. Et c’est con que je suis resté aujourd’hui.
A chaque virage, j’entretenais ma parano, ils allaient venir, me prendre et m’enfermer pour ce que j’ai fait. Je le mérite. A mes meurtres, à ces vies retirées à cause de ce que je pensais être l’amour mais qui finalement s’approprierait plus à un terme comme « folie ». Le doux prénom de Folie qui ne me laisse plus seul. Le vrai Amour. J’attendais de cette parano tranquille qui rend fou qu’on vienne. Phil me disait qu’il fallait que je profite le plus possible de ma liberté car, même si je ne prenais pas perpétuité, je sortirais vieux, tellement vieux que même le viagra ne me fera pas bander, et tout sera gâché.
Bercé dans la candeur de ma passion. Chaque jour je me bats, chaque jour j’imagine ma vie autrement. J’imagine ma vie si j’avais osé. Dire la vérité. C’est tout ce qui compte. Dire la vérité. Comment ? C’est un combat de tous les jours. Aujourd’hui j’ai les flics à mes trousses et la vérité sur le bout de la langue. J’espère seulement que si mes mots meurent, ma langue marquera la marque au fer blanc de la souffrance de l’Homme. L’Homme qui fuit ses problèmes. L’Homme qui se suicide, toujours à la recherche du bonheur. Je parle alors que je ne connais pas vraiment cette vie, ne l’ayant que frôlée du bout des doigts, timidement, maladroitement, mais on comprend vite à quoi s’attendre. La vie n’est qu’une dealeuse d’événements à saisir. Je fais partie des combattants parce qu’aujourd’hui, je fais encore vivre l’absurde, je m’amuse avec elle et la casse.
Je frotte. Je frotte la froideur du sang qui perle à mes yeux. Mes mains gelées par la neige. Je les frotte pour mieux les sentir. Ces mains qui pleurent la mort des filles. Le don m’a été donné d’aimer une fille. Une petite femme. Le don m’a été donné du désespoir. Triste je suis et triste je resterai. Triste je veux être et triste je serai. Et j’écrirai pour tous les mêmes. Pour ceux qui ne se connaissent pas et qui sont à côté. Ceux qui comprennent. Ecrire, c’est mon seul confident. L’encre sur le papier, le papier froissé de ma poche. Plutôt que de l’argent, un crayon et du papier. Le métier de la vérité. Les mots je les écris, les décrits, les réécris et les cris. Les verbes je les dessine, les redessine et les signe avec un cygne. La vie elle est rude et dans mon inquiétude je prends de l’altitude pour ne plus être seul avec ma solitude. J’ai critiqué la religion pendant mon ascension, c’est une aberration et j’ai vécu mon abolition en pleine évolution de leur éruption qui a créé mon évasion pendant l’évacuation de leur évangélisation et je fais une révolution en jouant au combat, au nom des mots et de leur beauté dans un monde dopé opé et carré. « Je respire donc j’ai au moins quelques secondes devant moi » me dit Lomepal. Les phrases je leur donne le rythme que je veux et dans mon algorithme je ramasse des marguerites, ce sont mes favorites, quand je les mets au prétérit et m’écrase comme une météorite. C’est pourquoi je vole sur des oies et que j’aboie pour changer vos voies et chanter nos lois qui n’existent pas car nous sommes un combat. Les adjectifs ils sont érosifs, ils sont inoffensifs quand je les mets à l’impératif je suis juste inventif. Lire ça m’inspire pour écrire dans un rire et je crie mes écrits. Je fais ce que je fais pour dire la vérité, la vérité pendant que vous buvez votre thé moi je reste au fin fond du Tibet sans manger parce que je ne demande pas d’argent en échange, j’ai un agenda plein c’est pour ça que je suis absente. Camus le disait, la vie est absurde alors l’absurde je le fais vivre, je le casse et ça me fait rire, ça me fait plaisir de changer mon avenir. Et j’écris comme je vis.
Je m’essouffle un peu dans cette pensée, Couleur écarlate dans l’âme. Je réfléchis au monde, aux gens, plutôt, car le monde n’y est pour rien. Je me souviens de ces rappeurs que j’aimais écouter. Je me souviens de mes amis. Que sont-ils devenus ? Continuent-ils de piailler comme des poules autour d’un mélange suspicieux et d’un bang ? Parlent-ils de moi ? Ont-ils essayé de me contacter ? Je pense que non. L’égoïsme touche toutes les générations. Tu dégages ? Très bien, on fera semblant de se poser des questions, on sera triste devant les caméras pour la forme, et le soir, on se déchirera la gueule et on draguera celle que tu aimais. Même si elle ne se laisserait pas faire, non, elle leur arracherait les parties et les leur ferait bouffer. Un grondement. La faim me tiraillait l’estomac, je me sens faible, fripé, dépourvu de chair et de muscle, je vois des océans de sang et de bras blancs, du sang encore chaud qui fumerait la vie qui s’échappe. Je me baignerais dans cet océan de sang, je goûterais son goût brulant. Le sang perle sur mes lèvres. Mes mains tremblaient, j’avais peur de moi. De mes pensées. Aurais-je été vraiment capable de tuer quelqu’un que j’aime réellement ? Ma folie nouvelle me faisait halluciner. J’avais des flashs dans mes yeux, je voyais le monde avec des couleurs fades. Phil s’assoit à côté de moi, je ne bronche pas. Il me demande à quoi je pense, je ne réponds pas. Il me tend une bière, je la prends, je la vide d’une traite. J’attends. J’apprécie son silence, sa compréhension. Ce n’est pas gênant et… C’est appréciable d’être complétement à l’aise avec quelqu’un. Combien de fois avons-nous cru à une amitié incomparable avec une nouvelle rencontre qui, au bout d’un certain nombre d’années, nous efface de sa vie comme un vulgaire trait de craie blanche sur le tableau noir ? Le pire, c’est que cela nous rend triste. Que faisons-nous des souvenirs restants ? Combien de fois nous le répéterons-nous ? Que les vrais amis se comptent sur les doigts de la main… Qu’il vaut mieux être seul que mal accompagné ? Pourtant, le lien qui nous unissait avec Phil n’était ni amical, ni amoureux. C’était juste spécial, alors même qu’on ne se connaissait pas. Les questions ne se posaient pas, les réponses ne s’attendaient encore moins et tout allait pour le mieux. La connaissance de l’autre se fera avec autrui. Et connaître le passé de l’autre ne signifie en aucun cas qu’on le connaît aujourd’hui. C’est bien plus profond, bien plus compliqué. Même si on dénigre l’amitié à l’amour, son jeu en est tout autant compliqué. C’est un art d’être avec autrui, même si cela est pour certain indispensable. En bref, « l’Homme est un animal politique » comme le dit Aristote (oui parce qu’à mes heures perdues j’ai quand même eu mon bac) dans la mesure où il prend conscience que vivre avec autrui n’est pas totalement naturel pourtant presque vital. Cela ne veut pas dire que c’est compliqué, mais il faut parfois fournir un effort pour comprendre les gens, leur manière de penser, leurs actes… Plutôt que de toute suite les répugner.
Avais-je vraiment fait le choix de devenir fou ? Je ne pense plus. Non. Depuis mon premier meurtre, et sûrement pas le dernier, je ne m’étais jamais senti aussi vivant. Je comprenais enfin le monde. Les relations humaines qui font chier. Je comprenais enfin qu’il fallait juste que je m’en tape parce que maintenant, j’étais seul avec une vraie personne derrière moi. Je ne me laisserai plus avoir par l’Etre d’aujourd’hui. L’Etre qui prône le diplôme plutôt que le talent sous prétexte de crédibilité. Si je dois rester un galérien pour toujours alors je le resterai. Si je dois vivre comme une drogue dure alors qu’il en soit ainsi. Si je ne dois plus jamais connaître la douceur du bonheur, et bien je ferai en sorte de faire de ma tristesse une œuvre d’art.
A suivre…

Dessin de Héloise Braizas