Un premier meeting unitaire des forces politiques progressistes contre la « réforme Macron-Ciotti » s’est tenu hier au cœur de la capitale devant plusieurs centaines de personnes dans la foulée de l’annonce de l’opposition syndicale. Un prochain rassemblement est d’ores et déjà prévu le 17 janvier. Reportage.
Des âmes au visage de la lutte. Environ 700, précisément, qui ont les yeux tournés vers une nuée de caméras et de micros. Ça fourmille déjà, et il n’est que 19 heures. Les gens bien renseignés sauront que derrière cette forêt humaine se cache François Ruffin. C’est l’instigateur, avec son journal Fakir, de ce rassemblement nocturne inédit qui réunit l’ensemble des partis politiques du progrès humain, du NPA au PS en passant par le PCF, LFI, Génération-s et EELV. Mais, dans la salle Olympe de Gouges au cœur de la capitale, le député n’agit pas seul. Les autres complices de cette soirée : Reporterre et Hervé Kempf, son rédacteur en chef et maître de cérémonie du jour. Une sacrée union, faite d’une patte « ruffinoise » et d’une main verte, que l’on décèle même dans le mot d’ordre de l’événement : « Ecologie, social, bonheur. Retraites : la bataille commence ! »
Pour l’occasion, les deux journalistes et leurs équipes ont organisé, en l’espace d’une semaine seulement assurent-ils, le plus grand raout de la gauche depuis les législatives. « La Nupes avait suscité un énorme espoir en juin. Il est temps de rallumer la flamme ! », s’enthousiasme Hervé Kempf après que la « Fanfare invisible » ait joué une reprise de Bella ciao. Car c’est de ça dont il est question : souffler sur les braises du pays contre la réforme des retraites. Et d’ailleurs ce soir, on voit au-delà de la Nupes. C’est la gauche qui est conviée dans toute sa diversité, ou plutôt le monde du travail et de l’écologie. Tandis que, à plusieurs encablures de là, l’ensemble des syndicats ont annoncé leur franche opposition au projet de réforme des retraites de la Macronie, exposé plus tôt dans l’après-midi par Elisabeth Borne.
« Marre qu’on vole mes rêves et, bientôt, ceux de mes enfants »
Comme un clin d’œil, des gilets rouges barrés de jaune sont sur scène. Ils sont de la CGT. L’un prend la parole. C’est Mouloud Sahraoui, manutentionnaire chez Geodis, venu avec ses camarades de lutte, tout juste sortis d’une négociation. « La régression sociale ne se négocie pas ! », avait-il conclu, la voix brûlant de révolte. Une affirmation précédée d’une solide démonstration : « Derrière notre activité, il y a une misère sociale. Notre boulot est pénible, fait de gestes répétitifs et de travail dans le chaud et le froid. » On croirait entendre un livre de Zola. « Imaginez un salarié en train de décharger à 64 ans. C’est inconcevable ! »
Puis, c’est la promesse d’une sentence de mort qui tombe : « Ils veulent nous tuer au boulot. » A 62 ans, un quart des 5% les plus pauvres ne sont effectivement plus de ce monde, rappelle Libération. D’après le sociologue Alessio Motta, cette proportion monte à 31% à 65 ans. Un écho morbide que l’on retrouve dans les interventions de Frédéric Bédel, ingénieur forestier à l’ONF, Séverine Marotel, auxiliaire de vie à Domidom qui n’aura « pas le physique pour faire ce métier jusqu’à la retraite », et Julien Gourguechon, conseiller de vente à Leroy Merlin. « J’en ai marre qu’on vole mes rêves et ceux, bientôt, de mes enfants » lâche ce dernier, ému. « Je serais dans la rue pour mes aînés. » Désabusé, l’homme au « sang vert » va jusqu’à soutenir qu’il « n’y a que là qu’on peut gagner ».
L’argument, une des armes de la démocratie
Mais parmi les armes d’un démocrate, il y a aussi les arguments. Donc, après les êtres marqués, voilà les paroles marquantes. Pour Rachel Silvera, économiste à l’université de Nanterre, « la retraite est un miroir grossissant de toutes les inégalités », en particulier celles entre les femmes et les hommes. 40% de pension en moins pour les premières, selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques parue en 2021.
Et de l’argent, il y en a ? Dans les caisses du patronat, répliqueraient certains en chantant. « Pourquoi Macron veut-il faire cette réforme alors que 70% des Français y sont opposés ? », s’interroge faussement Youlie Yamamoto d’ATTAC. « Parce que c’est le chou gras des fonds de pension », estime l’activiste vêtue d’un bleu de travail en souvenir de la dernière lutte contre la retraite sauce Macron en 2019. « Mais aussi parce que cela sert à financer la baisse des impôts de production. » L’exécutif et la majorité présidentielle ont en effet admis à plusieurs reprises que leur réforme pouvait permettre de trouver d’autres ressources budgétaires, en dépit du recentrage récent de leur discours vers la recherche de l’équilibre du système de retraites. La production, on y revient toujours.
« Pourquoi y a-t-il un rapport entre la réforme des retraites et l’écologie ? », a ensuite lancé le rédacteur en chef de Reporterre à l’auditoire entre deux interventions, passant ainsi la parole à Gabriel Mazzolini des Amis de la Terre. Question courte, réponse presque courte. « Parce que la réduction du temps de travail, c’est écolo. C’est lutter contre le productivisme et la financiarisation. La transition exigera beaucoup de travail ! » Et du boulot, dans les semaines à venir, il y en aura au Parlement, l’examen du texte commençant début février à l’Assemblée nationale.
« Les syndicats sont unis, la gauche est unie »
Mais avant le temps des chefs à plume : musique ! On se lève, chante et danse sur l’air de « I will survive » – la salle s’appuie sur des paroles distribuées par ATTAC. « On ne veut pas perdre notre vie à la gagner. » « Nous, on veut vivre. » « Justice ! » Des paroles qui promettent que ça va « chauffer en manif ». Soudain, la salle s’assombrit sous les huées. On diffuse un extrait vidéo des annonces de la Première ministre. Comme pour préparer les parlementaires qui vont bientôt s’élancer.
En premier, voilà le réalisateur de Merci Patron, J’veux du soleil et Debout les femmes. Après avoir rendu un hommage aux « travailleurs », il marque ensuite une pause, jauge la salle et alors s’exclame : « Il y a un message simple : les syndicats sont unis, la gauche est unie ! » La cheffe des Verts Marine Tondelier lui emboîte le pas : « Le 19 janvier, un rendez-vous est unanimement donné [à l’appel des syndicats] ! » « On ira manifester », poursuit-elle, avant de se faire compléter par un homme dans la salle : « Tous les jours ! » Alors que, selon BFM TV, le renseignement territorial s’inquiète d’une potentielle « mobilisation citoyenne d’ampleur » face à « la poursuite de la dégradation du pouvoir d’achat, couplée à des réformes mal perçues ».
« La bataille va être âpre ! », prévient Boris Vallaud, président des députés socialistes. « J’espère qu’à partir de ce soir vous mobiliserez une énergie renouvelable », dit-il, décrochant quelques sourires au passage. Les mots qui ont suivi – chose étonnante – ont cependant moins eu la couleur du parti à la rose que celle du drapeau rouge. L’ancien conseiller de François Hollande à l’Elysée a cité la CGT, vitupérant une « retraite pour les morts », puis Ambroise Croizat, appelant à un mouvement social tel un « fleuve » et s’est fait le porte-voix des « dos cassés », des « articulations rongées » et des « poumons mités ». Le PS la retrouve, finalement, son histoire ouvrière. Vallaud a tenté, enfin, une cerise sur le gâteau : « On veut rouler sur l’autoroute du bonheur. » Un parlementaire des Landes à l’accent décidément picard, celui de Ruffin.
« Notre ennemi, c’est l’indifférence ! »
Ce style que connaît bien Mathilde Panot, patronne des insoumis de la chambre basse, presqu’autant acclamée que le député-reporter. « La réforme des retraites Macron-Ciotti est anti-pauvre, anti-féministe et anti-écologique. » Le constat est partagé par tout le monde à la Nupes, et même au NPA, représenté par Pauline Salingue. Seul Fabien Roussel, dirigeant du PCF, s’est néanmoins « risqué » à faire des propositions, rappelant « l’engagement commun à gauche : la retraite à 60 ans ». Pas si risqué en définitive, car c’est bel et bien le programme de la Nupes. Mais que certains, notamment au PS, tentent déjà de faire oublier.
Un collectif à gauche que d’autres s’attachent toutefois à souder et à étendre, à l’image de Léa Filoche, nouvellement élue à la tête de Génération-s : « Nous devons partir unis sur un projet de société qui doit se faire entendre bien au-delà de cette salle. » Une salle comme une base, et une base pour changer de monde. Ruffin, qui a l’art du chevalier lettré sans être chevalier des arts et des lettres, s’est finalement voulu galvanisant : « Ils comptent sur la résignation. Notre ennemi, ce n’est pas Borne, pas Macron, même pas la finance. C’est l’indifférence ! On est le cœur du réacteur. Maintenant, il faut qu’on aille réchauffer le pays ! »