Quelle école pour demain ?

Dans un monde qui se désagrège, entre climat instable, parents démissionnaires et éducation nationale en perdition, quelle empreinte scolaire et éducative laisserons-nous à nos enfants, adultes de demain ?

Pap Ndiaye, Ministre de l’Éducation Nationale, l’a annoncé : les chiffres de l’étude PISA menée sur l’année 2018 font état d’une baisse généralisée du niveau scolaire, par rapport à nos voisins de l’Europe des 27. Cette étude a pour but de définir une moyenne, basée sur les compétences en lecture et résolutions de problèmes des adolescents de 15 ans. L’objectif à atteindre ? Que cette moyenne ne passe pas en dessous des 15% de réussite. Les jeunes français obtiennent une note de 21%. Ce qui signifie qu’en 2018, dernière année de révélées statistiques, 21 élèves sur 100 n’avaient pas acquis les compétences nécessaires en sortie de collège. La moyenne européenne se situe à 22,5%.

Même étude chez les CM1, selon l’enquête TIMSS de 2019, la moyenne des élèves insuffisamment compétents en Europe se situait à 6%, quand pour les Français, elle s’élevait à 14%.

Comment expliquer cette mauvaise note française ? La réponse semble être multidimensionnelle. Sociétale, familiale, éducative. Le débat est ouvert !

Grandes personnes en devenir, nos enfants sont en première ligne pour tester les nouvelles réformes et lubies institutionnelles, avec derrière eux, leurs instituteurs, eux-mêmes en grande souffrance. La réponse du gouvernement ?  Augmenter le temps consacré à l’apprentissage de l’écriture, ou élever le nombre de dictées ainsi que leur niveau, tout en réduisant le budget alloué par l’État à son strict minimum et en supprimant toujours plus de postes, et de fait, toujours plus de classes.  

Supprimer, fermer, mais où est l’égalité ?

1148. C’est le chiffre alarmant de postes qui seront supprimés à la rentrée 2023, englobant public et privé. Le nombre d’élèves diminue, c’est un fait, l’effectif national total passant de 6 462 000 en septembre 2022, à une estimation proche des 6 370 800, un an plus tard. La démographie étant en baisse, les prochaines rentrées seront forcément touchées.

En parallèle, un nombre grandissant d’écoles prône l’ouverture des toutes petites sections, devant accueillir des enfants qui marchent depuis quelques mois, parlent à peine, et qui n’ont nul besoin d’être continents, du haut de leurs deux ans.

Pourtant, pour accompagner ces enfants encore en quête d’autonomie, il en faut, du personnel. Il en faut également pour permettre une véritable inclusivité, là où les enfants en situation de handicap se retrouvent bien trop souvent laissés de côté. L’État se targue pourtant de créer 4 000 emplois d’accompagnants, toujours pour la rentrée 2023. Emplois dont l’État se décharge tout de même en partie, au profit des communes qui doivent les créer et les gérer. Supprimer pour employer, les enseignants ne savent plus à quel Saint se vouer.

Que fait-on de ces enfants dont on vire les profs, dont on ferme les classes ? On les insère sans ménagement dans d’autres classes, qui se transforment en un tour de règle en double ou triple niveaux, dans des locaux non adaptés. Les zones rurales semblent être les plus touchées. La décision finale revient au maire. Cependant, lorsque l’on entend cet élu d’une petite commune alpine décréter qu’un enseignant de moins à rétribuer, et qu’une salle de moins à nettoyer, allègeront les dépenses, nous sommes en droit de nous demander de quel côté sont nos représentants communaux…

Le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye © Ludovic MARIN / AFP

« Un village sans école est un village mort », qu’ils disaient.

Les plus enclins au changement pourraient répondre que des petites sections seraient galvanisés par des CM2, et que ces mêmes CM2 seraient enchantés d’apprendre la pédagogie à leur contact. D’ailleurs, les écoles alternatives type Montessori fonctionnent sur ce modèle, les élèves de 3 à 11 ans partageant professeur, classe et matériel. Cependant, les apprentissages ne sont pas organisés comme ceux des écoles lambda. Tout y est adapté pour favoriser l’autonomie, l’entraide et l’enseignement par empirisme. Le matériel, l’aménagement des salles, le budget ne sont pas les mêmes que dans le public.

« Le Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse porte l’ambition de bâtir une École de la réussite de tous les élèves, qui réduit les inégalités et prépare l’avenir de notre pays », peut-on lire sur le site du ministère. Un joli projet, qui coûtera, pour 2023, 59 milliards d’euros. Il semblerait que d’envoyer pus de mille enseignants sur les bancs de Pôle Emploi leur permette d’augmenter le salaire des restants, afin d’atteindre les 2 000€ nets promis en début de carrière. Quand on sait que ce même gouvernement prévoit de consacrer 413 milliards d’euros répartis sur les six prochaines années à ses armées, le calcul est rapide, 68 milliards par ans, 9 milliards de plus que pour mener nos enfants vers leur avenir. Et tenter d’effacer les inégalités.

La parole aux enfants

Et nos enfants, alors, quel est leur avis sur toutes ces questions qui les concernent directement ? Comment appréhendent-ils le futur, leur futur ? Comment perçoivent-ils l’école, cette institution qui les voit grandir, dans laquelle ils passent le plus clair de leur temps ?

Je suis allée à la rencontre d’élèves d’une classe de CM1-CM2, dans une petite école rurale. Joli village sous les pentes enneigées, privilégié, sans doute, dans cet écrin familial et rassurant. Quatre classes, dont une menacée de fermeture, loin des salles surchargées que connaissent leurs camarades des villes, accompagnés par des instituteurs humains, bienveillants et à l’écoute, ces enfants qui grandissent sans trop percevoir le monde qui ne tourne plus très rond, qui échangent des cartes Pokémon et jouent au foot à la recrée, m’ont ouvert leur cœur, et offert leurs idées pour une école plus juste, plus sereine.

Ils m’attendent, tout sourire, sur leurs chaises d’écoliers. Ils savent qui je suis, ce que je viens faire là, ils sont prêts à discuter. Muni de mes quelques questions et de mon dictaphone, nous commençons.

« -Comment voyez-vous l’école de demain ?  

Les mains se lèvent :

  • Avec des chaises volantes ! Des robots qui nous feront classe !
  • Ça vous effraie, ça, qu’un jour les robots, les écrans qui parlent, puissent remplacer vos professeurs ?
  • Oui, un peu, mais on aura qu’à l’éteindre !
  • Si ça commence avec des profs robots, ce seront nos métiers plus tard qui risqueront d’être remplacés, et puis nous aussi !
  • Les robots seraient plus stricts que le maître !
  • Il faudrait plus de végétation dans les cours, un vrai cuisinier à la cantine.
  • Et pourquoi pas des ateliers pour apprendre à cuisiner, à dessiner, à jardiner ?
  • Peut-être que l’on pourrait prendre une journée de temps en temps pour la planète ? Pour nettoyer la nature ?
  • Nous, on voudrait pouvoir décider un peu aussi, de la décoration des salles, du programme, de l’emploi du temps, des sports que l’on fait,  des plats du midi. Que l’on soit plus inclus, qu’il y ait plus de choix !
  • On pourrait cuisiner tous ensemble une fois par semaine, et manger ce que l’on prépare à la cantine.
  • Il y aura peut-être des cours de jeux vidéo ? Non, ça ne ferait pas du bien à nos cerveaux… Alors un terrain de motocross !
  • On aimerait connaître plus les enfants des autres classes, être tous ensemble, jouer, transmettre, apprendre.
  • Des livres en plus dans la bibliothèque, des livres différents, de quoi s’ouvrir au monde. »

Et leur instituteur de rajouter que c’est en ce sens qu’il choisit les sorties culturelles, pour « un menu varié », opéra, théâtre, cours de musique, intervenants divers.

Une petite voix s’élève au fond de la classe

« -L’école pourrait disparaître !

  • Alors il faudrait faire l’école à la maison.
  • Et si on faisait tout ce qu’on voulait, on serait peut-être plus intéressés par ce qu’on fait? Moins de matières qu’on n’aime pas, plus de matières qu’on aime. Il faudrait voter.
  • On travaillera plus l’informatique, parce que tous les métiers sont sur ordinateur. Avec des tablettes par exemple. On utilisera moins de feuilles aussi.
  • Oui, mais tout ce que l’on écrit et envoie, restent, et ça aussi ça pollue. »
L’école du futur imaginée en 1900. Albert Robida (1848 – 1926)

À mon tour de les emmener vers la douloureuse question du harcèlement. Les voix se font plus timides, un petit rire gêné fuse au premier rang.

« – Racketter c’est pareil ? Je me suis fait harceler pendant deux ans.

  • Je me faisais harceler à cause de ma taille, je leur disais « on est tous différents et ce n’est pas de notre faute » puis on a fait du basket et ils ont bien vu que j’étais utile !
  • En apprenant à se connaître, on arrive à aller contre le harcèlement, en acceptant les autres.
  • On peut les taper ! Pour qu’ils arrêtent de nous embêter !
  • Mais non c’est grave !
  • Je me suis battu pour défendre une petite fille harcelée pour sa couleur de cheveux.
  • Un jour quelqu’un s’est moqué de moi, à cause de ma bouche, mais je n’ai rien dit et j’ai eu peur de le dire à la maîtresse.
  • Si on n’ose pas le dire, on peut l’écrire ! Il faudrait une boîte où peut mettre nos mots dedans, comme dans d’autres écoles.
  • J’avais une queue de cheval, le garçon se moquait, j’ai su que si ça me faisait mal, ça ferait mal aux autres, alors je ne le fais jamais.

Leur maître intervient, leur demandant s’ils pensent que tout est mis en œuvre à l’école pour combattre ce fléau.

  • Dans mon ancienne école, on élisait deux élèves pour être médiateurs et régler les conflits dans la cour. »

Les réponses sont plus discrètes, on sent que le sujet fait peur et mal.

Pour résumer ce petit entretien, les enfants souhaitent plus de partage, d’équité, plus de soutien entre eux, ils veulent se sentir inclus dans les décisions, être importants dans la vie de l’école. L’informatique et la nature prennent également une grande place, paradoxe du 21ème siècle. En d’autres termes, écoutons-les, c’est tout ce qu’ils demandent.

Mais alors, que doit-on faire ?

Quelles solutions apporter pour garantir une instruction complète et variée, une inclusivité sans condition, dans une ambiance propice au travail, à l’ouverture sur le monde, dans la bienveillance et l’écoute, qui permettent à nos enfants de devenir des adultes responsables, soucieux de l’autre et de leur planète ?

Les parents aussi ont leur rôle à jouer, avant même l’instruction nationale. Ils doivent être porteurs de valeurs, s’éduquer autant qu’ils éduquent, transmettre autant qu’ils reçoivent, aider et accompagner comme ils auraient aimé l’être. L’adulte doit prendre conscience de l’importance de l’enfant, de son rôle dans un monde au futur incertain. Un futur qu’il aura dans ses mains un jour ou l’autre.

Les alternatives à une scolarité classique, peuvent également être porteuses de solutions. Pour qui peut se le permettre, tant financièrement que géographiquement, les écoles Montessori, Freinet, Steiner-Waldorf, les écoles hors contrat, sont des mines de savoir-faire, si bien que leurs effectifs ne cessent de croître. Ils sont 30 000 aujourd’hui, à suivre les méthodes d’apprentissage de ces structures, combinant respect du rythme de l’enfant, bien-être, confiance, créativité et autonomie. Et les résultats sont frappants. 100% de réussite au brevet, 95% et plus au baccalauréat, rien que pour les élèves issus de l’école Montessori.

17% des élèves français sont scolarisés dans les 12 500 établissements privés. Longtemps considérés comme étant réservés à une certaine élite, bon nombre de familles font désormais le choix, et les sacrifices financiers qui vont avec, d’y inscrire leurs enfants. Mais là aussi, tout comme les écoles alternatives, la question d’équité peut poser problème. Sélection à l’entrée, milieux favorisés, une « bonne » éducation a un coût, et une certaine limite sociétale.

Et l’IEF alors ? L’instruction en famille, a été la réponse aux familles les plus réfractaires vis-à-vis de l’éducation nationale. Familles en vadrouille, expatriés, enfants ayant des ennuis de santé, étant atteints de phobie scolaire ou sociale, isolement, familles désireuses d’instruire ses enfants, tout autant d’histoires que d’enfants qui vivent une scolarité différente, chez eux ou à l’autre bout du monde.

En 2022 ils étaient au nombre de 71 000. Entre 2017 et 2018, ils étaient deux fois moins nombreux. La loi Blanquer et le contexte sanitaire avaient fait exploser le compteur. Cependant, l’entrée en vigueur d’un volet de la loi contre le séparatisme a changé la donne, limitant drastiquement l’accès, désormais sur demande d’autorisation à l’Académie, à l’instruction en famille. Notre ministre de l’éducation nationale de répondre « l’école à la maison est possible, mais c’est une procédure évidemment encadrée, avec des critères qui doivent être respectés. Et la norme, c’est la scolarisation des enfants à partir de trois ans. »

Enfants de l’État, enfants boucliers, enfants cobayes, à nous de nous unir et de faire bloc, pour garantir leur avenir, dans le plus grand respect de leur individualité.

Par Jessica Combet

Pour aller plus loin :

Céline Alvarez, Les loi naturelles de l’enfant, Les Arènes, 2016, 454 p.

La chaîne Youtube de Céline Alvarez : https://www.youtube.com/@celinealvarez6041/videos

Le tour du monde par André Henri Dargelas (1860s)

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