Responsable du pôle écologie du média numérique et indépendant Blast, où elle réalise entretiens et décryptages vidéo, son nom circule de plus en plus dans les conversations qui ont trait à l’écologie. Portrait.
Le Futur portera sans doute un jugement nuancé sur notre époque. Car les poches de résistance écologistes sont nombreuses, s’activent et se décuplent. Paloma Moritz, journaliste, va présenter dans quelques instants en compagnie de Jean Massiet, « twitcheur » politique à la notoriété croissante, le « Débat du Siècle ». Une sorte de « grand oral » dédié à l’écologie organisé par l’Affaire du siècle – rassemblement de quatre ONG qui avaient attaqué l’Etat en justice en 2018 pour « inaction climatique » – à l’occasion de l’élection présidentielle. L’idée : remettre l’écologie au centre du débat public, alors que l’invasion de l’Ukraine par la Russie a éclipsé la parution du deuxième volet du sixième rapport du GIEC, Changement climatique 2022 : impacts, adaptations et vulnérabilités.
Dans le cyclone des Présidentielles
« On va essayer d’être le plus concret possible pour que vous puissiez vous projeter dans l’avenir et vous demander à quoi vos vies pourraient ressembler à la fin de leur quinquennat », annonce la jeune journaliste aux cheveux châtains et aux grands yeux bleus, un blazer marine sur les épaules. Après trois heures de direct dont 2h30 consacrées aux passages de Yannick Jadot, Valérie Pécresse, Fabien Roussel, Philippe Poutou et Anne Hidalgo, elle souffle. Un court instant seulement, puisqu’elle doit préparer le « rattrapage » de Jean-Luc Mélenchon, indisponible ce jour, qui aura lieu 48h plus tard. Un tunnel.
Quelques jours plus tard, la lumière revient brièvement. Un trou dans l’agenda : on obtient un rendez-vous avec la jeune femme. Derrière un franc sourire et un regard pétillant, on décèle de la fatigue. « Cela fait sept semaines que je dors assez peu », confie celle qui est aussi responsable du pôle écologie chez Blast. Pas étonnant dans un contexte d’accélération de la campagne pour la magistrature suprême. « La préparation des entretiens des candidats a demandé énormément de travail. On était un peu attendu au tournant. » Elle ajoute : « Blast commence à gagner de la notoriété. Et il n’y a pas tant de journalistes qui parlent d’écologie en essayant aussi de s’adresser aux jeunes. Donc je suis de plus en plus sollicitée. » Faire connaître un sujet, c’est aussi se faire connaître.
L’écologie ou la mort
« C’est désastreux de voir que l’on traite encore aujourd’hui l’écologie comme une rubrique, alors que ce sujet devrait irriguer tous les autres », s’inquiète Paloma Moritz, qui n’oublie pas de rappeler la nécessité de prendre en compte la justice sociale, la démocratie et la lutte contre les discriminations. « À la fois dans les médias et en politique, on devrait tout appréhender à l’aune de l’urgence climatique et l’effondrement de la biodiversité », ajoute-t-elle. Habitante de la Terre, l’écologie l’habite. Et depuis toute jeune.
« J’étais déjà passionnée par ces questions il y a une dizaine d’années », se souvient la journaliste. « Souvent, des amis m’envoyaient des articles sur l’écologie en me disant ‘’J’ai pensé à toi’’. Cela arrivait aussi avec des camarades qui ramassaient des papiers dans la rue. Comme si c’était un hobby – du volley ou une petite thématique sympathique. » Cela prête à sourire, nerveusement ! Gageons que ces pratiques puissent évoluer à la faveur de la multiplication des mouvements sociaux écologistes, des alertes scientifiques et de la prise en compte croissante de ces questions dans les programmes politiques.
Son engagement écologiste lui vaut aussi d’intenses morceaux de vie, entre espoir et tristesse. « J’ai vécu des émotions très fortes à la COP 26 à Glasgow en tant que reporter pour Blast», se remémore la journaliste. « J’oscillais entre la zone bleue, officielle, avec les costards (sic) et négociations et les manifestations dans la rue avec les jeunes et dans les actions de désobéissance civile. Je me disais à la fois que rien ne changera et que quelque chose était en train de se lever. » « J’en avais les larmes aux yeux », dit-elle avec une teinte d’émotion dans la voix. Sentiments similaires après la réalisation de La Maison des femmes, une histoire d’héroïnes.

Journalisme, vidéo et indépendance
Son journalisme ne s’est pas fait en un jour. Au sortir du lycée public, elle débute ses études supérieures à l’Institut d’études politiques de Paris. C’est au cours de ces années qu’elle file en mobilité internationale à l’Université de Californie Santa Barbara. Là-bas, elle suit des enseignements traitant d’écologie, de « changement social radical » et de cinéma ; elle comprend aussi que « la communication et l’information » constituent un « élément central de notre époque ».
Ses deux dernières années d’études ont été consacrées au passage du double-diplôme « Communication and Media » de Sciences Po Paris et de l’Université de Fudan à Shanghaï, d’abord en France puis en Chine. Qu’elle a séparées d’une année de césure au cours de laquelle elle a effectué deux stages de journalisme : un avec Martin Weil au Petit journal et un autre avec Yemaya, boîte de production de documentaires et de reportages.
Sa signature à elle, c’est la vidéo. « La plupart des prises de conscience que j’ai eues se sont faites grâce à des documentaires », raconte celle qui est également passée par Spicee, un média en ligne qui se voulait à l’origine le « Netflix du documentaire », la rédaction en chef du dispositif de l’association On est prêt, couvrant la Convention citoyenne pour le climat, puis Le Média en tant que pigiste avant de rejoindre Blast. « Dans le documentaire, il y a une force sensible et artistique », estime-t-elle. Le premier qui l’a marquée : Une Vérité qui dérange de Davis Guggenheim qui retraçait en 2006 l’action de sensibilisation au dérèglement climatique d’Al Gore après sa défaite à l’élection présidentielle des Etats-Unis d’Amérique de 2000.
Lors de son passage chez Spicee entre 2015 et 2019, elle a notamment réalisé les documentaires Tous Président à propos de la « Primaire.org », primaire citoyenne en ligne pour le dernier scrutin présidentiel, et Les Tréteaux blancs au sujet d’une troupe de théâtre du même nom qui intervient auprès des enfants malades dans les hôpitaux et qu’elle a fréquentée. À l’issue du premier documentaire, elle a notamment cofondé en 2018 le collectif « Mieux voter » pour promouvoir le jugement majoritaire, mode de scrutin popularisé à l’occasion de la « Primaire populaire ».
Enfin, pour elle, l’autonomie est essentielle. « J’ai toujours voulu travailler pour des médias indépendants. Car on y trouve une liberté qu’il n’y a nulle part ailleurs », considère-t-elle. Elle se sent d’ailleurs « totalement libre » chez Blast. Mais elle est consciente des limites que cela implique. « On est dépendant [NDLR : financièrement] d’un engagement citoyen », regrette la journaliste, qui souhaite reprendre les reportages après la présidentielle. Une forme, donc, d’indépendance-dépendance. La liberté a un prix !
Racines et obsessions de l’engagement
« J’ai ressenti très tôt une impression d’absurdité du monde », explique Paloma Moritz qui fait partie d’une adelphie de cinq sœurs et un frère. Celle qui a grandi dans les Hauts-de-Seine poursuit : « Ma volonté d’engagement vient sans doute de cette envie de réaccorder les choses, de régler le monde pour diminuer cette sensation d’absurdité. Je me suis cependant dit que j’allais essayer de le faire à mon échelle. Clairement, je me suis toujours dit que je ne suivrai pas la petite voie tracée. » Tumulte et utilité. Alors elle a fait siens quelques mots du philosophe Friedrich Nietzsche : « Il faut avoir du chaos en soi pour enfanter d’une étoile dansante ». Et ceux du poète Charles Baudelaire : « Maudit soit à jamais le rêveur inutile. »
Cette humeur révoltée, qui s’accompagne d’une insatiable curiosité intellectuelle, confine souvent chez elle à l’idée fixe. « Lorsque je découvre un sujet qui m’intéresse, j’en deviens un peu obsédée », sourit-elle. « Par exemple, quand je lis un livre féministe, j’en parle et en offre à tout le monde. » Pas étonnant si l’on considère qu’elle subit le sexisme au quotidien notamment dans le cadre de son activité de journaliste. Sa marotte du moment ? « Le rapport du GIEC ! », lâche-t-elle sans attendre avec un rire nerveux. « Je crois que je dis ‘’GIEC’’ 15 fois par jour. »
Toutefois, il lui arrive aussi de s’aérer l’esprit. L’art, et plus particulièrement la lecture de la poésie, est sa fenêtre ouverte. Plus jeune, elle a aussi pratiqué le théâtre, la danse et le chant. Son coup de cœur s’adresse à l’écrivain Romain Gary dont l’œuvre traite selon elle de la « quête de l’absolu– ce qui nous dépasse ». Une recherche qu’elle partage. « J’ai aussi le désir de toucher à l’universel, à ce qui nous lie les uns aux autres. »
Propos recueillis par Marius Matty
Cet article est issu de notre numéro 7, « Les Oubli(é)s de la Présidentielle » paru en avril 2022, et disponible ici.

