Chaque vendredi, une fiction ou un bout d’histoire…
5h. Phil et moi sommes arrivés devant un immeuble crasseux dans une rue crasseuse. Ici était notre nouveau logis depuis quelques jour. En montant les marches crasseuses, nous croisâmes un homme de la quarantaine blanc comme un linge crasseux. Pas de bonsoir. L’ignorance totale et la fuite des regards gênants. Nous poussâmes la porte crasseuse et arrivâmes dans un appartement sombre et crasseux. Phil se jeta sur le frigo crasseux, s’ouvrit une bière et mangea une part de pizza froide que j’espère non-crasseuse. Je me roulais un joint pendant que Phil mettait Georgio en fond de bruit. En fond de bruit. J’aimerais ne plus entendre parfois. Ne plus voir. Les yeux perdus dans le vide. Perdu dans mes frissons. Pathétique.
« -Je vais faire un tour Phil.
– Euh d’accord. »
Je sortis de l’appart et commençais à explorer les alentours. C’était un immeuble de six étages visiblement vides. Ou du moins avec peu d’habitants. J’entendais les échos de télés mexicaines. Une forte odeur de beuh. Et moi ? Et moi ? Et eux ? Qui viendrait pour eux ? Les échos inconscients de l’inconscience. Les tricheurs de l’Homme en sont essence. Pathétique. Ils sont pathétiques. Devant leurs télés, devant leurs études qui les rend tous pareil. La même connaissance pour des ambitions, de la curiosité et des mérites différents. Des tricheurs de l’Homme, c’est comme ça que je les appelle. Une forte odeur de beuh. Je m’approchais d’une porte, écoutais. Tchaïkovski. C’est beau. Je restais là à écouter. Un frisson me parcourut l’échine. Mes yeux me piquent. J’ai oublié comment pleurer. J’ai oublié pourquoi j’étais là. Moi, qui jeune voulait écrire, changer le monde. L’utopiste acharné de la beauté du monde. Et c’est comme ça que j’ai fini par m’exprimer. En oubliant. La porte dans un sursaut s’ouvrit. Une belle fille se planta devant moi. Etonnée peut être. Belle. Elle me regardait. Elle attendait. Puis elle me chuchota quelque chose. Puis elle me sourit. Puis elle recommença, son souffle chaud sur mon oreille. Marguerite, me disait-elle. Marguerite. Je la connais. Cette Marguerite. Elle ferme la porte. Je mets du temps à comprendre. Elle a deviné ce que j’avais fait. Elle a deviné ce que j’étais. Mon front contre le mur froid. Un déclic. Je ne bougeais plus pendant longtemps. 17h, ça recommence, comme si les cernes noirs qui me bouffent ne suffisaient pas. Mes yeux brûlants. Le froid pince ma peau tiraillée. Par la clope des nuits blanches. Incapable de comprendre les mots volants des lèvres du jour.
20h, trop de bières dans les veines et trop de fumées dans les poumons, mes nuits bien trop sombres me tuent. Repenti de mon enfance ratée, j’aspire une bouffé. Les yeux brouillés du noir des nuits blanches. J’expire la fumée à la couleur de mes nuits.
23h, une ébauche de sourire, une douceur de beuh. Je vivais ma vie grâce à l’alcool.
Minuit, avant même d’être adulte je désirais la mort. Bien trop peureux pour mourir, je soufflais de mon cerveau bloqué. Bien trop heureux pour ce que j’étais, j’aurais dû mourir, je ne méritais rien. Défoncé maudissant ces nuits trop longues. Je pensais à cette fille aux cheveux blancs de la nuit.
1h, mes lèvres saignantes de mes larmes.
2h, vivre dans l’absinthe de ma peur. Ma peur du lendemain. Me ravager le cerveau pour ne pas penser à demain. A ce qui m’empêche de dormir. Plutôt que des nuits blanches euphoriques, la faiblesse de subir la réalité.
4h, j’en paye le prix, le prix de votre faute. Ceux qui m’empêchent de dormir.
5h, Je pisse la fatigue, sue des larmes. Je tremble.
6h, un bourdonnement constant dans mes oreilles. Un bruit de plus en plus fort, enjambement de ma réalité. Un bruit beaucoup trop fort, le bruit de la lumière blanche. La lumière de la mort.
En quel honneur aurait-elle eu le droit de me perturber à ce point ? Mais bref, je me lève, je titube, il est 8h, je n’ai pas bougé de devant sa porte. Je frappe. Un froissement de papier, quelque chose tombe. Elle ouvre, le coin gauche de ses lèvres se soulève dans un rictus de moquerie. Regard insolent. Elle porte juste un pull en laine gris trop grand, ses jambes nues et blanches. Des cernes rouges encerclent ses yeux rouges par la beuh ou les larmes. Je bégaie de mes mots faibles. Entre. C’est une vaste pièce sombre. Quand mes yeux s’habituent au noir, je vois des peintures étranges. Elle allume un joint. Elle l’aspire. J’expire. On sourit. Mon regard est attiré vers une feuille punaisée sur un mur bien trop encombré. Une fleur fanée scotché sur une feuille jaunie. C’est une Marguerite. Comment tu t’appelles ? Carmen. Et toi ? Quelle importance ? On m’aura oublié quand on mourra. On l’aura oubliée plus tard. Elle me demande si j’aime les poèmes. Cette question. Je la regarde de travers. Elle rigole. C’est drôle comme elle est étrange. Si seulement j’avais pu l’aimer.
« -T’es un raté toi.
-Pardon ?
-Ça se voit.
Ma main tremble.
-Tu as déjà été amoureux toi ?
Ma main tremble.
-Ta main tremble.
Je ne réponds plus. Elle ne parle plus, elle flirte avec la fumée. Sa tête jetée en arrière. Sans temps mort pour respirer. La fumée fuyant ses narines, sa bouche, ses poumons. Mes poumons pourris. Le filet blanc s’évaporant dans l’odeur de son charme. Assise sur le canapé, la tête en arrière profitant de cette bouffée de plus qui la rapproche de la mort. Et moi qui suis là, debout, la regardant. Par terre, des mégots pour des larmes, rouges de lèvres.
(A suivre…)
