La Bible de l’assassin (11)

Chaque vendredi, une fiction ou un bout d’histoire…

« Pourtant entre Jane et Jack Les deux peuvent embrumer le cerveau yeah, entre Jane et Jack Un seul t’emmène derrière, oui un seul t’emmène derrière les barreaux. »

Elle chante sur sa guitare les paroles de Dark-k. Grattant les cordes tendues de l’instrument séducteur.  « Oups, elle m’a touché dans le cœur », comme dirait Lomepal. Mon cœur saccadé comme ces pages. Sans rien dire je m’endors, tranquillement depuis longtemps. Calme. Apaisé. Ecoutant sa petite voix grave. Ecoutant le sang battant mes tempes. Les yeux fermés. Enfin. Un petit moment de bonheur dans un labyrinthe. Elle me dit que je suis un faible, que je suis le genre de personnage fictif insupportable car inexplicable, elle a raison. Je suis comme un ver à triturer. A torturer. Elle m’a piqué d’un coup, sans prévenir, doucement mais assez violemment pour me faire serrer les dents.

Je dors. Je me réveille. Dehors, il fait noir. Elle dort, blottie contre moi. J’étais un peu étonné de cette présence si légère. Un tout petit moineau contre mon torse, sans me connaître. Comme si la confiance s’était installée avant les mots, entre deux âmes perdues, deux clichés, deux personne qui ne pourraient être que des personnages de fiction.

Elle se réveille doucement, elle sourit. Elle me dit que ça faisait longtemps qu’elle n’avait pas dormi comme cela, et que ça faisait du bien. Nous regardons par la fenêtre. Tout à coup, je pense à Phil : « Hum Carmen, mon pote doit se demander où je suis passé, je devrais aller voir… Tu… Veux venir ? On est juste en dessous. »

Alors, elle vient avec moi, sans dire un seul mot.

Arrivé devant la porte de notre appartement, un mec en sort, Phil, torse-nu le regarde partir, puis nous capte et sourit. Il a compris qui était Carmen comme elle avait compris qui j’étais. Et sans me dénigrer, elle était présente avec ses larmes d’eau de vie arrosant la mort.

Elle semblait s’inquiéter beaucoup. Qu’elle ne soit pas aimée, qu’il parte du jour au lendemain, de la fin de l’amour. Elle vivait les histoires d’amour comme si elle était dans un livre, et c’est pourquoi elle finissait par avoir mal. Et c’est pourquoi elle ne voulait plus aimer. Et c’est pourquoi elle paraissait dure, froide comme la glace éternelle. C’est un art de comprendre, de la comprendre. Elle croyait être bien en sachant ne pas l’être. Figure dont l’ambiguïté suscite une fausse magnanimité. Face à l’agressivité humaine, selon elle, elle se devait de se protéger derrière cette image d’une fille mystérieuse, intouchable, et bat-les-couilles. Et pourtant, elle n’est pas la seule. Et ceux qui s’y reconnaissent la plaignent de cette position qui se distingue de bien d’autres, puisque c’est un des nombreux chemins de la mort.

Je fais claquer mon Zippo comme un automate. Le feu crépite. Le feu brûle. Le feu détruit. Phil brûle du papier dans la cheminée. Carmen chante la Niaise. Je les regarde, les doigts tremblant sur ma clope. Je les regarde, les doigts à l’odeur du tabac, à la couleur de la cendre froide. Carmen perfusée à la Marguerite fanée. Je sourie. On se sent bien ici. Quand la flamme effleure la main de Phil, il laisse tomber le bout de feuille dans le feu affamé. Agréable chaleur, odeur boisée. Dans ses pensées.

J’ai remarqué qu’elle ne mangeait pas beaucoup, Carmen, elle est maigre, elle picore comme un oiseau, elle fume comme une vorace. Elle dit que le jour où elle retrouvera son père, elle arrêtera de mourir. Son père à l’air d’être un beau connard. C’est pour ça qu’elle l’attend tous les jours dans ce bar miteux. Pour le tuer. Parce qu’il a fait du mal. Mais certaines choses n’ont pas besoin d’être expliquées. Il n’y a pas vraiment d’histoire en fait, elle parle juste. Parce que ça nous fait du bien et que c’est dur aujourd’hui de trouver des gens qui nous comprennent. Un claquement, elle me regarde. Deux claquements, nos yeux se détournent. Trois claquements, on regarde Phil. Quatre claquements, on remarque qu’il est plongé dans des pensées profondes. Cinq claquements, nos cœurs à tous les trois son réchauffés. On pourrait crever à l’image de la paume et des cinq points de Tarantino. A quoi pouvait-il penser ? A quoi tout le monde pouvaient-ils penser dans leurs moments de solitude, de peur ou de tristesse ? Lorage rappait de l’ordi de Phil pour nos âmes en chantier. De la douceur de son pinceau, Carmen peignait la résistance artistique.

Illustration de Héloïse Braizas.

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