Lundi 13 février, le tiers-lieu parisien La Recyclerie organisait une exposition conçue par les éditions Wildproject intitulée « Lancer l’alerte. Rachel Carson et autres sentinelles de l’écologie » à l’occasion de la présentation du programme de parution 2023. Combat faisait partie des heureux élus.
Installée à l’origine à Bruxelles après une commande de La Maison du Livre, cette exposition, forte de son succès, est par la suite devenue itinérante. Jusqu’à Paris, puis après à Caen et à Toulouse. Elle en aura vu du monde. Ce sont d’ailleurs nos yeux qui distinguent, en entrant, les mots d’un précurseur de l’écologie, Henry David Thoreau. « Sous un gouvernement qui emprisonne injustement, c’est en prison que l’homme juste est à sa place. » La lutte pour qu’advienne une société écologique a un prix. Baptiste Lanaspeze, fondateur et directeur des éditions Wildproject, l’a bien saisi. Combat l’a rencontré.
L’exposition se base sur l’ouvrage Printemps silencieux de Rachel Carson. De quoi parle-t-il ?
A partir d’études scientifiques et de témoignages, cette biologiste a établi la dangerosité de la révolution industrielle et chimique de l’agriculture des années 1950 pour l’être humain et la Terre, ce qui a provoqué un tollé de la part de Monsanto et ses défenseurs. Dans la foulée, le gouvernement américain a diligenté une enquête, car le sujet était très sensible à travers le pays. Il y a ensuite été interdit quelques années plus tard, même si sa fabrication a pu continuer après pour être destinée à l’exportation. Cet ouvrage résonne particulièrement avec l’actualité.
Pourquoi ?
Il parle de la santé de la Terre. Le lien radical entre la santé des êtres humains et celle des écosystèmes est devenu central pendant la crise sanitaire. La journaliste Marie-Monique Robin a montré dans La Fabrique des pandémies (2021, La Découverte) que la destruction de la vie sur Terre va de pair avec la fragilité de la santé des êtres humains. En fait, il n’y a pas d’un côté les êtres humains et d’un autre les écosystèmes. Nous sommes nous-mêmes pris dans la 6e extinction de masse des êtres vivants. Prendre soin de la Terre, c’est prendre soin de notre santé.
Qu’est-ce que les lanceurs d’alerte de cette exposition ont en commun ?
Généralement, ce sont des représentants de la société civile qui, de l’intérieur, affrontent une multinationale. Mais les faits ne sont pas toujours nets. On retrouve des personnes qui sont en quelque sorte à la fois à l’intérieur et à l’extérieur d’un système. Par exemple, Daniel Pauly est un scientifique en lutte contre la surpêche, et non un habitant lésé. C’est un savant qui n’opère pas à l’intérieur de l’industrie de la pêche. Beaucoup de chercheurs se retrouvent dans cette position. En substance, un lanceur d’alerte mène un combat radical de long-terme contre une injustice et face à des moyens très puissants. Il finit soit par gagner soit, au moins, par se battre héroïquement.
Mais tout le monde ne peut pas être lanceur d’alerte…
Non… C’est quand même passer plusieurs années de sa vie à lutter contre une multinationale, souvent écrasé par les procès, comme Paul François [NDLR : cet agriculteur indemnisé par Monsanto en décembre dernier pour des problèmes de santé causés par un pesticide]. Un métier non-rémunéré !
L’exposition évoque aussi des « sentinelles de l’écologie ». Quelles sont-elles ?
Ce n’est pas un synonyme de « lanceur d’alerte ». Marin Schnaffer, qui travaille avec moi [NDLR : co-directeur de la collection de poche], est à l’origine de cette expression. Il voulait se ressaisir de la notion historique de lanceur d’alerte. Car, si elle existe encore aujourd’hui, elle a toujours un sens limité. C’est un individu qui est à l’intérieur du système, d’une multinationale ou d’un gouvernement, et va en dénoncer le fonctionnement en attirant l’attention sur un droit bafoué. A la différence d’un lanceur d’alerte, être une sentinelle de l’écologie est à la portée de tout le monde. Nous pouvons tous, en tant qu’habitants, être vigilants sur tel ou tel aspect de notre système socio-économique et en dénoncer les injustices écologiques. Mon collègue fait notamment allusion aux luttes autochtones, celles de gens qui vivent sur un territoire et sont en capacité d’y résister. Ce serait une nouvelle forme de citoyenneté écologique.
Donc on peut être écologiste sans être lanceur d’alerte ?
Oui, c’est un mot très large ! Tu peux l’être en ayant ta carte chez Europe-Ecologie – Les Verts [NDLR : désormais « Les Ecologistes »], en menant un mode de vie conforme aux principes écologistes, en vivant retiré ou, comme c’est mon cas, en défendant les pensées de l’écologie. Il ne faut pas nécessairement une vie militante classique en étant pris, par exemple, dans une lutte de territoires. La figure de l’écologiste est large, plastique. En revanche, tu ne peux pas t’en revendiquer sans faire preuve d’une immense gratitude à l’égard des lanceurs d’alerte. Pour moi, ils incarnent une figure de l’écologiste à l’état incandescent, héroïque.
Dans cette exposition, quel est le lanceur d’alerte qui vous a le plus marqué ?
Sans doute celui qui est le moins connu en France : Shozo Tanaka. Il a mené un combat avec opiniâtreté, malheureusement perdu d’avance, pour sauver des ouvriers et des paysans de la pollution d’une usine de cuivre. Il était à la croisée de plusieurs mondes. Député, il n’en était pas moins un défenseur du peuple. Il a aussi habité jusqu’à ses derniers jours en auberge de jeunesse avec des étudiants. A la fin de sa vie, il ne faisait que monter et descendre les rivières, leurs affluents et les différents bassins-versants [NDLR : surface qui reçoit les eaux circulant de manière naturelle vers un même cours d’eau ou une même nappe phréatique]. Pour lui, c’était « sa » religion : le « tanakisme ». C’est aussi la proximité de son logiciel intellectuel avec celui de Gandhi qui me touche beaucoup.
Maintenant que la crise écologique est largement documentée, la période des lanceurs d’alerte écologistes s’est-elle achevée ?
Ils sont emblématiques d’une période de refus, qui a dit « non » au développement, à l’industrie, aux grands projets. Même s’ils l’ont toujours été, les écologistes doivent être davantage dans une posture de proposition. Ils ne doivent pas seulement dire « non » aux sociétés industrielles, mais « oui » aux sociétés écologiques. Il nous faut passer des lanceurs d’alerte aux visionnaires de l’écologie. En ce qui nous concerne, après avoir traité en particulier, au moment de notre création, de philosophie écologique, nous ambitionnons désormais de dresser le tableau de sociétés écologiques.
Propos recueillis par Marius Matty
