Le mouvement social qui a suivi l’assassinat de Masha Amini par la « police des mœurs » en septembre dernier est durement réprimé par cette théocratie chiite. Si plusieurs centaines de personnes sont mortes au cours des manifestations, le régime a dans le même temps fait des condamnations à mort une véritable « arme de répression politique », selon plusieurs observateurs internationaux. On dénombre à ce jour quatre exécutions effectives. Mais cette « terreur d’Etat » est loin d’être inédite.
Les meubles et la peinture sont intacts. Le café vient toujours du même endroit, loin de là. Les clients sont les mêmes. Et, dans les rues environnantes, ça fourmille autant qu’avant. Pourtant, tout a changé. Téhéran n’est plus la même. Car on ne l’entend plus rire, ni servir, ni chanter.
Mohsen Shekari travaillait dans ce troquet populaire de la capitale iranienne. Il a quitté notre monde en décembre dernier, à 22 ans, exécuté par le régime après une procédure judiciaire fantoche, moquant les droits de la défense et faisant bon usage de la torture. Pour avoir « mené une guerre contre Dieu », il a été le premier des condamnés à mort du mouvement social. En réalité, il aurait simplement contribué à bloquer la circulation d’une rue et blessé un membre d’une milice à l’aide d’une arme blanche.
C’était lors d’une des manifestations en réaction à l’assassinat de Masha Amini, une jeune femme de 22 ans, morte à l’issue de son arrestation quelques jours plus tôt par la « police des mœurs » pour « non-respect du port obligatoire du voile ». Depuis septembre dernier, ces marées humaines ont fait trembler le pouvoir. Tant et si bien que la répression a été rude : près de 500 personnes auraient perdu la vie dont une cinquantaine d’enfants, tuées par les forces de l’ordre lors des rassemblements. Quatre individus ont officiellement été exécutés, accusés d’infractions liées au mouvement social. Dans le même temps, quatorze autres personnes ont été condamnées à mort. Selon Amnesty International, plusieurs dizaines de peines capitales pourraient également être prononcées dans les semaines à venir.
Avec toutefois des différences territoriales, révélatrices des inégalités et des discriminations qui minent ce pays multi-ethnique. « Le nombre de manifestants accusés de crimes passible de la peine de mort est particulièrement élevé dans les régions à majorité kurdes et baloutches », soulignait à ce titre RFI en décembre.
Arme de répression politique
Plus largement, « les autorités iraniennes utilisent de plus en plus la peine de mort comme outil de répression politique contre les manifestants, les dissidents et les minorités ethniques », explique Mansoureh Mills, chercheuse iranienne à Amnesty International. Quant à Fanny Gallois, responsable du programme Libertés de l’antenne française de l’ONG créée en 1961, elle estime que « l’objectif des autorités est de toute évidence d’instiller la peur au sein de la population, dans une tentative désespérée de s’accrocher au pouvoir et de faire cesser le soulèvement populaire ».
Mais rien de tout cela ne serait possible sans un régime contraire à l’Etat de droit. « Le pouvoir judiciaire manque d’indépendance et supervise un appareil répressif qui viole systématiquement les droits de la défense, observe Mansoureh Mills, notamment en refusant l’accès à un avocat, en procédant à des disparitions forcées, à des détentions au secret, en admettant comme preuves des “aveux” obtenus sous la torture, et en organisant des procès sommaires et secrets qui ne ressemblent en rien à des procédures judiciaires. » Les « aveux forcés » de Mohsen Shekari « ont [d’ailleurs] été diffusés quelques heures après son exécution », rapportait Libération en janvier dernier, ajoutant que son visage apparaissait alors « tuméfié » dans la vidéo.

Une justice aux ordres
Un couple police-justice particulièrement autoritaire qui fonctionne au diapason. « Le chef du pouvoir judiciaire et le président ont tous deux souligné la nécessité d’agir “sans indulgence” à l’encontre des manifestants », exposait fin novembre Javaid Rehman, le rapporteur de l’ONU chargé d’examiner la situation des droits de l’homme en Iran. Une justice qui plus est sous le contrôle du Guide suprême, Ali Khamenei, puisqu’il en nomme le dirigeant. Et qui subit une forte pression politique, y compris de la part du législateur, faisant fi de l’équilibre et de la séparation des pouvoirs. « Le 11 novembre, 227 parlementaires, en violation flagrante de la séparation des pouvoirs, ont appelé le pouvoir judiciaire à agir de manière décisive et à prononcer des peines sévères, y compris des condamnations à la peine de mort », pointait ainsi le rapporteur spécial onusien.
Les tribunaux révolutionnaires, qui sont à l’origine des sentences capitales, s’inscrivent dans l’histoire politique iranienne. Ils ont été créés à la suite de la Révolution de 1979 pour les dossiers « les plus sensibles » – sécurité et opposants politiques. Il arrive fréquemment que les procès des tribunaux révolutionnaires soient filmés et retransmis à la télévision d’Etat. Un procédé que l’on peut imaginer dissuasif, auquel s’ajoute fréquemment la torture pour obtenir des aveux. En 2021, un rapport de l’ONG Iran Human Rights évoquait même un usage « systématique » des supplices physiques et psychologiques. Une brutalité dont témoignait en début d’année pour la BBC, l’activiste Sepideh Qolian, emprisonnée depuis 2018 : « Les bruits de tortures continuaient pendant des heures. »
Par ailleurs, l’opacité des procès freine également les recours. Le droit à la défense ne connaît qu’une application très incomplète. Pour preuve, la quasi-totalité des personnes qui risquaient d’être condamnées à mort n’ont pas eu la possibilité de choisir leur avocat·e, renseigne l’organisation Ensemble contre la peine de mort (ECPM) dans un plaidoyer publié ce mois-ci. L’arbitraire et la partialité du système iranien rendent possible une terreur d’Etat, que l’anthropologue Chowra Makaremi définissait en 2016 comme « l’usage de la violence et de la peur qu’elle inspire lorsqu’elle est employée de façon à la fois imprédictible et régulière ».
Un constat notamment partagé par Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International : « L’État iranien est engagé dans une politique de terreur que l’on retrouve dans la rue et dans les tribunaux. » Une violence généralisée et arbitraire qui se comprend mieux quand on sait que le mouvement n’a pas de leaders identifiés.
Un régime de plus en plus répressif
Cette terreur d’Etat, de même que l’usage de la peine capitale comme arme de répression politique, ne sont pas nouveaux en Iran. « Le nombre d’exécutions a connu une augmentation significative au cours des six premiers mois de l’année, explique effectivement Mansoureh Mills. Cette évolution n’était donc pas liée aux protestations. » D’ailleurs, après l’élection de l’ultraconservateur Ebrahim Raissi – ancien juge des tribunaux révolutionnaires et chef du système judiciaire – à la présidence du pays en juin 2021, « la fréquence des exécutions s’est accélérée […] et leur nombre a doublé au cours du second semestre de 2021 par rapport au premier semestre », soulignait le rapport annuel d’ECPM en date de 2021.
Cette brutalité, de toute manière, existe de longue date. « La violence révolutionnaire n’est pas tant visible dans la phase insurrectionnelle de 1978-1979, qu’au long de la décennie suivante, qui est celle d’une consolidation de l’État dans un contexte de double violence, contre l’ennemi intérieur politique et l’ennemi extérieur irakien », complète la chercheuse Chowra Makaremi.

« Les sanctions internationales vont dans le bon sens »
Depuis la fin des années 1970, et le remplacement du régime du Chah d’Iran par celui des mollahs, de fortes tensions ont émaillé les relations entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Iran. Au fil des ans, le pays de l’oncle Sam a mis en œuvre plusieurs embargos à l’égard de la « République islamique ». Le grief ? Des conflits géopolitiques liés au terrorisme et au développement du nucléaire militaire iranien. Une démarche de franche opposition que l’Organisation des Nations Unies (ONU) et l’Union européenne (UE) ont rejointe au début du siècle.
Dans la foulée de la répression sanglante du mouvement social iranien, de nouvelles sanctions ont ensuite été mises en place notamment par le Canada, le Royaume-Uni et l’UE. Ces réponses de la communauté internationale visent avant tout les dirigeants du pays : interdiction de délivrance de visa, gel des avoirs et restrictions commerciales. Parallèlement, dans le cadre du Conseil de l’UE, les ministres des Etats membres ont depuis l’automne produit quatre trains de sanctions. Le 18 janvier dernier, le Parlement européen a même voté une résolution invitant l’UE à placer les « Gardiens de la Révolution » – structure paramilitaire destinée à protéger le pouvoir iranien – sur la liste des organisations terroristes.
« Tout cela va dans le bon sens », considère Hadrien Ghomi, député Renaissance de la majorité présidentielle, à l’initiative d’une proposition de résolution en « soutien au mouvement pour la liberté du peuple iranien », votée à l’automne dernier à l’unanimité par l’Assemblée nationale. « La mobilisation internationale est très importante, surtout pour mettre fin aux condamnations à mort, soutient le parlementaire. Car l’Iran ne veut pas être au ban des nations. » Néanmoins, l’élu de Seine-et-Marne et d’origine iranienne ne se berce d’aucune illusion : « Le régime pratique des exécutions sommaires depuis 43 ans. Et ils sont conscients que la diffusion des libertés signerait leur fin. Donc ils répriment. »
Par Julie Leblanc et Marius Matty
