Obésité : quand les industriels se jouent de la précarité

Alors que les grands groupes industriels mettent en danger la santé des classes les plus modestes, les politiques de santé publique font le gros dos.

D’après l’étude Obepi-Roche, menée par l’institut de sondage Odoxa à l’automne 2020, 47,3% des Français seraient en surpoids, alors qu’en 2012, date des derniers relevés statistiques, la moyenne fluctuait autour des 30% . 17% seraient touchés par l’obésité, dont 2% par sa forme sévère et complexe, dite morbide.

En tête, les 65 ans et plus, suivis de près par les 55-64 ans, dont plus de 57% semblent atteints par cette maladie chronique. La part des 18-24 ans connaît une forte hausse, avec une moyenne dépassant les 23% d’individus en surpoids.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

L’obésité est reconnue par l’OMS depuis 1997 comme étant une maladie chronique. Maladie chronique multifactorielle, liant physiologie et psychologie, pour laquelle les méfaits ne sont plus à démontrer : diabète de type II, hypercholestérolémie, arthrose, complications digestives, musculo-squelettiques, pulmonaires, cardiovasculaires et métaboliques, troubles psychologiques, dépréciation de soi, troubles alimentaires, complexes et dépression.

L’obésité est la cause d’au moins treize types de cancer différents et susceptible d’être directement responsable d’au moins 200 000 nouveaux cas de cancer par an, selon l’OMS. Le coût de toutes ces maladies sur les finances du pays est à mettre au même plan que celles concernant l’alcool et le tabac.

Un large panel de souffrances, accentuées par les discriminations à l’embauche, au logement, à une vie sociale épanouie pour certains, combinés à une grande difficulté face au regard et au jugement d’autrui.

Les chiffres résultants des catégories socioprofessionnelles sont de bons indicateurs quant à une recherche de réponse. En effet, les professions intermédiaires ainsi que les cadres ou équivalents, sont moins impactés par le surpoids, avec une moyenne se situant entre 35 et 43%. Tandis que les employés, ouvriers et assimilés, sont entre 45,3 et 51,1% à en être touchés. Nous savons tous que depuis quelques années, les produits de consommation se sont vus attribuer des prix défiants la santé. Et de fait, bon nombre d’entre nous se voient contraints de choisir des aliments de moindre qualité, à un moindre coût. La tendance n’est pas prête de s’inverser avec la négociation entre distributeurs et enseignes prévue début mars, qui viendra amplifier le phénomène d’inflation tant décrié dernièrement. A ce stade, la précarité serait une des éventuelles causes sociétales de la maladie.

Qualité nutritionnelle médiocre dit, sans conteste, aliments propices à détériorer la santé, plus qu’à la préserver. Quand la malbouffe coûte moins cher qu’un panier de légumes…

Les différents confinements ainsi que la démocratisation du télétravail participent également à une lente mais certaine sédentarisation. Moins de déplacements, moins de sport, d’activité de manière générale, associée à une alimentation transformée, voire ultra transformée, ces ingrédients tendent à former une des recettes du surpoids.

« La précarité serait une des éventuelles causes sociétales de la maladie. »

Vers une nouvelle pandémie

Voilà comment l’obésité a été qualifiée récemment par l’OMS. « Nouvelle pandémie ». Dès l’instant où celle-ci résulte de phénomènes de société, et non plus d’autres problèmes de santé dont l’obésité serait un symptôme (à l’instar de certaines maladies hormonales ou psychopathologiques par exemple) ou bien lorsqu’elle est liée à des facteurs génétiques. Il s’agit de réveiller les peuples et leurs politiques, pour que de vraies luttes puissent être menées, afin de sauvegarder ce qu’il reste de la santé des strates les moins aisées.

Les chiffres à l’échelle européenne ne sont pas moins criants. On estimait, en 2016, que 59% des adultes et 29% des enfants étaient en surpoids. Plus d’un milliard de personne dans le monde souffrent d’obésité. C’est un fléau mondial, reflet d’un capitalisme de masse, combiné à une tendance toujours présente à l’américanisation du marché et des mœurs, couplé à une croissance dévorante, révélant une appétence pour les AUT (aliments ultra transformés), naturellement très bas de gamme, afin de correspondre aux moyens financiers des classes populaires. Du rapide, du mauvais, mais du low cost. Parce qu’il faut bien se nourrir.

En parallèle, 60% des Français sont devenus adeptes de la livraison de repas à domicile, peut-être une meilleure composition suivant les restaurateurs, mais des recettes plus riches que du fait-maison (le burger représentant une livraison de repas sur trois…) et de fait, un budget courses alimentaires qui se voit diminué par des commandes de plus en plus nombreuses.

Selon l’Inserm, une augmentation de 10% de la proportion d’aliments ultra-transformés dans le régime alimentaire s’est associé à une augmentation de plus de 10% des risques de développer un cancer.

Quand les lobbies alimentaires rendent malades

74% des produits issus de la grande distribution contiennent du sucre raffiné. Plats salés, produits « allégés », huiles, pains, sauces, tout est prétexte à en rajouter. Cet ingrédient est à lui seul responsable de l’accumulation de graisse dans le foie, de l’accélération du vieillissement cellulaire et il empêche la sensation de satiété. Les personnes souffrant de fragilités intestinales ou immunitaires seraient plus enclines à tomber malade, et dans le piège des sucres rapides et ajoutés. Quand on sait à quel point cette fine poudre peut rendre addict, il est essentiel de s’en prémunir, de limiter ses dégâts, d’ouvrir les yeux d’une population qui se retrouve en position de cobayes pour de grands industriels bien peu scrupuleux.

Il en va de même pour les produits « light » riches en édulcorants de synthèse. En 2019, des chercheurs de l’Inra et de l’Université d’Adélaïde ont testé chez l’animal les effets métaboliques du mélange acésulfame K – sucralose, que nous connaissons sous le terme d’aspartame. Il en résulte que la consommation sur le long terme d’un mélange d’édulcorants à une dose équivalente à celle absorbée quotidiennement par certaines personnes, soit 500mL, conduit à des modifications profondes et indésirables du métabolisme du glucose, notamment au niveau cérébral. Les phénomènes observés sont les mêmes que ceux qui surviennent au cours de la prise pondérale chez la personne obèse.

Les politiques sous le joug des lobbies ferment les yeux, en offrant aux industriels les moyens de s’engraisser, au détriment de la santé des peuples.

Et ils sont nombreux, ces lobbies, à tenir des stands sur le marché de l’obésité. Coca-Cola, Danone, Heinz, Nestlé, Kellogg’s, Pepsico, etc, à saupoudrer chacune de leurs préparations de sucre et d’additifs au goût acidulé de chimie : acide benzoïque, benzoate de sodium/potassium/calcium, phosphate en tout genre, nitrite, acide borique… Un fameux cocktail moléculaire pouvant nuire à la fertilité, provoquer asthme et rougeurs. Ils sont également suspectés d’endommager les systèmes endocrinien, cardiovasculaire ou rénal, être la cause d’un grand nombre de cancers ainsi que de malformations sur les fœtus, et allant jusqu’à favoriser une hyperactivité chez l’enfant. Ils se cachent littéralement de partout, fromages râpé, charcuterie, viande, boissons aromatisées, chewing-gum, matières grasses, préparations à base de céréales pour les nourrissons. La liste n’est pas exhaustive.

« Les politiques sous le joug des lobbies ferment les yeux, en offrant aux industriels les moyens de s’engraisser, au détriment de la santé des peuples. »

Industriels et politiques, quelles solutions peut-on envisager ?

Il va de soi qu’une éducation à l’alimentation santé est primordiale, mais par qui, par quoi, doit-elle passer ? Il n’est peut-être pas aisé ni naturel pour certaines familles, surtout celles aux revenus les plus modestes, d’apprendre aux générations futures à cuisiner, reconnaître quels sont les nutriments à privilégier ou à éviter.

Pourtant, la prise de conscience des familles doit être réelle, pour ne plus glisser dans le jeu vicieux des agroalimentaires. Il faudrait alors apprendre à cuisiner avec des produits naturels, basiques, et de saison, pour éviter au maximum cette dépendance aux grands groupes qui empoisonnent.

L’école, suivie par les collectivités, peut également jouer un rôle, même minime. En décembre dernier, il a été demandé par l’Éducation Nationale, avec l’aide des mairies, d’organiser dans certaines écoles un petit déjeuner, sous le slogan « p’tit déj’ à l’école » dans l’optique de montrer toute une diversité de produits consommables au réveil. Les instituteurs pouvaient en profiter pour évoquer le sujet de l’alimentation avec leurs élèves. Cependant, dans les écoles participantes, les enfants se sont souvent vus proposer du fromage, du jambon, des céréales… Nous sommes bien loin d’un modèle santé. C’est une éducation nécessaire lorsque l’on sait que près d’un enfant sur trois est déjà en situation de surpoids voire d’obésité.

 « Aucun État n’a réussi à endiguer l’épidémie d’obésité. (…) La volonté politique de s’attaquer à une grande industrie qui fait défaut. » 

Margaret Chan, ancienne directrice de l’OMS

L’État, depuis 2001 a mis en place les désormais célèbres « Manger Bouger », « Manger 5 fruits et légumes par jour », « Ne mange pas trop gras, trop sucré, trop salé ! » censés servir de politique de prévention à visée des enfants. Quelques mots au moment des pages de publicités, avant leurs dessins animés préférés à l’heure du goûter, que les enfants ne voient ni n’entendent même plus, alors que les produits ultra-transformés sont disponibles partout et dans une proportion infinie.

La publicité est le cheval de Troie de la malbouffe, à grands renforts de couleurs, slogans qui se mémorisent dès la première écoute. Personnages rigolos, musique entraînante, la panoplie des publicitaires et par extension des marques, est infinie elle aussi. Les enfants en mangent, et en redemandent. Les parents voulant faire plaisir à leur progéniture achètent, et le cercle est sans « faim ».

L’ONG Foodwatch tend à dénoncer publiquement les industries agro-alimentaires ainsi que la démission de nos dirigeants dans la course à la malbouffe. Ils ont récemment contacté les principales enseignes de l’hexagone, afin de leur faire part de la volonté grandissante des citoyens d’interdire toute publicité et marketing ciblant les enfants de moins de 16 ans, sur les produits trop gras, trop sucrés et trop salés, sur la base des critères mis en exergue par l’OMS. Lidl, par exemple, a supprimé tout marketing à destination des enfants. Seulement quelques-unes ont pris l’épineuse question au sérieux : Biocoop en tête qui a déjà supprimé ce genre d’interface publicitaire ; Intermarché, qui tend vers un effort de transparence et d’étiquetage plus « sécuritaire ». Carrefour, Casino et les autres grands groupes n’ont pas ou peu donné suite.

Foodwatch demande également un étiquetage plus poussé, une augmentation significative de la taxe sur les boissons sucrées, tout en déplorant un manque de volonté politique. Ils veulent agir sur l’offre, afin que la demande s’adapte, avec des produits moins nombreux, plus sain, plus simple. Le gouvernement a d’ailleurs choisi d’exclure l’interdiction de la publicité pour la malbouffe à destination des enfants, proposée lors du projet de loi Climat et résilience en 2021.

Si les politiques de prévention ont bien démontré qu’elles étaient inadaptées, pour ne pas dire totalement inutiles, quand les magnats de l’industrie agro-alimentaires pèsent plus que la santé, que la simplicité d’un produit devient cancérogène par sa haute transformation, quand nutrition ne rime plus avec écologie, quand se protéger soi et protéger sa Terre signifie se faire enterrer par les milliards de dollars que soulèvent les impunis, que nous reste-t-il pour nous nourrir, pour nous permettre de vivre ? Et si la réponse tenait en un seul terme : « Décroissance » ?

Par Jessica Combet

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