Combat consacre cette semaine à des enquêtes, chroniques, interviews et reportages relatifs aux droits des femmes.
Alors que les droits des femmes ne cessent de reculer à travers le monde, la crise climatique pourrait être l’opportunité de mettre sur pied une société plus égalitaire.
« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
Rappelée souvent à tort et à travers à l’arrivée du 8 mars, cette citation de Simone de Beauvoir, tirée du Deuxième Sexe, n’a malheureusement jamais été autant d’actualité. Bercées par l’illusion des avancées de la fin du XXème siècle, toutes les sociétés dans leur ensemble sacrifient progressivement les droits des femmes durement acquis, crise après crise.
Une situation globalement inquiétante
Il y a trois ans, la propagation du COVID-19 à travers le monde a sonné comme l’accélérateur du recul de ces droits. A chaque recoin de la planète, les régressions pleuvent. En 2022, l’ONU reconnaissait faire face à un recul « sans précédent » des droits des femmes et des filles.
En Afghanistan, le retour des Talibans leur a retiré l’accès aux bancs des universités et de l’éducation secondaire, ne leur laissant comme toute consolation qu’une maigre éducation primaire. Aujourd’hui, les Afghanes se voient bannies de la plupart des emplois publics, sont exclues des jardins publics et des salles de sport, et ne peuvent voyager qu’à condition d’être accompagnées d’un parent masculin.
Au Brésil, la violente parenthèse Bolsonaro a gravement porté atteinte à la sécurité des femmes. D’après un rapport établi en début d’année par la Fondation Jean Jaurès et l’association féministe Equipop, « les féminicides recensés dans le pays n’ont jamais été aussi élevés depuis les premiers décomptes en 2017. »
Plus médiatisé et plus proche de nous, le recul du droit à l’avortement aux Etats-Unis fait froid dans le dos. La décision de la Cour Suprême de mettre fin à l’arrêt Roe v. Wade, qui protégeait le recours à l’IVG depuis près de 50 ans dans le pays, a créé une fronde toute puissante contre les droits des femmes à disposer de leur corps. Au total, 26 États pourraient interdire l’accès à l’avortement dans le pays. Cette situation n’est pas arrivée du jour au lendemain : entre le 1er janvier 2011 et le 1er juillet 2019, 483 restrictions sur l’avortement avaient été promulguées par les Etats selon l’Institut Guttmacher, spécialisé dans la recherche statistique sur les droits reproductifs dans le monde. Ces préparatifs de l’ombre témoignent à eux seuls de la fragilité des droits des femmes, et de la nécessité de placer des garde-fous à tous les endroits où le pouvoir opère.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, tout cela n’arrive pas que « chez les autres ». Explosion des violences conjugales et intrafamiliales, sous-représentation dans les instances de décision, professions dévalorisées, progression de la charge mentale… ces dernières années, l’Europe a rejoint le tempo. L’exemple de la Pologne, dont le gouvernement reprend impunément le contrôle du corps des femmes à coups de lois traditionnaliste, suffit à le prouver. Et la France, terre natale de Simone de Beauvoir, ne fait pas figure d’exception. Encore surreprésentées dans les professions du « care », associées aux femmes car assimilées aux tâches domestiques, les travailleuses subissent sans cesse dévalorisation salariale et déconsidération politique.
Le changement climatique, accélérateur de risques
Moins connu et pourtant de plus en plus d’actualité, les conséquences de la crise environnementale sur les femmes continuent d’augmenter au nez et à la vu des médias. Dans les pays du Sud, les femmes sont dépendantes de ressources naturelles qui diminuent à petit feu et usent leur santé à chercher de l’eau et de la nourriture toujours plus loin. Dans ce contexte qui agit comme un multiplicateur de risques, mariages forcés, mutilations génitales féminines, achat d’enfants dès le ventre de la mère, deviennent monnaie courante. Lors de catastrophes naturelles, le risque de décès est 14 fois plus élevé pour les femmes que pour les hommes. Moins autonomes, éternellement sous le joug de leurs maris, certaines n’ont simplement pas le droit ou la possibilité de fuir de chez elle lorsque survient un événement extrême. Et lorsqu’elles parviennent à se déplacer, elles doivent faire face à d’autres menaces. Selon un rapport de l’ONU, une femme sur cinq réfugiée ou déplacée dans des conditions humaines difficiles est victime de violence ou de viol.
Et dans nos pays occidentaux, le poids écologique pèse aussi sur les femmes, de manière différente. Ici, pas de mariage forcé ou de déscolarisation, mais une aggravation des inégalités fondées sur la division sexuée du travail. Reléguées dans le domaine du soin et/ou au sein de leur foyer, elles doivent assumer plus de responsabilités à mesure que le dérèglement climatique s’accroit. Face à un système de santé inégal et favorisant les hommes, elles sont aussi les premières à subir les crises sanitaires.
Reprendre le pouvoir
Et si nous tirions opportunité de cette toile de fond inquiétante ? Partout à travers le monde, les solutions et adaptations face à la crise environnementale pourraient bien venir des femmes. Dans les pays d’Afrique, elles doivent faire preuve de créativité pour nourrir leurs familles. Au Congo, une association a même permis aux femmes d’accéder à la propriété foncière, alors qu’elles en étaient jusque-là dépourvues. En Inde, elles sont dépositaires de semences traditionnelles résistantes à la sécheresse. Au Canada comme au Brésil, les femmes autochtones possèdent d’importants savoirs sur les plantes médicinales et les cultures. Au Nicaragua, elles ont appris à ramasser les « conchas negras » (coquillages noirs) dans la mangrove qu’elles protègent en pensant aux générations futures. En Europe, elles réinvestissent les zones rurales pour mettre en place des systèmes agricoles plus respectueux du Vivant et favorisant l’insertion sociale.
En 2019, une étude publiée dans Nature Climate Change indiquait que s’il y avait au moins 50% de femmes dans les groupes décisionnaires, la préservation de l’environnement serait plus efficace.
Au niveau des instances décisionnaires, pourtant, leur place est encore bégayante. Lors de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique de 2022, les femmes ne représentaient que 37% des membres des délégations et n’ont eu droit qu’à 29% du temps de parole. Malgré les recommandations du GIEC et de nombreuses associations et rapports scientifiques, les espaces de pouvoir se renferment ostensiblement.
Il ne tient qu’à nous de tirer parti du renversement à l’œuvre. Dans les années à venir, la crise environnementale mettra à genoux les gouvernants qui aujourd’hui la méprisent. Lorsque les dirigeants verront leur système s’effondrer, lorsque le patriarcat se retrouvera dépouillé, au moment où tout ce qu’ils croient maîtriser leur glissera entre les doigts, la place sera vacante. Dans cette société qui refuse la parité au profit du tout-pouvoir, la faille ne cesse de s’agrandir. La voilà de plus en plus béante. Aux femmes d’aujourd’hui, il convient d’être doublement vigilantes. D’abord, en veillant chaque jour à ce que la lutte pour nos droits ne s’éteigne jamais. Ensuite, pour s’engouffrer à temps dans la brèche de nos sociétés conservatrices lorsque l’occasion sera venue. Demain, les femmes ne seront plus vulnérables. Elles seront la solution.
Par Charlotte Meyer
