Ralentir ou périr, l’économie de la décroissance, écrit par Timothée Parrique chercheur en économie écologique à l’Université de Lund en Suède et paru aux éditions du Seuil à l’automne 2022, pose les bases de ce qui pourrait être la voie à suivre pour un futur radicalement différent, plus juste et égalitaire face au déclin économique, social et écologique de notre monde.
Utopie pour les uns, dystopie pour les autres, le paradigme de la décroissance s’inscrit dans une réalité en demande de solutions stables et pérennes. Il s’agit « de réduire la production et la consommation afin d’alléger l’empreinte écologique, planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et de bien-être des populations ». Elle se différencie de manière notable de la récession qui résulte d’une économie accidentée, comme l’a connu récemment le Venezuela et qui fait tant frémir de par son caractère extrême.
Il a été démontré qu’il n’existe pas de corrélation entre PIB et bonheur, « ce qui compte vraiment pour le bien-être ce n’est pas le pouvoir d’achat mais le pouvoir de vivre ». Et pour transformer l’économie, il est impératif, pour l’auteur, de stopper cette course à la croissance illimitée. L’ingénieur Clément Caudron a calculé que diviser de moitié le PIB français n’aura aucun impact sur les revenus de la moitié la plus pauvre de la population. Décroître pour vivre mieux est tout à fait possible.

Démarchandiser l’économie pour lutter contre les inégalités
Partant d’un postulat centré autour d’un protocole de partage, l’auteur met au cœur de son discours la réduction des inégalités. Il soutient l’idée d’une refonte totale de la politique de répartition, dans le but de créer du bien-être, pour enfin évoluer dans une société au sein de laquelle la richesse sociale et culturelle mettrait un frein à la marchandisation de manière globale. Il s’agit alors de passer d’une production quantitative à une production qualitative, dans une logique de sobriété qui permettrait dès lors de prioriser les besoins et services essentiels.
Timothée Parrique peint l’image d’une société verte où se mêleraient qualité de vie, convivialité, confiance, une harmonisation des populations liées par des réseaux de réciprocité dans un État souverain, autonome, enfin libérer du joug des grands industriels en mal d’argent.
Pour le chercheur, il est temps d’« abandonner l’illusion qu’on va pouvoir résoudre les problèmes écologiques et que toutes ces entreprises continuent à faire du profit ». Retrouver son indépendance vis à vis des multinationales toutes plus polluantes les unes que les autres devient primordial. Si les richesses sont équitablement redistribuées, la pauvreté s’en trouverait sans doute éradiquée. Et pour ce faire, Ralentir ou périr regorge d’idées inspirantes, novatrices, logiques et naturelles.
« Soit on sauve Total, soit on sauve la planète »
Temps, travail, transports
Force est de constater qu’un changement de paradigme si important doit être aligné avec un ensemble de valeurs proches de l’anticapitalisme, sans pour autant tomber dans ce que les plus frileux pourraient taxer de pensée réactionnaire.
Nous avons constaté, il y a trois ans, lors du premier confinement, que nous étions capables de résilience, de consommer moindrement, de changer nos habitudes de déplacement et de loisirs, en somme, de modifier nos comportements pour le bien commun. L’impact environnemental dans ce délai aussi court a lui aussi prouvé à l’humanité que c’était la marche à suivre pour espérer sauver ce qu’il reste de notre chère planète bleue.
Une des premières mesures évoquées par Timothée Parrique réside dans la diminution du temps de travail. Sans installer d’ascension du taux de chômage, puisqu’il s’agirait de réduire à 30 heures hebdomadaire, il laisse la place à un schéma qui permettrait une hausse du nombre de salariés. Cela dans le but de libérer un temps pouvant être mis à profit dans d’autres activités : bénévolat, loisir, domaine associatif, éducation des enfants…
En ce sens, créer du bien-être, comme le proclame l’auteur, engendrerait une meilleure productivité dans son travail. En moyenne, sur une journée de 7h, seulement 4h sont consacrées au poste à proprement parler. En toute logique, temps libre et repos font bien meilleur ménage que le sempiternel métro-boulot-dodo. « Produire moins ferait baisser le temps de travail et viendrait donc libérer du temps pour produire toutes ces choses que le PIB ne mesure pas ».
Un autre point abordé par Timothée Parrique est l’accès au transport. Il va sans dire qu’une importante limitation de nos trajets en voiture et une diminution drastique du nombre de vols doivent figurer en première ligne d’une nouvelle économie.
L’auteur propose également de supprimer certaines lignes aériennes. Rendre facile et gratuit l’accès aux transports en commun participerait à l’effort de décroissance économique.
Le modèle danois du quartier communautaire de Christiana, autogéré depuis 50 ans et basé sur un système où règne collaboration entre voisin, préservation des espaces verts et de l’écologie, dans un espace harmonieux, laisse rêveur.

Repenser notre rapport à la consommation
En finir avec la publicité systématique à outrance abonderait dans le sens d’un consommer moins mais mieux. Les médias, panneaux lumineux, encarts gigantesques, abribus, bouches de métro, les villes, villages, et leurs routes sont envahis de ces images qui appellent à toujours plus de consumérisme. L’humain devenu simple client se crée des besoins non essentiels, ressent frustration et insatisfaction lorsqu’il ne peut accéder à ses désirs.
La Suède, qui a mis fin à la publicité ciblant les enfants depuis le début des années 1990, la qualifiant d’immorale, ainsi que la ville de Grenoble dont la municipalité a fait le choix d’interdire les encarts publicitaires, sont des modèles qui nous montrent que l’éventualité d’une simple interdiction de la marchandisation des espaces publics est possible et forcément bénéfique.
« Entre le gouvernement et des multinationales privées, qui a le plus de chance d’agir pour le bien commun et la planète ? »
Pour une souveraineté alimentaire exempte de produits transformés, de pesticides, et d’un maximum de machines, il faudra de la main d’œuvre… Se pose alors l’évidente question de la réindustrialisation nationale corrélée avec une redynamisation de l’artisanat local, pour lesquelles des protocoles éthiques et environnementaux seraient à inclure.
Il faudrait également transformer bon nombre de secteurs et de métiers, créer des emplois, réintégrer dans la société les métiers de réparation, le prêt de matériel entre particulier, et ainsi opérer un profond chamboulement de la notion même de travail. Les infrastructures devenues obsolètes seraient redistribuées à des associations communautaires et nous pourrons faire nos adieux aux centres commerciaux en remplaçant l’abondance inutile qu’ils contiennent par une liste de produits nécessaires prédéfinies par des référendums ou des conventions citoyennes, avec pour objectif de consommer (presque) uniquement du local et de fait, utiliser moins de ressources en achetant à des producteurs sans intermédiaires.
« Le Français moyen aura beau renoncer à voler et arrêter de manger de la viande, l’initiative restera lettre morte si ceux qui contrôlent les entreprises continuent d’investir dans la production de toutes ces choses qu’il faudrait urgemment arrêter de produire »
Vert, un avenir serein
Consommation, télécommunication, soins, transport, immobilier, travail, si nous faisons chacun un pas vers la décroissance, les entreprises et les gouvernements n’auraient d’autre choix que de suivre ce ralentissement. A l’heure des guerres numériques, politiques, de celles de terrain, à l’heure des embargos, de l’inflation de masse, le peuple doit prendre le pouvoir, limiter son impact écologique, se montrer résilient, et ainsi ouvrir la porte à un système porteur d’espoir.
Une croissance verte ne pourra jamais parfaitement rimer avec une croissance économique exponentielle et sans fin. Tant que les industriels ne mettront pas un frein conséquent à leurs émissions de CO2, tant que l’incompréhension environnementale poussera à produire toujours plus, que le refus de remise en question perdurera chez les politiques au même titre que sur les relevés bancaires des grands groupes qui régissent l’économie mondiale, une transition vers un système respectueux et responsable ne sera pas envisageable.
L’horloge tourne, le tic-tac des secondes s’est accéléré, il nous pousse à nous rassembler, à faire peser tout notre poids de citoyens du monde sur les schémas classiques d’un système qui s’est essoufflé depuis bien trop longtemps. Il est temps de nous réveiller, pour notre Maison, pour nos enfants, d’aller vers une unité, une réelle humanité, qui prendra dès lors tout son sens.
Par Jessica Combet
Pour aller plus loin

Pari de la décroissance et Petit traité de la décroissance, Serge Latouche (article à venir sur Combat)