Du mépris et des armes

La dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites s’apprête à se lever dans un contexte de répressions accrues.

28 mars. Le matin se lève sur une nouvelle journée de mobilisation. Ce qui n’était à l’origine qu’une simple manifestation pour nos droits est devenu un champ de guerre. Aujourd’hui, l’expression « aller au front » n’a jamais été aussi juste.

Depuis des mois, des milliers, des millions parait-il, de citoyens et citoyennes se battent pour faire entendre raison à un gouvernement qui agit au détriment de notre avenir à tous. A grands coups de 49.3, celui-ci entend gouverner en faisant la sourde oreille à toute raison. D’abord, en faisant passer en force une réforme des retraites que l’Elysée défend bec et ongle comme « absolument nécessaire » et comme la meilleure solution, sans aucune autre alternative possible. Volontairement, cette réforme ne prend en compte ni la répartition des richesses, ni la question de la pénibilité du travail, ni le sort des femmes, encore moins le réchauffement climatique. A l’heure actuelle, c’est pourtant celui-ci qui devrait orienter nos réformes sociales, agricoles, éducatives, sanitaires, budgétaires et diplomatiques.

Ensuite, en imposant l’installation des mégabassines, malgré les cris d’alerte des scientifiques, les explications de plus en plus hésitantes du BRGM et les exemples internationaux catastrophiques. Alors que le dernier rapport du GIEC martèle encore une fois la nécessité de transformer nos modèles agricoles, ces réserves de substitutions constituent une aberration écologique. Accaparement des terres au profit de 6% des exploitants, dont la plupart, contrairement aux dires de l’Etat, ne se sont pas engagés à réduire leur usage des pesticides, ce projet n’a comme véritable objectif que de perpétuer un modèle d’agriculture productiviste, au fi des épisodes de sécheresse. Dans l’hexagone, plusieurs projets ont d’ailleurs été déclarés illégaux.

Monopole de la violence immodérée

Même le Conseil de l’Europe a pointé du doigt « l’usage excessif de la force en France. » Le week-end dernier, Sainte-Soline s’est transformée en un champ de bataille. Le déploiement de violence, aussi terrifiant que grotesque, a de quoi nous interroger sérieusement sur l’état de notre démocratie. Des forces de l’ordre fonçant en quad à travers la foule, 4.000 grenades en moins de deux heures nous dit Libération, du gaz lacrymogène à tout va. Fractures, traumatismes crâniens, œil désormais borgne, pronostic vital engagé. Les mains armées de l’Etat n’avaient d’autre ambition que d’empêcher tout accès à la bassine, quoi qu’il en coûte d’un point de vue humain. Même des journalistes, pourtant habitués à des terrains de guerre, ont annoncé leur intention de porter plainte après avoir subi des agressions inédites.

Les vidéos de plus en plus fréquentes mettant en scène des Brav-M qui n’hésitent pas à humilier et à passer à tabac des manifestants font froid dans le dos. Si certains ont des envies mordantes de jouer dans un western ou, mieux encore, dans un bon vieux Terminator, peut-être faudrait-il un jour songer à leur expliquer qu’ils se sont trompés de métier.

Depuis hier, nous savons que deux manifestants de Sainte-Soline se trouvent entre la vie et la mort. Pendant ce temps, Emmanuel Macron peste à l’idée d’avoir dû annuler la visite de Charles III. Chacun ses priorités.

Médecin à Sainte-Soline, je témoigne de la répression. A lire sur Reporterre

L’autruche républicaine

Il y a une semaine, à 13h, le Président de la République, s’adressait à nous. A ce pays dépouillé, hérissé, fatigué, maltraité, à ce pays qui n’en pouvait plus, il affirmait « il y dans nos démocraties une tendance à s’abstraire de la réalité. » Mais de quelle réalité parlait-il, depuis sa tour d’ivoire, chantant à tue-tête son mépris et se bouchant les oreilles ?

Voilà le patchwork de notre réalité, à nous, depuis la rue : des travailleuses et des travailleurs fatigués et usés avant cinquante ans, personnels d’EHPAD épuisés, ouvriers cassés par le rythme des trois fois huit, femmes de ménage aux semaines accablantes, départements en restriction d’eau avant le premier jour du printemps, France à +4°C qui se profile doucement, manifestantes et manifestants en danger de mort pour avoir utilisé leur droit de manifester. Système de plus en plus injuste et violent sur une Terre de plus en plus chaude et souffrante.

Aujourd’hui encore, une part importante de la population sera dans les rues pour défendre un futur désirable, où les corps ne seront plus de la chair à canon pour travailler, produire et subir toujours plus. Comme l’écrivait Albert Camus, « la vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent. » Et face à la réponse qui nous attend cet après-midi, il nous faudra bien du courage.

Par Charlotte Meyer

Pour aller plus loin :

Deux manifestants font face aux gendarmes lors de la manifestation contre le projet de bassine de Sainte-Soline le 25 mars 2023. Crédit : Yohan Bonnet / AFP

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