Pour Jean-Claude Oliva, les mesures présentées aujourd’hui par le gouvernement sont loin de prendre en compte l’urgence de la situation.
C’était un discours attendu de longue date. Alors que les nappes phréatiques de la France sont à sec et que les températures de ce printemps laissent présager un été particulièrement chaud, le Président de la République annonçait aujourd’hui son Plan Eau à Savines-le-Lac (Hautes-Alpes). Au programme : EcoWatt de l’eau, sobriété, ou encore tarification progressive de la ressource.
Jean-Claude Oliva est le directeur de la Coordination eau Île-de-France. Conseiller municipal à Bagnolet, il est aussi président de la régie publique de l’eau d’Est Ensemble. Activiste de l’eau bien commun de longue date, il plaide pour une gestion collective et citoyenne de celle-ci.
Ce Plan Eau annoncé par le Président de la République cet après-midi vous semble-t-il répondre à la hauteur des enjeux ?
Non, je ne crois pas. Ces mesures permettent uniquement de dire qu’on a fait quelque chose, qu’on s’intéresse à l’eau. Mais il n’y a en réalité pas grand-chose de concret ou qui va dans le bon sens.
Lors de son intervention, Emmanuel Macron a répété l’importance à ses yeux des mégabassines. En parallèle, son ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, annonçait à la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) que l’agriculture n’aurait pas à baisser ses prélèvement pour irriguer les cultures. Les agriculteurs sont-ils les gagnants de ce plan ?
En tout cas, disons qu’ils n’en sortent pas perdants ! Le ministre de l’agriculture a bien répété ce matin qu’il n’allait rien leur demander de plus. Pourtant, en France, ce sont bien les premiers consommateurs d’eau. La réponse du Président montre qu’il n’a toujours rien compris. Si nous continuons comme ça, dans dix ans, on aura des zones complètement désertifiées. Il faut aussi se rendre compte qu’il y a plein d’agriculteurs, de petits irrigants, qui n’auront pas accès à ces bassines et qui vont devoir mettre la clé sous la porte. Cette situation est absolument dramatique pour eux. Nous demandions d’ailleurs un moratoire à ce sujet. Non seulement il s’agit de ne pas mettre de nouvelles mégabassines, mais aussi de démonter celles qui ont été reconnues comme illégales par la justice. Le minimum serait que le chef de l’Etat lui-même respecte la loi.
La situation est donc définitivement bloquée à ce niveau-là ?
Pour eux peut-être, mais pour nous, non ! (rires) Le combat continue. Ce projet va être de plus en plus absurde, car ils vont bientôt avoir du mal à les remplir. Les mois qui arrivent vont être très difficiles. Dans les annonces d’aujourd’hui, je ne vois aucune mesure structurelle, urgente, qui permettrait de passer l’été dans de bonnes conditions. Il n’y a même pas de mesure de protection des sols et des arbres, qui sont pourtant les meilleurs stockeurs d’eau.

Il a beaucoup été question de chiffres dans le discours du Président de la République. Le gouvernement cache-t-il le manque de mesures concrètes derrière son budget ?
En réalité, même ces chiffres sont à regarder de très près. La plupart d’entre eux concernent les agences de l’eau. Or, ces agences sont essentiellement financées grâce aux factures des usagers domestiques. Ce n’est donc pas un effort de l’Etat. Cette mesure ressemble davantage à un nouvel effort supplémentaire demandé aux usagers.
Ensuite, il faut rappeler que les gouvernements successifs ont beaucoup limité les budgets des agences de l’eau. Plutôt qu’une augmentation, il s’agit donc plutôt d’une remise à niveau de ce qui a été pris ces dernières années. Il y a une TVA sur l’eau et l’assainissement. Cet argent doit être bien utilisé et pas aller uniquement dans le budget général de l’Etat.
Un chiffre en particulier me fait tiquer ; il s’agit des 35 millions d’euros supplémentaires que le gouvernement souhaite allouer chaque année aux Outre-Mer. Au vu de leur situation, ce chiffre est vraiment très bas !
Le gouvernement a également annoncé une généralisation de la tarification progressive des consommations « de confort. » Qu’en pensez-vous ?
Nous sommes favorables à la tarification progressive. Seulement, de manière concrète, il y a un risque que les petits consommateurs paient un tarif élevé du fait de l’abonnement.
Cela a été largement oublié, mais il y a aussi la possibilité de faire des tarifs différenciés. Des entreprises, tels que Coca Cola, Vittel, Nestlé, ou encore des entreprises qui utilisent l’eau pour l’électronique, par exemple, pourraient davantage payer cette eau. Il y a là des ressources financières importantes qui ne sont pas du tout utilisées.
Tout cela m’interroge sur les priorités fixées par le gouvernement. La loi donne des priorités quant à l’utilisation de l’eau. Il y a d’abord l’eau potable, puis l’eau pour la biodiversité, et ensuite seulement les usages économiques. Or, à entendre le Président de la République, il semblerait que ce soit l’inverse et que les usages économiques passent avant tout le reste.
Vous parlez des usages économiques. Emmanuel Macron a également annoncé vouloir investir pour adapter les centrales nucléaires au changement climatique. De votre côté, vous plaidez plutôt pour une fermeture de celles-ci.
Oui. Les centrales nucléaires, c’est un peu la fuite en avant. Nous sommes dans une situation très difficile avec des centrales qui existent par rapport à l’eau [environ 12% de l’eau consommée en France l’est par les centrales NDLR]. En face, le gouvernement annonce que nous allons trouver de nouvelles solutions techniques pour réparer les dégâts et faire en sorte que les centrales nucléaires fonctionnent avec moins d’eau. Leur mantra, c’est que la technique résoudra demain les dégâts qu’elle fait aujourd’hui. Et en même temps, on veut toujours en construire plus. Il faudrait peut-être tout simplement se poser la question d’arrêter là.
Sa position a aussi été assez ambiguë sur l’utilisation des eaux usées…
Son usage est pris à l’inverse de ce qu’elle devrait être. A mon avis, elle devrait plutôt être réservée à d’autres usages comme à l’agriculture et aux industriels, tandis que les nappes souterraines devraient servir à produire l’eau potable. Ce sont des mesures de bon sens. De plus, les eaux usées représentent encore une fois des technologies coûteuses, maîtrisées par quelques entreprises comme Veolia et Suez. En revanche, nous ne parlons jamais des eaux de pluie, gratuites et disponibles pour tous. Cela prouve bien encore une fois qu’en matière d’eau, la préoccupation économique l’emporte sur la solution de bon sens.
A quoi aurait ressemblé un Plan Eau plus conscient des enjeux et des priorités actuelles ?
Tout d’abord, comme je le disais plus tôt, nous attendions un moratoire sur les mégabassines. Ensuite, il est important de savoir qui prélève, et combien. Les industriels et les agriculteurs prélèvent dans les nappes phréatiques mais nous n’avons aucune information sur les quantités d’eau que cela représente, à quel endroit cela se fait. Ces informations sont très importantes pour que la priorité à l’eau potable soit vraiment respectée. Là, nous marchons sur la tête.
Les principaux points du Plan Eau annoncé par Emmanuel Macron :
- Economiser 10% d’eau d’ici 2030 ;
- Mettre en place un « EcoWatt de l’eau », d’ici à l’été, sur le modèle de l’instrument mis en place pour réduire la consommation d’électricité pendant l’hiver ;
- Réutiliser 10 % des eaux usées d’ici 2030, contre moins d’1 % actuellement, à l’aide de 1.000 projets en l’espace de cinq ans ;
- Investir pour adapter les centrales nucléaires, gourmandes en eau, face au réchauffement climatique ;
- Mettre en place une généralisation de la tarification progressive et responsable de l’eau pour inciter à la sobriété ;
- Mobiliser 180 millions d’euros par an pour résorber les fuites ;
- « Transformer » le modèle agricole avec une aide de 30 millions d’euros aux agriculteurs ;
- Conditionner les futures bassines à des économies d’eau et de pesticides ;
- Allouer 35 millions d’euros supplémentaires par an pour les Outre-mer ;
- Allouer 475 millions d’euros supplémentaires par an pour les agences de l’eau.
Propos recueillis par Charlotte Meyer