Dans nos sociétés où règne un sexisme institutionnalisé et systémique, le corps des femmes, oscillant dans l’œil du patriarcat entre objet de soumission et de fantasme, doit retrouver sa souveraineté, sa liberté d’être, au sens le plus global du terme.
L’instrumentalisation féminine au service de la religion
L’Histoire a appris à la femme qu’il était primordial qu’elle se soumette. Avant l’évangélisation de la France, au début du XVIe siècle, elle était pourtant maîtresse d’elle-même, de sa santé, de sa sexualité, laissant les hommes et leur masculinisme à leurs préoccupations propres. Question d’incompréhension peut-être, d’une politique du « chacun son rôle », sûrement. Elles savaient accoucher sans la main invasive du patriarcat, qui n’avait alors aucun mot à redire sur leur manière d’enfanter entre elles, entre femmes. De s’enfanter mère, autant que femme. Elles se découvraient détentrices de leurs pouvoirs et de leurs savoirs en matière de procréation et d’enfantement. Liberté toute relative, mais liberté quand même, qui a engendré bien des craintes dans ce XVIe siècle bientôt entaché par l’inquisition : celles de l’indépendance féminine risquant d’ébranler les bases de la société.
Bien avant que le corps médical ne serve à neutraliser les pouvoirs féminins, c’est l’Église qui a joué ce rôle de contrôle.
Y. Kniebiehlr, dans Histoire des mères, analyse:
« le parcours initiatique de la maternité construisait fortement l’identité féminine (…). Les femmes découvraient aussi l’importance de ce qu’elles avaient à transmettre : la vie et la santé du corps, mais aussi les bases d’une culture, la langue maternelle, les croyances, les premiers savoirs, les codes moraux, les formes de sociabilité ».
Les mères jouaient un rôle crucial de transmission, dans une société qui laissait la place à une maternité dépourvue d’enjeux autre que celui du bien naître et du bien-être des siens. Asservies à la cause masculine, peut-être. Il est assez difficile de se mettre à la hauteur de ces femmes d’un autre temps qui n’avaient d’autres ouvertures sur la vie que celles de leur famille.

La chasse aux sorcières
Puis est venu le temps de l’Inquisition. Érigées au rang de sorcières, celles que l’imaginaire collectif, attisé par les contes et l’hystérie évangélique dépeignaient comme des femmes secrètes, mystérieuses, vivant en ermites au fond de lugubres forêts, touillant des potions ensorcelantes dans de grands chaudrons noirs, et effrayant les enfants (et les hommes !), celles qui accompagnaient les femmes en couches, dispensaient les soins, les remèdes à base de plantes, les sagesses ancestrales, ces femmes sages, ces sages-femmes, ont été prises pour cible. La cible d’un patriarcat de religion, terriblement mis à mal par une puissance féminine incomprise, et par un paganisme intrinsèque.
La réponse à cette terreur a été d’une violence inouïe. Les places de villages crépitaient sous les flammes des bûchers, les odeurs de chair brûlée tapissaient la gorge des badauds rigolards, les hommes d’église, les maris, les fils, brûlaient d’une haine sauvage envers ces femmes fortes et indépendantes, puissantes jusqu’au bout de leurs longs cheveux. Les femmes, les rescapées, devaient sans doute brûler d’une colère sourde. Leurs sœurs livrées en pâture à un dogmatisme sans foi ni loi. Ou d’une peur immuable, à qui le tour ? Il suffisait d’être née avec des attributs féminins pour finir attachée dans la paille enflammée.
Après ce génocide féminin, l’heure de la modernité médicale avait sonné. La longue période de la diabolisation des troubles psychiques féminins servant la toute récente psychanalyse freudienne du XIXe siècle, à grands renforts de violences sexuelles censées les soustraire à l’hystérie est venue compléter un schéma déjà bien trop entériné. Dès 1838 on internait les femmes marginales, les artistes, celles qui parlaient politique, qui s’instruisaient. Hydrothérapie, hypnose, compression ovarienne, Jean-Martin Charcot et ses confrères signaient l’ordonnance de la torture pour soigner la différence.
Ces pratiques de l’Inquisition, couplées à celles de la psychanalyse, qui ont conduit à l’obstétrique contemporaine, ont annihilé toutes tentatives d’émancipation féminine. S’en est suivi une longue bataille afin d’obtenir le droit à l’avortement, à la contraception, le droit de disposer de leur corps, d’une manière tout à fait relative, encore.

Médecine moderne et héritage transgénérationnel
Gestes invasifs, protocoles défiants bien souvent toute physiologie, chiffres à respecter, la main de l’homme sur le corps de la femme n’a eu de cesse de se sentir puissante, les mots infantilisants, les pratiques dominantes et violentes.
Le domaine obstétrical/gynécologique est fort de ces restes inquisitoires. La femme doit se soumettre à des examens, prendre des positions dégradantes, nue et ouverte, sans broncher, livrée au boucher. Le patriarcat médical, devenu sexisme systémique, est largement renforcé par un grand manque de moyens dans les structures hospitalières.
Les justifications à ces procédés se centralisent autour de la sécurité. Toujours plus de médicalisation, toujours plus d’actes, sans forcément respecter la loi Kouchner qui veut que chacun.e soit libre de choisir si iel souhaite être médicalisé.e. Dans le cas présent, lorsqu’un gynéco bien intentionné envers le partenaire d’une parturiente impose et coud « le point du mari », qu’il pratique l’expression abdominale au risque de créer traumatisme et hémorragie de la délivrance, qu’il sectionne nerfs, muscles et ligaments sous couvert d’une épisiotomie d’urgence sans s’être entretenu de l’éventualité au préalable, qu’il découpe les utérus à vif, il n’y a ni respect des lois, ni respect du corps de la patiente.
« Le souci de sécurité pour justifier une médicalisation de plus en plus invasive finit par se ridiculiser dans le risque iatrogène auquel expose nécessairement cette médicalisation »
MARC GIRARD, La brutalisation du corps féminin dans la médecine moderne
Croyant bien faire et écarter tout risque pour elle et son bébé, la patiente accède aux demandes de son médecin, et se retrouve malgré elle dans une spirale machiste dégradante et traumatisante.
Combattre la misogynie par l’émancipation
Quels sont les moyens de sortir de ce cercle vicieux ? Comment se réapproprier son corps, les étapes de sa vie de femme, sans tomber dans le creux de la main des institutions sexistes ?
Libérer la parole de toutes ces femmes, et punir ces hommes. Mais comment punit-on toute une institution ? En s’émancipant. Trouver des praticiens, des praticiennes humain.e.s, sortir du moule dans lequel on veut nous faire entrer de gré ou de force. Les choix que nous faisons nous permettent de nous affranchir des normalités aberrantes et de fait, de tenter de préserver son corps et son intégrité.
Sage-femme libérales, accouchement à domicile, en maison de naissance ou en plateau technique, peuvent être des alternatives aux usines à bébés et aux faiseurs de douleurs. Quand une centaine de petites maternités rurales sont menacées de fermeture sous prétexte d’un manque de personnel, se pose alors le problème des déserts médicaux, de temps de trajets parfois doublés voire triplés accentuant le risque de donner naissance à son enfant sur la voie publique. Dans ces « usines à bébés », les patientes sont confrontées à un personnel bien trop souvent sous pression et débordé, ne pouvant proposer qu’un accompagnement de moindre qualité, d’où les risques iatrogènes, produits par des pratiques non physiologiques effectuées sans consentement libre et éclairé augmentant de fait la possibilité de complications materno-foetales.
En France, à ce jour, 0,2 % des naissances ont lieu à domicile, représentant environ 2000 bébés par an. Un chiffre qui serait en hausse si les 35 % de femmes souhaitant enfanter en toute intimité disposaient d’un parcours médical dans lequel cette option leur était proposée, et si le nombre de sage-femmes accompagnants les AAD (accouchement à domicile) ainsi que leurs conditions de travail étaient valorisés (étude IFOP 2021).

« Depuis la loi Kouchner de 2002, les professionnel.les de santé sont tenus de se doter d’une assurance Responsabilité Civile Professionnelle. Or, à ce jour, aucun assureur français ne propose d’offre adaptée aux pratiques des sages-femmes couvrant les AAD. Les sages-femmes se retrouvent ainsi à exercer sans couverture », peut-on lire sur le site de l’association professionnelle de l’accouchement accompagné à domicile (APAAD). Le montant de cette assurance dépasse largement le chiffre d’affaire annuel d’un.e sage-femme libéral.e.
L’accompagnement global et la naissance deviennent alors politique : « ( …) afin de permettre aux sages-femmes de pouvoir accéder à cette assurance et de garantir les bonnes pratiques professionnelles, l’Ordre des sages-femmes propose que les sages-femmes soient intégrées au dispositif de l’accréditation des professions dites à risques, ce qui permettra à celles-ci de bénéficier d’un programme d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. Grâce à ce programme, elles pourront bénéficier de tarifs assurantiels moins élevés mais également d’aides de l’assurance maladie afin de souscrire une assurance professionnelle ». Certaines d’entre elles se sont retrouvées sur le banc des accusées, pour dérives sectaires. Finalement, la chasse aux sorcières est toujours en cours…
Les femmes, les couples, veulent être libres de choisir de quelle manière ils accueilleront leurs enfants, en sécurité chez eux, ou en sécurité en structures. Chaque choix est juste et valide, tant qu’il est réfléchi, conscientisé et consenti. La Cour Européenne des Droits de l’Homme statuait en 2010 que « les Etats membres de l’UE ont un devoir d’action, c’est-à-dire qu’ils doivent prévoir une législation mettant en œuvre les moyens suffisants pour exercer cette liberté », charte non ratifiée par le gouvernement français… Pourtant,L’article L1111-4 du code de la santé publique prévoit que « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions pour sa santé ».
Retrouver sa souveraineté, conserver son intégrité, décider librement pour soi, garder la pleine possession de son corps, pour s’assurer confiance et respect, passent par une politisation de ses droits naturels. Si nos instances ne permettent pas de garantir un système équitable avec un accès éclairé à nos choix médicaux, il nous revient de prendre le pouvoir, de soutenir les praticien.ne.s humain.es, de s’extraire des normes sociétales incohérentes et délétères.
Par Jessica Combet
Pour aller plus loin :
- Les travaux de Michel Odent
- Le Site de l’APAAD

