Guérir du cancer : « J’avais un grand sentiment d’injustice »

Dans le clip de son morceau « Quand c’est ? », le chanteur Stromae met en scène une maladie bien connue de tous. Seul sur scène, face à une assemblée de sièges vides, le chanteur lutte contre une menace quasi invisible incarnée par des pattes filiformes. Elles rappellent celles d’un crabe, représentation commune du cancer. Mais en conclusion de son texte, Stromae ne laisse pas de place à la guérison. Aujourd’hui, Combat a choisi de mettre en lumière cette étape.

Pour Jean-Pierre B. œnologue retraité de 76 ans, le cancer est associé à un crabe parce que « quand il passe, il te bouffe ». La signification est forte pour celui qui, en 2015, se voyait diagnostiquer un cancer colorectal après un dépistage de routine. Pour sa femme Marie-Paule, ancienne professeure de français du même âge et diagnostiquée en 2000 d’un cancer du sein, l’association n’est pas si évidente. Réunis tous les deux face caméra pour une interview à distance, ils se prêtent chacun leur tour à un petit jeu d’esprit pour tenter de déterminer l’origine de cette drôle d’affiliation. Un moment de conclusion après presque une heure de bla-bla, où l’humour de celui qu’on appelle « Jean-Pi » et la délicatesse de « Marie » n’ont cessé de rythmer une discussion intime. Car parler de cancer n’est jamais aisé, même quand celui-ci est derrière nous.

« C’est comme ça que tout s’est enclenché »

La première à raconter son histoire est Marie-Paule, première du duo à contracter la maladie. « J’ai reçu le diagnostic après une mammographie de dépistage du cancer du sein. On a trouvé une tache suspecte sur ma radio, et on a dû la refaire. C’est comme ça que tout s’est enclenché. » Nous sommes à la fin de l’année 2000, et la professeure de français de plus de 50 ans ne se doutait de rien. « Le radiologue m’avait dit ne pas savoir comment il avait pu la remarquer, tant la tumeur était petite. » Mais après un examen de biopsie, le doute n’est plus permis : il y a bien une tumeur dans le sein droit, qu’il faut enlever. « Je me suis effondrée dans le bureau de ma gynécologue, qui m’a annoncé les résultats de l’analyse. Ça a été un vrai coup de bambou pour moi, parce que j’étais la première de la série ».

Malheureusement, Marie-Paule inaugure une bien triste liste : dans son entourage, nombreux sont ceux qui ont reçu le même diagnostic cancéreux qu’elle, à commencer par son mari. Leurs parcours sont assez similaires. Tous deux ont découvert une tumeur cancéreuse après un dépistage de routine. Mais entre leurs vécus, presque quinze ans se sont écoulés, le cancer colorectal de Jean-Pierre ayant été découvert en 2015. Et avec les années, les procédures changent. « De mon côté, explique-t-il, on a trouvé du sang dans mes selles pendant un dépistage du cancer colorectal en décembre 2015, donc j’ai dû faire une coloscopie. Les soignants ont trouvé un polype dans mon rectum, que mon chirurgien ne pouvait pas enlever. » La seule option restante est d’enlever la partie du rectum malade. Lui aussi ne se doutait de rien : sans le dépistage, il n’aurait pas remarqué le polype qui commençait à s’installer. « Après le diagnostic, je me sentais bien. Car tant qu’on ne t’a pas opéré, rien ne change. C’est au réveil, après l’opération, que tu prends conscience de ce qui se passe. »

Amour et injustice

Reste à accompagner l’autre après cette prise de conscience. Car si le cancer est une maladie individuelle qui ne se transmet pas, elle se vit en groupe, notamment avec les soignants. « J’ai trouvé le personnel soignant très présent, raconte Marie-Paule. J’avais hâte d’être prise en charge, pour être soulagée de ma maladie. » Un sentiment partagé par Jean-Pierre, à qui le chirurgien avait détaillé longuement les étapes de son opération, pour que rien ne soit inconnu ou laissé au hasard. « Le contact avec le chirurgien est très important, ajoute Marie-Paule, c’est une période particulière. »

Marie-Paule raconte avoir été entourée de ses amis et de sa famille, en plus de son époux. Malheureusement, à cause de son travail, celui-ci ne pouvait pas l’accompagner à tous ses rendez-vous médicaux. « Mes proches m’ont beaucoup entourée, ils m’ont aidée à accepter mon diagnostic. J’ai par exemple passé une semaine chez ma sœur et mon beau-frère pour me reposer, et leur soutien a été très fort. Ils m’ont fait beaucoup de démonstrations d’amour, et mes collègues m’en faisaient d’amitié. » Elle se rappelle aussi le chauffeur de l’ambulance qui l’amenait au centre anti-cancéreux de Lyon, où elle effectuait ses séances de rayon. Habitué à voir des « gens dans (son) cas », il l’aidait à supporter tout ça.

Mais malgré la présence des proches, le cancer reste un mal personnel. La colère et le sentiment d’injustice peuvent donc être fréquents. « Quand j’attendais mon traitement à l’hôpital, je me sentais mal, explique Marie-Paule. Je me disais ‘Eux ne savent pas, mais j’ai ce truc-là, qui est invisible.’ Et puis, le mot « cancer » fait peur, on ne sait pas si on va être soigné. J’avais l’impression d’avoir une épée de Damoclès sur la tête. Je me demandais : Pourquoi moi et pas les autres ? J’avais un grand sentiment d’injustice, et j’avais hâte que mes rayons commencent après mon opération. Pour moi, ça allait aboutir à quelque chose de positif.» Elle poursuit : « Le soir je devais me masser le sein après les séances de rayon, y appliquer de la crème. Au début, je versais quelques larmes devant l’état de mon bout de sein. Mais après, avec l’entourage, ça allait mieux. » Comme quoi, l’amour est le meilleur des remèdes.

« Le soulagement total »

Ayant enchaîné opérations, rayons, voire chimiothérapie dans le cas de Jean-Pierre, vient l’heure de faire le bilan : où en est-on de la maladie, plusieurs mois après le premier diagnostic ? Pour le couple, à quinze ans d’écart, la réponse est la même. La guérison est proche. Mais à cancers différents, parcours différents. Pour Jean-Pierre, l’opération est un soulagement : « Dès lors que je l’ai eue, j’étais guéri. J’ai quand même eu un suivi pendant cinq ans, avec un scanner tous les trois mois, puis tous les quatre mois, et ensuite tous les six mois. Mais la dernière année, comme le médecin ne voyait plus rien, je savais que j’étais guéri. Ils m’avaient enlevé le morceau malade, donc c’était fini. »

Et après la période des cinq ans de rémission, et la guérison officielle, la vie reprend normalement pour « Jean-Pi ». « Le médecin m’avait prévenu que la vie ne serait plus la même qu’avant, mais le seul inconvénient c’est qu’il faut aller aux toilettes plus souvent ». « C’est une contrainte pour les déplacements, ajoute sa femme. On ne part plus aussi facilement qu’avant en voyage, on n’effectue plus des trajets longs de la même manière. » Pour elle, la réalisation de la guérison est plus longue à venir. « Les cinq premières années, à chaque fois que je passais une mammographie, j’avais l’appréhension que le cancer revienne. Pendant cinq ans j’ai traîné cette peur de retrouver quelque chose. » Alors quand cinq années passent, et avec elles les mammographies qui reviennent normales, il est temps de poser un nouveau diagnostic : guérison. « J’ai ressenti un soulagement total. »

Et après ?

Aujourd’hui, Marie-Paule et Jean-Pierre sont officiellement guéris. Ils font partie des 70% de patients qui sont toujours en vie cinq ans après la découverte de leur maladie selon la Fondation contre le cancer. Mais si la maladie est derrière, ils ne cessent pas d’en parler ou d’y penser. Pour Marie-Paule, la guérison a eu pour conséquence directe de la tourner vers la science. « Ma première réaction a été de faire des dons aux associations qui font de la recherche, comme l’Institut Pasteur, la Ligue contre le cancer, la Fondation Marie Curie. Je leur donne car je veux que la science continue de progresser pour venir en aide à ceux qui sont touchés. Je sais ce que c’est. Et même si dans mon cas on ne peut pas dire que ça a été une galère, je garde des images douloureuses d’autres patients quand j’allais faire mes soins à Lyon. » Elle reçoit régulièrement des comptes-rendus d’avancées scientifiques qui concernent la maladie. « Comme on s’informe, avec tous ces rapports qui disent comment ça se déroule pour tel ou tel cancer, on en vient à se dire qu’en fonction du cancer qu’on a, les possibilités sont différentes. »

Pour autant, la guérison est possible. Et la vie après le cancer aussi. Avec des aménagements : « J’ai pu bénéficier d’un congé longue maladie pendant un an, c’est dire comme j’avais été éprouvée, explique l’enseignante aujourd’hui retraitée. Ensuite, nous avons tous les deux demandé une cessation progressive d’activité (CPA), c’est-à-dire que pour cinq dernières années d’activité on travaillait à mi-temps pour 80% de notre salaire. C’était très intéressant. » Le cancer est ensuite devenu un vieux souvenir, ravivé par moment lorsqu’un ami ou un membre de la famille annonce en avoir un à son tour. « C’est toujours un coup de poignard » à cette annonce pour « Marie ». Toutefois, la vie continue, alors quand Stromae chante le cancer avec fatalité, on ne peut s’empêcher de sourire aujourd’hui : après tout, la chanson est sortie il y a plus de cinq ans, la période de rémission est passée. Le crabe est enfin parti en vacances.

Propos recueillis par Mathilde Trocellier.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s