Géraud Guibert – « Notre inaction climatique vient aussi d’une fracture du savoir »

Le président de la Fabrique écologique publie un nouvel ouvrage avec un objectif bien précis : résoudre la fracture du savoir responsable de l’inaction climatique.

Longtemps, il s’est battu pour faire entendre la voix de l’écologie dans les couloirs des grandes institutions. Ancien secrétaire national à l’environnement du PS, Géraud Guibert a tour à tour été chargé de la concertation avec les acteurs du nouveau contrat écologique dans l’équipe de François Hollande en 2011, puis directeur de cabinet de Nicole Bricq, ministre de l’Écologie, l’année suivante. En 2013, il co-fonde La Fabrique Ecologique, une fondation transpartisane et pluraliste de l’écologie, dont il est aujourd’hui le président.

Son nouvel ouvrage, Le grand malentendu climatique, paru aux éditions de l’Aube, se présente comme un travail extrêmement méticuleux marqué par une volonté démocratique de s’adresser à tous. Croissance, technologie, santé… Géraud Guibert dissèque le débat écologique jusqu’à la moelle, tout en douceur. Avec une plume lisible et sans incrimination, il appelle à une réelle transformation de notre société pour répondre à l’urgence climatique. Entretien.

Votre livre est un peu un OVNI dans son domaine. Sans perdre en précision, vous avez fait le choix d’une explication très pédagogique et, chose assez surprenante, sans le moindre chiffre. Quel était l’objectif de votre ouvrage lorsque vous vous êtes lancé dans sa rédaction ?

Nous sommes de plus en plus sensibilisés au changement climatique. Peu de personnes aujourd’hui contestent cette réalité et son origine humaine. En revanche, l’action climatique n’avance pas suffisamment, et je vois très peu de débats sur cette question. Nous passons directement de la sensibilisation au réchauffement climatique à des solutions techniques. Est ce qu’il faut du nucléaire plutôt que du renouvelable? Est ce qu’il faut la voiture électrique?

Le point de départ de mon livre, c’est que si ça n’avance pas suffisamment, c’est parce qu’il y a toute une série de transformation de fond de la société qui n’est pas débattue en public. La plupart des élites, qu’elles soient politiques, économiques ou médiatiques, ne les abordent pas car il s’agit d’un sujet compliqué, cela peut heurter les habitudes ou les intérêts établis.

Notre inaction climatique vient aussi d’une fracture du savoir. Le climat se prête souvent à une accumulation de chiffres, de courbes… Pour une partie de la population, les discours sur le climat paraissent extrêmement lointains et accessibles par rapport à leur propre vie. C’est un des éléments qui explique, par exemple, la montée des mouvements populistes dans différents pays. D’où mon idée d’écrire un livre sans chiffre, qui soit le plus lisible possible, afin de faire comprendre les enjeux à tous. Cette fracture du savoir entraîne une autre fracture, entre ceux qui veulent faire des choses et qui en ont les moyens, et ceux qui ne peuvent pas ou qui ont le sentiment de ne pas pouvoir. Dès lors que le discours n’est pas accessible directement, nous avons tendance à rejeter la possibilité d’agir sur ce sujet.

« Il y a un vrai malentendu du temps » dites-vous. N’est-ce pas paradoxal quand chaque rapport du GIEC est un peu plus alarmant ?

Une partie des élites parle d’action sans vraiment agir, une autre voudrait avancer mais renonce à la moindre contrainte, et la troisième partie tempère l’urgence climatique. Tout cela donne à la population, le sentiment qu’il n’y a pas vraiment d’urgence puisque les élites ne font pas ce qu’ils font. Et de l’autre côté, vous avez des personnes qui sont très mobilisées sur l’écologie, mais avec un discours disant que c’est la fin de la civilisation, qu’il est quasiment trop tard… Tout cela aboutit finalement au même résultat. Pourquoi y aurait-il nécessité d’agir ? Récemment, une enquête d’opinion montrait que les deux tiers de la population qui n’était pas sûrs qu’on puisse encore faire quelque chose sur le changement climatique.

Ensuite, quoi qu’on en dise, les horizons de temps ne peuvent pas être les mêmes en fonction de la situation des gens. Quand vous avez de l’argent, un travail qui vous plaît, vous n’avez pas le même horizon de temps que quand vous cherchez à joindre les deux bouts. Le plus important, c’est l’immédiat, c’est réussir à boucler les fins de mois.

Enfin, il y a cette idée que même si nous agissons tout de suite, nous ne voyons les résultats qu’au bout d’un certain temps. Pour les responsables politiques et les chefs d’entreprise, ce constat a tendance à freiner l’action.

Vous citez une étude de l’OCDE montrant que la proportion de gens niant le réchauffement climatique est plus importante dans notre pays qu’ailleurs. Qu’est ce qui explique cette réticence française selon vous ?

Elle est particulièrement accentuée chez nous pour plusieurs raisons. La première raison, c’est qu’il y a en France un rapport entre les élites et les citoyens qui pose problème aujourd’hui. En deuxième lieu, notre pays a des caractéristiques économiques et sociales qui rendent difficiles sa transformation écologique. Regardons par exemple les domaines de spécialité économique qui sont les nôtres : l’aviation, l’automobile, l’agriculture, le tourisme. Tous ces domaines sont extrêmement impactés par le changement climatique. Le denier point, c’est que nous avons traversé une période marquée par une tradition de climato-scepticisme assez forte. Aujourd’hui, cela semble avoir toujours un impact sur le rapport des citoyens à la science et au changement climatique.

Cela nous amène à un point qui reste peu détaillé dans votre livre. Ce climatoscepticisme persistant ne pose-t-il pas la question du rôle de notre éducation et de nos médias ?

Oui. Au niveau des médias, je note quand même de forts progrès depuis deux ans. Le journal de la météo et du climat lancé par France Télévision est un exemple intéressant parmi toutes les initiatives qui ont été lancées récemment. Mais de manière générale, il y a assez peu de progrès lorsqu’il s’agit d’aborder le sujet des transformations nécessaires. On en reste aux débats sur le nucléaire, sur la voiture électrique, sur la rénovation du logement… alors qu’il y a toute une série de transformations systémiques à opérer !

Pour ce qui est de l’éducation, il est temps, pour s’en sortir, de passer de l’indignation à l’interpellation. Je pense notamment à tous les mouvements étudiants qui ont agi à l’intérieur de leurs écoles ou de leurs universités pour transformer leurs formations. Il s’agit de vastes transformations. Il faudrait arriver à cette même logique dans toute une série de domaines : s’allier et mettre la pression sur ceux qui décident.

Dans son livre La fin des haricots, Thomas Guénolé appelait à la création d’une Organisation mondiale de l’écologie. Vous abondez en ce sens.

Je suis absolument d’accord. Il est temps que ces idées reviennent à l’ordre du jour si nous voulons aboutir à un résultat.

« Le clivage sur la décroissance est au total loin d’être le bon. Il serait plutôt nécessaire d’indiquer que tout ne doit pas être sacrifié à une croissance la plus forte possible. Ceci suppose notamment une adaptation importante de la stratégie économique aux exigences de la transition écologique. » Pour faire simple, vous n’êtes pas un partisan de la décroissance mais appelez tout de même à modifier en profondeur notre système…

Ne pas tout sacrifier à la croissance est la position qui me paraît la plus importante et la plus réaliste. Il faut accepter de faire des choix qui ne maximisent pas forcément la croissance mais qui sont meilleurs pour le bien-être et pour l’environnement. Prenons un exemple très simple : quand vous basculez une part de marché de téléphone neuf vers le téléphone reconditionné, la valeur ajoutée continue d’exister mais de manière moins importante. Avec une stratégie qui comporterait plus de téléphones reconditionnés, la croissance sera inférieure. Pourtant, vous avez un mode de vie qui est équivalent et un prélèvement sur les ressources bien moins important.

Je ne pense pas que présenter la décroissance comme une solution soit une bonne idée. Pour le citoyen, cela pose la question de son salaire, de son emploi, de son mode de vie, ou encore du prix de la transition écologique. D’ailleurs, les croissancistes adorent montrer le clivage avec les décroissants, et apparaître comme les plus raisonnables. Emmanuel Macron en est le parfait exemple, lorsqu’il emploie le terme « d’amish ».  

En revanche, si nous incitons à un mode de vie qui évite la surconsommation et le gaspillage, alors nous sommes d’accord. Mais j’appelle plutôt cela « les nouveaux modes de consommation », avec un enjeu central de sobriété qui incite à diminuer toute une série de biens matériels pas forcément utiles dans notre société. Je suis absolument pour une transformation en profondeur de nos modes de vie et des valeurs de notre société.

Le refus gouvernemental d’interdire les jets privés la semaine dernière n’est-il pas selon vous symptomatique d’une politique qui rechigne à impliquer les élites et frémit devant des mesures assimilées à de « l’écologie punitive » ?

Il est évident qu’il faut faire quelque chose sur les jets privés. Je propose de mon côté de les interdire pour les loisirs et de les restreindre aux activités professionnelles. D’un autre côté, je pense que le débat public a tort de se focaliser en permanence sur ce genre de sujets. Il est vraiment urgent de passer des symboles à la transformation concrète. Pour prendre un autre exemple, j’étais bien évidemment opposé à l’aéroport de Notre Dame des Landes, mais son abandon n’a pas transformé la logique du système aéroportuaire français et du transport aérien. Il faut désormais aller plus loin.

« L’enjeu climatique et écologique oblige de retourner au collectif. Il rend aussi possible ce mouvement. (…) En point d’orgue, la transition écologique suppose une mutation profonde des valeurs. En parler est indispensable, nos sociétés ne savent plus le faire, tétanisées par la logique individualiste et utilitariste qui a tout envahi. La transition climatique ne pourra réussir qu’en mettant à la mode dans la vie publique la coopération, la gratuité, l’échange, loin de la seule réussite individuelle, de la concurrence, ou de l’aspiration à gagner le plus possible en allant le plus vite possible. »

Geraud Guibert, Le Malentendu climatique

Il y a un autre point majeur dans votre ouvrage. Vous expliquez que notre société individualiste doit évoluer pour faire front commun, et davantage coconstruire avec les citoyens, donner plus de compétences aux territoires. Finalement, le cœur de votre livre, c’est la démocratie ?

Oui. Je vais dire quelque chose qui va encore m’opposer à toute une série de gens. Nous entendons sans cesse qu’il faut suivre les scientifiques. Or, ce n’est pas comme ça que l’on peut faire dans une démocratie. Il est évidemment indispensable que la science alerte, éclaire nos choix et montre les différentes possibilités à suivre. Ce discours indique au citoyen qu’il n’a pas son mot à dire sur la transformation de notre société, et fait croire que nous pouvons débattre de la science. Or, on ne débat pas de la science. C’est pour cela que j’en appelle à une co-construction citoyenne.

La Convention Citoyenne pour le Climat, qui était une initiative citoyenne éclairée par la science, n’a pas été davantage suivie…

Cette initiative était intéressante, même si, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas abouti. Il y a eu un vrai problème d’articulation avec les institutions. Il faut continuer à expérimenter, à avancer sur la co-construction citoyenne, pour que se dégagent des solutions.

Vous appelez la jeunesse à bousculer les élites. Depuis quelques années, les jeunes haussent de plus en plus le ton, entre ceux qui bifurquent et ceux qui se mobilisent sur le terrain. Quel regard portez vous sur les actions de la jeune génération?

Ils ont parfaitement raison d’essayer d’agir. Elle réussit d’ailleurs plutôt bien dans plusieurs domaines. Mais il ne faut pas oublier qu’il existe aussi une fracture au sein de cette jeunesse. Tous les jeunes ne se mobilisent pas, pour les raisons que nous avons évoquées précédemment. Il faut aussi avoir une logique du positif et interpeller davantage, comme je le disais.

Au vu de l’actualité, on ne peut pas faire l’impasse : que pensez-vous de la situation depuis les événements de Sainte Soline ?

Je pense qu’il faut impérativement remettre tous les gens autour de la table pour en rediscuter. Il faut avancer. Ces bassines comportent tout un tas de problème et leur légitimité n’est basée que sur un rapport du BRGM qui ne prend pas en compte le changement climatique. Tout cela est quand même un peu bizarre. Puis, il y a tout le problème de la transformation du modèle agricole. Il y a un vrai blocage sur le débat en France. Dans d’autres pays, comme en Allemagne ou en Europe du Nord, ils prennent un temps fou à rassembler les acteurs autour de la table pour discuter.

Vous êtes le président de la Fabrique écologique. Quel est son objectif ?

Il s’agit d’un think tank fondé il y a presque dix ans, avec quatre caractéristiques. D’abord, la Fabrique repose sur un système pluraliste, y compris dans l’éventail politique puisque nous sommes composés de personnes engagées dans à peu près tous les bords, à l’exception de l’extrême droite. Notre deuxième caractéristique, c’est la volonté de réaliser des travaux débouchant impérativement sur des solutions et des propositions concrètes. Toutes nos notes se concluent ainsi par plusieurs propositions concrètes. Nous avons ensuite à cœur de présenter des travaux d’une très grande rigueur. Enfin, nous avons un dispositif de co-construction citoyenne. Toutes nos notes sont d’abord travaillées par un groupe d’experts et ensuite sont soumis à la discussion pour la publication définitive. Et évidemment, tout est transparent. Nous sommes d’ailleurs le seul think tank français où les membres de l’administration déclarent leurs intérêts.

Propos recueillis par Charlotte Meyer

Geraud Guibert, Le malentendu climatique, éditions de l’Aube, 192 p, à retrouver ICI

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