La Bible de l’assassin (12)

Chaque vendredi, une fiction ou un bout d’histoire…

Le silence.

Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas entendu.

Le plaisir de rien. Ma main sur la cannette de Red Bull, elle crissa jusqu’au bord de la table, à son habitude traînante et crispante, avant de rejoindre ma bouche pâteuse. Je tournai la tête vers le canapé. Carmen dormait, ronflant doucement.

Un bruit d’eau. La douche.

Dans le noir de la pièce, un rayon de lumière passa sous la porte de la salle de bain. J’aspire. Le bruit des cendres brûlées. La poésie de la fumée. Et dire que je voulais être poète. Elle avait raison, j’étais un raté. Mais j’étais bien là, avec Phil, avec Carmen. Déconcentré par le bruit d’eau, j’éteignis ma clope dans ma canette. Dans un froissement de tissus, Carmen se tourna vers moi. Les yeux bouffis de fatigue, elle me souriait. « Viens dormir ». Je me couchai contre elle, à l’étroit du canapé. Elle se blottit contre moi et son souffle ralentit. Elle se rendormit. Phil passa comme un ninja, prit son manteau et sortit avec un clin d’œil à mon égard. Je respirais ses cheveux blancs. Elle tremblait, je la serrai un peu plus contre moi. Elle se réchauffait dans un soupir de bien-être. On avait tous besoin d’affection en ce moment.

Je me suis endormi… et on se réveille. Il fait jour dehors et noir dedans. On était bien, reposés. Phil n’était pas encore rentré de ses conquêtes nocturnes. Pour une fois je riais. Pour une fois je me disais qu’on pourrait être heureux même si la guigne semblait tatouée sur ma cheville gauche. Et pourtant ça ne devrait pas durer encore longtemps. Plus pour longtemps en tout cas. Enfin, jusqu’au moment où on le découvrit.

Phil.

Des pétales de fleurs rouges sur son t-shirt. Une goutte, coulante sur son menton. Il s’est trainé là avant de manquer de force pour se manifester. Tremblant, il bégaie. Carmen figée. Choquée. Les larmes aux yeux je le portai au canapé et le déshabillai. « C’est clairement un coup de couteau. » Je levai les yeux. Carmen était là avec un verre d’eau et du désinfectant. Dans mes pensées je ne l’avais pas vu s’affairer autours de moi. Elle me dit de m’écarter. Je me tourne vers la fenêtre. Mon poing se sert. De plus en plus. Mes ongles entrent dans ma chair. Rudement. Le sang perle sur mes lèvres. Sous mes dents. Mon point tremble. Mes ongles. La fenêtre se brise. Carmen sursaute. Mon poing saigne. Pourquoi ? Qui lui avait fait ça ? Qui n’avait pas de cœur au point de s’en prendre à un innocent ?

On ne s’en prend pas à Phil. On ne s’en prend pas à l’une des deux seules choses qu’il me restait.

Je les retrouverai. Et je les tuerai. Dans un gémissement, Phil se redresse. Ils ne méritent pas la mort. Les dents serrées. Ils méritent de souffrir en fait. Plus que ça, ils méritent d’être hantés jusqu’à la fin de leurs vies. Mon corps tremble. Le corps de Phil est parfois pris de convulsions. Le corps de Carmen se démène entre le lavabo et Phil. Phil qui prouvait une vulnérabilité que je ne lui connaissais pas. Mes joues humides, je pleurais des larmes brûlantes. Assis à côté de Phil, plus traumatisé que gravement blessé, je restais là pendant longtemps, Carmen ne dormait plus pour veiller sur moi, fou. Infirmière pour Phil. Elle me calmait du mieux qu’elle pouvait. Me roulant mes joins, faisant boire Phil, maintenant sa tête entre ses mains blanches de fatigue. Parfois elle vacillait, étourdie par les émotions, par l’épuisement, par notre bonheur cassé encore une fois. C’est le découragement qui se lisait sur ses cernes nouvelles.

Elle assurait pour nous trois.

Je compris qu’elle avait l’habitude de porter la responsabilité de plusieurs. Je compris qu’elle avait l’habitude de panser les blessures. Je me levai. La violence de ce geste me surprit et ma tête tourna. Mes esprits retrouvés, je la pris dans mes bras et allai la coucher dans la seule chambre. Elle s’endormit aussitôt. Elle semblait avoir vieilli. Ses sourcils restaient froncés. Elle était perturbée. Dans l’inconscience de son sommeil, elle était loin d’être innocente. Il y avait une chose dont j’étais sûr. C’est que personne ne devait toucher ni Carmen, ni Phil. Personne ne devait même y penser. Le monde était peut-être calme, ici, mais l’art de la vengeance frétillait sur le bout de mes doigts.

Je regarde ma silhouette dans la pénombre. De meurtrier, je passe à assassin. Ce petit bonheur de ces quelques derniers jours avait dévié de mes bugs psychologique. J’enfilai le trench noir devenu un peu trop grand pour mes épaules osseuses. Je passai mon index sur la lame du couteau. Du sang goutta sur le sol. Ma langue sur mes doigts. Le sang entre mes dents. Son goût, son odeur. J’enroulai un t-shirt sur le visage. Pour cacher mes dents rouges. Ma cruauté.

Ça faisait un moment que j’attendais dans la ruelle. La nuit était tombée sur la ville grouillante. D’après les indications de Phil, il s’était fait agresser juste devant l’immeuble crasseux. Je n’étais pas sûr de les revoir. Ce serait un manque de professionnalisme que de retourner sur ses pas. Et pourtant. Un bruit de bouteille qui se brise, des rires rauques. Accroupi derrière des poubelles, l’oreille à l’affût. Comme un moineau. J’attends qu’ils passent. Je leur tomberai dessus.

« Eh qu’est-ce que tu fais là, toi ? »

Derrière moi, putain, trop concentré sur les rires qui venaient du bout de la ruelle, je ne m’étais pas aperçu que deux étaient arrivés derrière moi. Je me redressai et me retournai. Mais j’étais trop lent. Tuer des femmes humides était plus facile que de s’en prendre à ce genre de… Je ne vis pas venir le poing. Le sang gicle de mon nez, je vacille. Ils éclatèrent de rire. Les dents serrées, la manche sur le nez. J’avais peur. Je me saisis de mon couteau. Le coup parti et… Fut arrêté par la main seule du deuxième caïd pendant que l’autre s’allumait une clope tranquillement. Il serra au point que je lâchai le couteau. J’avais peur. Il tordit mon bras. Dans un cri de douleur je redevins un petit garçon qui espérait que tout s’arrangerait dans les bras de maman.

Bordel maman. Qu’est-ce que je fais ?

Il me jeta par terre, j’essayai de me redresser. Un coup dans la côte suffit à me couper le souffle et à me renvoyer valser avec le sol. A quoi je jouais ? J’étais loin d’être un héros de film. Ferme ta gueule. C’est tout. Alors je restais par terre, tentant de reprendre mon souffle. Le premier écrasa sa clope sur mon trench souillé. Tout ça avait était trop rapide. Ma tête cachée entre mon bras et le sol froid. J’attends. Je subis les coups. Je subis les rires de la honte. Moi par terre, humilié pour la première fois depuis longtemps. Moi qui me pensais lion du crime je redescendis en chute libre au dernier grade du jeu. Une détonation me fit sursauter. Ma vue était trop brouillée.

« Merde ! Elle a un flingue, on s’tire mec ! »

Un bruit de course. La détonation résonnait encore dans l’air. Mes oreilles sifflaient. Frustré, je relevai la tête, mon regard trop flou, je saisi une allure noire, fine, le bras allongé par un flingue. Elle me regardait. La lumière d’un réverbère oublié m’éblouissait trop pour que je puisse le voir clairement. La silhouette se retourna puis partit.

C’est au moment où je voulu l’appeler que je me rendis compte que ma bouche était enflée. Le temps de cette prise de conscience, la silhouette avait disparu. Et là, les larmes jaillirent. Moi, là, par terre, sale, plein de sang. J’avais eu peur putain. Je rie. J’avais eu vraiment peur. Moi qui croyais ne plus en être capable. Des larmes de frustration mêlées du rire de l’humanité, je remontais les marches. Entrais en trombe dans l’appartement. Phil, réveillé, me regarda avec un air interrogateur.  « Je ne suis pas mauvais Phil ! J’ai voulu te venger, et j’ai eu peur, j’ai eu mal, et j’ai eu honte putain. »

(à suivre)

Par Coline Minaud-Lehmann

Illustration de Héloïse Braizas

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s