Santé mentale des enfants, un mal-être générationnel

Dans un contexte post-pandémie et face à un avenir incertain, la santé mentale des jeunes générations fait l’objet d’une attention croissante.

Le 21 mars dernier, la Cour des Comptes rendait public un rapport concernant la santé psychique des enfants et adolescents français. Un lourd pavé dans la mare où baignent 1,6 millions de ces enfants qui souffrent. Selon le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) les prescriptions de psychotropes chez les mineurs atteints de souffrances psychiques et de troubles psychologiques ont explosé ces dix dernières années. En parallèle, à l’occasion de la tenue prochaine des Assises nationales de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, des professionnels s’inquiétaient dans Le Monde du manque de soins de qualité pour les plus jeunes.

Pandémie, urgence climatique, images de répression policière, réseaux sociaux, violences généralisées, quels sont les impacts de l’actualité sur la future génération? Comment les accompagner, les aider à grandir dans ce monde à l’avenir teinté de confusion et de terreur institutionnalisée?

Combat est allé à la rencontre de Sabine Flottes Lemoine, psychologue spécialisée dans les troubles anxieux et thérapies comportementales.

Quels sont les principaux troubles des enfants que vous pouvez constater aujourd’hui?

Tout ce qui est trouble anxieux généralisé. L’angoisse de séparation, certaines phobies, comme les insectes ou les transports.

Le COVID-19 a eu son lot d’angoisse, certains ont développé des TOC (troubles obsessionnels compulsifs) sur le lavage de mains. Ils ne peuvent pas se passer de gel hydroalcoolique, ils en usent et en abusent. Ce sont des comportements que nous n’avions pas avant. Pour certains, cette période a eu un impact positif : ils étaient avec papa et maman, et pour ceux-là ça n’a pas été anxiogène.

Trois ans après, quel constat faites-vous sur ces patients ? Les enfants ont-ils peur de tomber malade ?

J’en ai quelques-uns, mais beaucoup moins. Ils ont bien fait la distinction, la peur se reporte vers la perte de leurs grands-parents. De par leur âge, ils ont bien intégré l’idée que les enfants étaient plutôt épargnés.

Les évènements actuels, l’écologie, les manifestations, ont-ils un impact sur leur santé mentale?

Je rencontre de plus en plus d’écoanxieux. Des enfants qui voudraient essayer de mettre des choses en place à ce niveau-là avec leurs parents, en se mobilisant à leur échelle. L’anxiété, c’est cette peur que nous avons tous, qui reflète notre instinct de survie, et qui va se reporter sur des choses qui existent, qui sont réelles. On va trouver dans l’environnement, dans l’actualité, un point sur lequel rapporter cette anxiété. Je pense à un ou deux petits qui me parleront sans doute des bassines et de Sainte-Soline. Quand ils perçoivent les discussions de leurs parents, ils prennent ce qu’ils entendent, et ça joue sur leur peur. D’où l’importance d’adapter son discours sur de tels sujets. Ils peuvent aussi ressentir une grande insécurité suivant les médias qu’ils peuvent voir ou écouter.

Les images de la répression policière peuvent-elles engendrer un désordre dans leur psyché? Le gentil policier qui doit protéger, face au méchant flic qui fait du mal impunément.

Tout dépendra du discours des parents, de leur catégorie socio-professionnelle. Soit ça ne modifiera pas du tout la représentation du gendarme, soit la peur et la colère pourront venir renforcer ce sentiment d’insécurité.

Comment les accompagnez-vous?

Par le biais du jeu, du dessin, qui sont des supports très utilisés. Ils jouent et verbalisent. Les jeux de rôle également, qui sont très appréciés des enfants. Ces techniques, nous les utilisons tous plus ou moins. Il y a également les thérapies familiales, les tests projectifs, et pour ma part je m’oriente sur les TCC (thérapies cognitivo-comportementales) avec l’utilisation de questionnaires, puis de protocoles adaptés. L’idée étant que plus nous avons peur de quelque chose, plus nous allons être dans l’évitement. Nos pensées automatiques vont faire en sorte que l’on s’écarte de ces situations angoissantes.  Mon accompagnement consiste donc à réorienter ces pensées.

Avez-vous l’impression que les hautes instances aident à la santé mentale des enfants?

Pas du tout. Récemment un groupe de psy est allé voir des élus, parce qu’il faut faire quelque chose. La psychiatrie va très mal, il y a énormément d’enfants hospitalisés et de plus en plus jeunes, un malaise grandissant chez les ados avec un grand nombre de tentatives de suicide (le suicide est la première cause de décès des 15-35 ans. NDLR). Même en libéral, nous pouvons nous retrouver démunis face à certains troubles, à certaines pathologies. Dans le cas d’une ado anorexique, nous ne pouvons pas attendre entre six mois et un an pour intervenir. Ce sont les délais, aujourd’hui, pour avoir un rendez-vous avec des équipes relais dans les CMP (centre médicopsychologique) par exemple (34% de pédopsychiatres en moins entre 2012 et 2020, d’après le rapport de la Cour des Comptes cité précédemment NDLR). Nous voyons que ce n’est pas la priorité… Ils ont essayé de mettre en place des initiatives, le remboursement entre autres, mais rien n’a été écouté. Passer par un médecin traitant déjà débordé pour pouvoir prendre ensuite un rendez-vous avec un psy, c’est aberrant. Les patients doivent aussi être libres de ne pas le dire, de garder pour eux ce besoin de voir un professionnel autre qu’un généraliste.

L’impact des réseaux sociaux chez les adolescents se répercute de quelle manière?

Ils avalent des images à la seconde, qui n’ont pas forcément du sens. L’idée de pouvoir penser par eux-mêmes, l’esprit critique, le raisonnement, ils les perdent. Les réseaux sociaux ont un grand effet délétère. Il y en a qui savent faire la part des choses, qui se rendent compte, si les parents cadrent le temps d’écran. Sans limite c’est différent, même pour nous en tant qu’adultes. Les capacités d’attention sont fortement touchées également. Ils veulent tout de suite.

Et ça participe à nos sociétés de l’impatience…

Tout à fait, un clic et Amazon me l’apporte, même le dimanche ! Je peux tout avoir immédiatement. Il n’y a plus la patience, l’excitation. Dans cette génération, la frustration est assez mal gérée. Au début du covid, ou encore de la guerre en Ukraine, tous ces gens qui se sont précipités dans les supermarchés en quête de pâtes et de papier toilette démontre à quel point la peur de ne pas avoir est présente.

Concrètement, comment en tant que parents, nous pouvons aider nos enfants à aller bien? Comment les préserver au maximum de cet environnement globalement anxiogène?

Je vais être radicale, il faut avoir une surveillance accrue sur les programmes que les enfants regardent, ne serait-ce qu’à la télévision. Sur les téléphones aussi. C’est vraiment quelque chose à bannir. On peut avoir un support visuel pour regarder un dessin animé à partir d’un certain âge, je ne suis pas contre. Ensuite, être dans le dialogue, dans l’accompagnement, et en même temps avoir un cadre et le maintenir. Ils s’y perdent quand le cadre est trop fluctuant, alors qu’ils ont besoin d’être en sécurité, d’avoir des repères, des heures fixes de repas, un coucher ritualisé, qui vient chercher à l’école et quand, un mode de garde adapté. A ce sujet-là, il m’est arrivé de rencontrer des ados qui n’avaient pas l’impression d’avoir de maison et c’est terrible. Il faut vraiment que ce soit cadré, pas rigide mais cadré.  Plus ils sont petits et plus leurs vies doivent être ritualisées. Le pédiatre Aldo Naouri utilisait l’analogie du pont de singe. L’enfant passe d’un ravin à un autre, il traverse ce pont. S’il peut s’agripper des deux côtés grâce à une corde solide, il passera sur le versant d’en face sans trop de difficulté. Même si le pont de singe bouge dans tous les sens, il pourra avancer. Sans corde, il tombera, remontera toujours au même niveau du pont et ne grandira pas.

Propos recueillis par Jessica Combet

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