« Le bilan Blanquer est marqué par un mépris terrible pour les enseignants. »

Alors que le gouvernement vient d’annoncer une revalorisation du salaire des enseignants, Combat vous propose cette enquête réalisée il y a un an dans le cadre de notre numéro spécial Présidentielles 2022.

Il l’a annoncé lors de sa candidature tardive : pour Emmanuel Macron, « la priorité sera donnée à l’école et à nos enseignants, qui seront plus libres, plus respectés et mieux rémunérés. » Une promesse qui fait bondir si l’on se penche sur le bilan éducatif de ces dernières années.

« La journée a été compliquée. » À l’autre bout du fil, Alice soupire. À seulement 25 ans, la jeune enseignante en a déjà vu de toutes les couleurs. Agressions physiques, fatigue morale, incertitudes… Aujourd’hui professeur d’allemand dans un collège de REP rurale en Picardie, elle pointe du doigt un système éducatif toujours plus étriqué, de moins en moins envisageable pour sa génération. Des professeurs débutants à ceux prêts à prendre la retraite, des banlieues aux établissements privilégiés, tous font le même constat : si l’amour pour leur métier est resté intact, la vocation d’enseignant est aujourd’hui en danger.

« C’est un métier que j’aime, que je fais avec mes tripes, qui me prend du temps, de l’énergie. C’est ce que j’ai voulu faire depuis toute petite. C’est pour mes élèves que je reste et que je continue ce métier. » – Stéphanie

« L’un des pires ministres de l’éducation nationale »

« Pour moi, il n’y a pas de « bilan Macron », mais il y a un « bilan Blanquer », tant on a pu avoir l’impression que Macron s’était désengagé de la question pour laisser faire son ministre. Et le bilan Blanquer est marqué par un mépris terrible, une dégradation constante des conditions de travail, un point d’indice toujours gelé, des suppressions de poste, un recours massif aux contractuels, et tout cela camouflé par une communication exclusivement politique et qui s’adresse aux électeurs plutôt qu’aux enseignants. » Alexis est professeur de français dans un collège public de la grande banlieue parisienne. Le jeune homme, qui assure ne pas se voir effectuer un autre métier que le sien, dit cependant avoir l’impression « d’être le prochain sur la liste de la destruction du service public. »

Un bilan que rejoint Stéphanie, professeur d’histoire-géographie dans un collège alsacien : « à mes yeux, il a été l’un des pires ministres de l’Éducation Nationale. Il nous méprise, nous prend de haut, n’est pas capable de communiquer correctement. Il est hors-sol et ne nous écoute pas. Quand on a la tête sous l’eau, il nous l’enfonce encore plus. »

Alice, quant à elle, pointe surtout du doigt la politique du Président en matière de territoires. « Avec la réforme de la SNCF, il a tué les lignes. Les trains qui passaient étaient le seul moyen de désenclaver le petit village où j’enseigne. L’accès à l’éducation et à la culture a régressé de manière impressionnante. » La professeure d’allemand revient sur ses expériences, où des élèves ne connaissent pas la capitale de la France en 4ème ou ignorent la signification de « traduire. » Pour elle, aujourd’hui, les élèves n’ont pas les moyens d’obtenir le niveau qu’ils devraient avoir à la sortie du collège.

Et puis, il y a eu la période Covid, qui laisse à Stéphanie et Alexis un souvenir amer. Pour la première, ne pas avoir ses élèves en face de soi a été « assez terrible. Enseigner à travers un ordinateur, ce n’est pas de l’enseignement. J’espère ne plus jamais vivre ça. » Le second accuse des journées éreintantes passées devant son ordinateur, une absence de directive, la sensation d’avoir été abandonné par le ministre. Mais le plus compliqué selon lui est à trouver du côté des élèves : « ils souffrent encore de la situation mais semblent avoir intériorisé cette souffrance. La société tout entière les a accusés de propager le virus et de tuer leurs aînés. Je ne suis pas certain que tout le monde retirera le masque le 14 ; certains élèves se cachent derrière. Aucun suivi psychologique n’a été mis en place dans les établissements scolaires. »

« Aujourd’hui, on ne nous donne pas les moyens de vivre notre métier de la manière dont on l’avait envisagé. » – Claire

Un statut dénigré

Depuis vingt ans, Claire est professeur des écoles dans une école « privilégiée » de Nice. Issue d’une famille d’enseignants, elle estime que cette situation s’est amplifiée au cours de ces dernières années. Elle évoque d’abord les déficits attentionnels, causés en grande partie par les réseaux sociaux, un salaire qui ne cesse de décrocher, un lien avec les parents qui s’érode : « il y a aujourd’hui une vision consumériste de l’école. Les parents n’hésitent pas à partir en week-end prolongé sur le temps scolaire. L’école devient une option. Même dans une école plutôt privilégiée, j’ai déjà eu des soucis avec des parents qui me menaçaient physiquement. » Se replongeant dans ses souvenirs, elle se souvient de ses premières années d’enseignante. Elle avait alors une vingtaine d’année et avait été placée dans un établissement difficile où un élève lui avait tiré dessus avec un pistolet à plomb. « Mais à l’époque, le métier était plus valorisé aux yeux des gens, assure-t-elle. Les élèves perdent ce respect aussi parce que les parents ne l’ont plus. »

Le film Entre les Murs nous plonge dans la vie d’un collège difficile. Copyright Haut et Court

Tourne encore en France le mythe du professeur toujours en vacances ou en grève. Une image qui fait fulminer Stéphanie : « être prof, c’est une vocation. Il faut le vouloir. C’est une fatigue et une charge mentale importante, surtout au collège. On est profs quasiment tout le temps ! » Et Alexis d’appuyer : « Une des grandes souffrances du métier, c’est la méconnaissance du temps, du travail et des qualités qu’il implique. Un enseignant qui donne une vingtaine d’heures de cours par semaine en passe une vingtaine d’autres à préparer ses cours, corriger ses copies, appeler les parents… C’est un travail énorme et qui ne s’arrête pas quand on rentre chez soi. En période de conseils de classe, je peux rentrer chez moi vers 22 heures, alors que je suis arrivé au collège à 7h30. Je passe mes vacances à faire des appréciations, corriger des copies, travailler mes séquences, et même mes amis se permettent parfois de me dire : « alors, encore en vacances ? ». On parle de nous imposer des formations obligatoires pendant les vacances, en oubliant qu’elles sont déjà chargées et qu’on ne les passe pas à rien faire. »

« Ceux qui, plus encore que les enseignants, ont le plus à perdre dans l’histoire, ce sont les élèves, mais ils sont bien souvent absents du débat public. On ne parle d’eux qu’à travers le prisme de la violence ou de la radicalisation, ou alors de temps à autres pour se plaindre du « niveau qui baisse », mais on ne leur donne jamais la parole. » – Alexis

Être ouvrier de son métier

 « J’ai l’impression qu’on est les petits soldats au front avec à l’arrière des généraux qui ne comprennent pas toujours ce qu’il faudrait faire sur le terrain pour avancer, progresser et rendre notre système éducatif plus viable pour tout le monde. On entend rarement ce qu’on a à proposer et à dire sur le terrain, on nous infantilise énormément. Nous n’avons pas les moyens d’exprimer envies, besoins, angoisses.» Tout comme Stéphanie, beaucoup d’enseignants ont la sensation de ne pas être écoutés. Malgré une certaine liberté pédagogique appréciable, Claire et Alexis déplorent notamment de passer d’une réforme à une autre en fonction des ministres qui se succèdent : « on a remplacé le COD par le prédicat, puis on est revenu en arrière, on a testé la méthode Singapour pendant deux ans, on tourne entre méthode globale et méthode syllabique…C’est du buzz, on ne prend pas en considération les remontées du terrain, ce qui fonctionne » raconte Claire.

L’enseignante niçoise prend aussi comme exemple l’École inclusive mise en place en 2019. « En théorie, l’idée que tous les élèves doivent suivre un enseignement normal, avec ou sans handicaps, c’est très beau. En pratique, ça ne marche pas. L’an dernier dans ma classe, j’avais un enfant avec des troubles de l’attention. Ses parents refusaient sa prise en charge. Il courait sous les tables, faisait des bruits, dessinait des sexes ensanglantés sur ses cahiers. Il n’a pas progressé comme il l’aurait pu s’il avait été dans un établissement adapté. Et évidemment, comme on nous interdit de proposer le redoublement parce que ça coûte cher, il est passé en 6ème. »

Les Héritiers, un film de Marie-Castille Mention-Schaar. Copyright Neue Visionen Filmverleih

Un métier à revaloriser

Parmi les priorités à accorder à l’éducation, la plupart des professeurs espèrent une remise à niveau de leur formation, qu’Alice juge « complètement hors-sol » : « Il m’a manqué un enseignement plus proche de la réalité. On nous apprend à donner des cours idéaux pour des élèves qui ont un background social élevé, alors que la plupart n’ont pas ça, ils ne vont pas au cinéma, ils ne lisent même pas de manga. On ne nous apprend jamais à faire ces cours pour des personnes qui n’auraient pas les codes. »

Il existe aussi parmi les professeurs la sensation de devoir en faire toujours plus d’un point de vue administratif, et moins dans le suivi des élèves. Alexis confie : « les enseignants doivent sans cesse se plier en quatre pour pallier le manque de personnels et de budget ; je pense notamment aux établissements dans lesquels il manque les personnels du pôle socio-éducatif, et où les enseignants doivent se transformer en assistants sociaux ou en infirmiers, quand bien même ils n’ont pas à le faire, parce que s’ils ne le font pas… personne ne le fera à leur place. »

Un autre point majeur évoqué par les enseignants, c’est le salaire. « Si on payait plus les professeurs, certains seraient mieux attirés par le métier» assure Stéphanie, citant l’exemple de ses enfants. Claire approuve : « C’est un second métier, un revenu d’appoint. Pour bien vivre, il faut avoir un conjoint qui gagne bien. »

En février 2022, Emmanuel Macron évoquait la possibilité de mettre fin au CAPES. Avec la fin des concours, tout un chacun pourrait alors devenir enseignant, avec ou sans formation adaptée. Plutôt qu’une mesure qui détruirait davantage l’éducation publique, les professeurs réclament « la présence de personnels du pôle socio-éducatif dans les établissement scolaires, une véritable attention portée aux élèves porteurs de handicap, la revalorisation du salaire, des classes moins chargées, une plus grande mixité sociale dans les établissements scolaires, une orientation plus égalitaire pour les élèves et surtout que les économistes arrêtent de parler à la place des enseignants et, pour une fois, prennent leur avis en compte. »

Par Charlotte Meyer

Cet article est tiré de notre numéro d’avril 2022, à retrouver ici
 «En classe, le travail des petits», de Jean Geoffroy(1853-1924). Ministère de l’Education nationale, Paris, France; Archives Charmet/Bridgeman Images

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s