Vincent Cappello signe une œuvre d’espoir sur l’accueil des migrants

Alors que la question migratoire fait de plus en plus débat, le réalisateur montre à travers son premier long métrage une « intégration réussie. »

« J’ai quitté mon pays, parce que j’étais obligé. Je ne sais plus quand j’ai quitté mon pays. Tout le monde se fout de notre vie. Même nous, nous ne croyons plus en nous. Toutes les portes du monde sont fermées. Et nous avons honte d’être Afghans. »

Lorsqu’il arrive en France, cela fait déjà plusieurs années que Rohid Rahimi parcourt les routes du monde à la recherche d’une terre d’accueil. Né en Afghanistan dans une famille plutôt aisée, celui qui se destine à un avenir de comédien voit sa vie bouleversée avec l’arrivée des talibans au pouvoir. Alors que l’indépendance des femmes vole en éclats, l’étau se resserre autour de sa mère, qui exerce la profession de juge. Après un procès où cette dernière fait condamner le fils d’un chef taliban, des menaces de mort se mettent à pleuvoir. Les talibans vont jusqu’à tenter d’assassiner toute la famille.

« Ma mère a été menacée pendant des années. Mais le jour où on a commencé à s’attaquer à ses enfants, elle a vraiment eu peur » raconte Rohid. Un jour, celle-ci lui demande de quitter le pays avec son jeune frère, Mujib, et de s’arrêter uniquement là où ils « pourraient refaire leur vie. » « Je ne visais pas la France, se souvient le jeune homme. Quand j’ai quitté l’Afghanistan, mon objectif était de trouver un pays où je pourrais poursuivre mes études. » Pendant des années, les deux frères parcourent alors l’Iran, la Turquie, la Bulgarie où ils sont emprisonnés, la Serbie et la Croatie, la Slovénie, l’Italie, pour enfin rejoindre Nice puis Paris. 

Six ans plus tard, des papiers français et son baccalauréat en poche, Rohid a décroché un job en CDI à Paris et a même été repéré par un agent. Aujourd’hui, il incarne son propre rôle dans Nouveau Monde, le premier long-métrage de Vincent Cappello. C’est cette histoire, celle d’une « intégration réussie », preuve que la France peut être une terre d’accueil et de reconstruction possible, que le réalisateur a voulu porter sur le grand écran.

Porter le thème de l’exil

C’est au cours d’un atelier de théâtre qu’il anime dans les locaux de France Terre d’Asile, à Paris, que Vincent Cappello rencontre Rohid. « Je me souviens de sa première improvisation qui était géniale, se rappelle le réalisateur. Je pense alors qu’il a simplement la chance du débutant. Seulement, sa deuxième improvisation était encore meilleure ! » Rohid Rahimi avait en effet suivi des cours de théâtre à Kaboul et avait tourné dans plusieurs courts-métrages. Les deux hommes deviennent amis et l’idée de réaliser un film inspiré de l’histoire du jeune acteur finit par s’imposer.

« J’avais le thème de l’exil en moi » DR

Longtemps scénariste avant de signer ce premier long-métrage, celui qui confesse avoir eu besoin de « mûrir à l’ombre des créateurs » ne s’est pas saisi de ce sujet par hasard. « J’avais le thème de l’exil en moi » raconte ce descendant d’une famille d’immigrés italiens. « J’avais besoin de m’aligner artistiquement, humainement et politiquement. J’avais passé la quarantaine et je sentais que le monde autour de moi était en train d’évoluer, peut-être dans le mauvais sens. La vie m’a beaucoup souri, mais je ne pouvais pas continuer à être aveugle. »

Décidé à planter une graine pour que son film soit aligné sur les grands enjeux actuels de notre société, Vincent Cappello assume une œuvre volontairement fabriquée avec peu de moyens. Inspiré par l’économie heureuse de Pierre Rabhi, Nouveau Monde présente un bilan carbone proche de zéro. « J’aime à dire qu’on a fabriqué du cinéma en circuit court. On habitait tous le même quartier et on a trouvé des solutions locales en permanence. Le cinéma tel qu’il existe est extrêmement important, mais on avait besoin de créer cette alternative pour que les choses évoluent. »

Un film collectif

Ecolo, humain et collectif, le film de Vincent Cappello joue avec les frontières de la fiction et de la réalité. Si le réalisateur avait écrit une trame très claire, les acteurs ont accepté de ne pas lire le scénario avant de le tourner. « Pourtant, rit Rohid, à chaque fois que j’allais chez lui, les murs étaient couverts de scénarios ! » « Je leur parlais beaucoup de ce que j’avais envie de montrer, mais il était important pour moi, qu’ils ne sachent pas ce qu’ils avaient à jouer. J’avais vraiment besoin de cette authenticité » explique Vincent Cappello.

Rohid Rahimi et Sandor Funtek. DR

Loin de tomber dans le pathos, Nouveau Monde porte à l’écran un Rohid Rahimi courageux, combatif et lumineux. « On me dit souvent que le film n’est pas misérabiliste, observe Vincent Cappello. Pour Rohid, il était impossible de l’être.Le film est fort de certains choix qu’on a fait ensemble, et qu’il a assumés jusqu’au bout. C’est un vrai acte artistique. »

Alors que la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration a renforcé les tensions sur la crise migratoire, Vincent Cappello et Rohid Rahimi ont mis sur pied une histoire où se mêlent entraide, acceptation et optimisme. « J’ai connu une France dans laquelle on pouvait se rencontrer, explique le réalisateur. La première chose que j’avais envie de raconter, c’était comment tous ces jeunes peuvent avoir le courage de se refabriquer un monde loin du leur. Mais je voulais aussi rappeler l’ampleur de tout ce qu’on pouvait créer si on arrivait à se rencontrer. » Et si cela transparaît autant à l’écran, c’est sans doute parce que Vincent Cappello n’a pas choisi ses acteurs au hasard. « Ce sont des personnes que j’aime artistiquement, mais surtout des êtres humains avec qui j’adore échanger, raconter des histoires, et avec lesquels on peut parler des nuits entières. Et je sais qu’ils dégagent ça » assure-t-il.

Arts et fraternité

A travers Nouveau Monde, Rohid Rahimi immortalise sa lutte pour se faire accepter dans sa terre d’accueil. Entre un apprentissage forcené du français, les petits boulots maigrement payés et ses rencontres imprévues, le jeune homme doit aussi soutenir Mujib, son petit frère. « Quitter notre mère à notre âge était très compliqué, raconte Rohid. C’était encore plus dur pour mon petit frère qui avait 13 ans au moment de notre départ. »

Inspiré par ce lien fraternel et la cinégénie dégagée par les deux frères, Vincent Cappello a tenu à rendre hommage à l’obscurité de l’un et la lumière de l’autre. A travers cette dualité, il n’en montre une image de l’intégration que plus juste. « La capacité de Rohid à se tenir debout et à avancer me fascine et me bouleverse, explique le réalisateur. Mais contrairement à ce qu’on dit, parfois, quand on veut, on ne peut pas, tant nous sommes meurtris, socialement et physiquement. J’avais besoin, de raconter la difficulté que c’est de se battre à travers Mujib et, à travers Rohid, le fait qu’il y arrive et qu’il parvient à se redresser. »

Sandor Funtek dans Nouveau Monde. DR

Si Rohid a pu trouver sa place en France, c’est aussi grâce à son amour pour l’art. Dans Nouveau Monde, les poèmes de Rûmî, Rimbaud et Prévert se répondent. « Pendant le tournage, un ami me racontait qu’il avait été au lycée Jacques Prévert, se souvient Rohid. Et par hasard, le soir, Vincent m’a offert un livre du poète pour m’aider à apprendre le français. » « Jacques Prévert, c’est le premier livre que mon père m’a offert pour apprendre à lire, souligne le réalisateur. C’était important pour moi que Rohid l’ait dans le film. » Encore importante en Afghanistan, la poésie a renforcé leur lien. « Même si nous venons de pays différents, nous sommes tous deux de la nationalité du cinéma et de la poésie » sourit Vincent Cappello.

Déprogrammé par l’extrême-droite

Grâce à leurs partenaires et à 120 distributions, 5 à 10 places de cinéma vont être financées pour les jeunes, sur 30 à 50 séances-débats en France. Le film est notamment soutenu par des associations comme France Terre d’Asile et Utopia 56. 

Alors que le Rassemblement National a raflé les urnes aux élections européennes, Nouveau Monde résonne avec l’actualité bien plus que l’équipe ne l’aurait pensé. « En faisant ce film, nous savions que c’était pour raconter une France qui était certainement menacée et qui était en train de se transformer, reconnaît Vincent Cappello. Mais nous n’avions pas prévu que les choses iraient si vite et que le calendrier correspondrait à ce point. » Depuis le 7 juin dernier, le RN est parvenu à déprogrammer le film d’un grand festival et de salles municipales. « Dès le jour où nous avons créé la page Facebook du film, des sympathisants d’extrême droite sont venus cracher dessus. Aujourd’hui, ils auront accès à la page AlloCiné et je sais que ce sera violent. »

Mais pour Rohid Rahimi, cette actualité n’est pas encore de taille à ébranler son bonheur. Il y a trois mois, le jeune homme a pu ramener sa famille en France. L’orchestration de la fuite sa mère depuis l’Afghanistan aurait d’ailleurs elle aussi sa place dans un cinéma. « C’était un peu un strike » sourit le comédien. Grâce à un avocat parisien, ce dernier a pu faire sortir sa famille du pays sous un faux nom à bord d’une voiture de talibans. « S’il y a quelqu’un qui mérite l’asile politique, c’est vraiment la mère de Rohid » insiste Vincent Cappello.

« Mon film est tout petit, témoigne-t-il. Je sais qu’il n’aura pas l’impact face au raz-de-marée qui est en face. Mais je me dis que nous avons été capables de raconter cette histoire. Je sais que grâce à tous ces fous que nous sommes, le monde peut s’effondrer, mais rien ne nous empêchera de continuer à raconter nos histoires et à faire des films qui parlent de comment on peut se rencontrer et comment on peut créer un monde nouveau. Pour nous, c’est un acte de résistance. » Sorti en salle aujourd’hui, Nouveau Monde résonne comme un message d’espoir puissant et nécessaire.

Par Charlotte Meyer

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