Sportwashing : l’Ultra Trail Mont-Blanc s’associe à Dacia

Quand le sport en pleine nature joue les prolongations en abîmant l’environnement qui accueille les compétitions, et qu’il s’associe à des entreprises vraisemblablement antinomiques en scellant leur partenariat  officiellement, l’attrait des sportifs se meut en une incompréhension certaine.

Huit courses de 14 à 171km autour du Mont-Blanc, réparties sur huit jours : bienvenue à l’Ultra Trail Mont-Blanc. UTMB, qui fête cet été ses vingt ans, aura lieu du 28 août au 3 septembre. Le compteur d’inscriptions explose chaque année avec 10.000 participants, accompagnés d’un public cinq fois plus nombreux venu soutenir et acclamer ces sportifs de haut niveau… Pour le plus grand bonheur des passionnés qui trouvent ici un savant mélange de sport et de nature, au cœur de Chamonix réquisitionnée toute entière, résonnante des échos d’un tourisme de masse, essoufflée par la pollution de l’air et la fonte de ses glaces.

Un bilan carbone désastreux

Le monde du trail paraît déjà bien entaché par un lourd bilan carbone. C’est la raison pour laquelle, en 2019, le site Outside a proposé aux quatorze principaux trails mondiaux, le Tor X, le marathon du Mont-Blanc, le Grand Raid de la Réunion, et l’Ultra trail Mont-blanc, entre autres, de calculer leur impact environnemental. Avec près de 20 millions de participants dans le monde, des allers-retours en avion aux quatre coins du globe pour les coureurs mais aussi pour le public et les accompagnateurs, c’est la planète qui repousse toujours plus loin ses limites.

Seuls sept ont fait le pas de la transparence. Sans pour autant rendre les résultats public. Si l’on s’en tient aux chiffres exorbitants du marathon de Paris avec un bilan carbone de 25 millions de tonnes de CO2 pour 60.000 personnes, l’UTMB ne doit pas se trouver très loin. D’après le bilan élaboré par Outside, les organisateurs sont au fait de leur impact négatif, mais « ne prennent que des mesurettes » pour rendre cette activité plus respectueuse. Le groupe UTMB cares, qui estime que 80 % de leur bilan carbone est imputable au transport, met en place quelques une de ces mesurettes: échanger l’héliportage du matériel par des mulets, troquer le sempiternel Coca-Cola par des colas locaux, mettre en place une plus grande communication sur les moyens de transport à privilégier en promouvant le covoiturage, trouver des alternatives aux 4×4 et autres véhicules utilisés par les journalistes, les membres de la logistique mais aussi par les accompagnateurs pouvant suivre leurs coureurs jusque sur les pentes montagnardes, utiliser des toilettes sèches, trier les déchets, supprimer les bouteilles en plastiques… Quelques efforts qui ne trouvent pas encore écho chez les sportifs, ni chez les locaux, qui voient d’année en année leur vallée et leur montagne s’abîmer.

Le groupe est pourtant en partenariat avec WWF depuis 2017. Ainsi peut-on lire sur le site de l’association environnementale « Au-delà du travail de réduction de l’impact environnemental de l’UTMB®, ce partenariat vise à prouver qu’un grand événement international peut promouvoir le respect de l’environnement par son exemplarité et participer au développement durable de son territoire. ». Sur l’année 2022, UTMB GROUP atteint 10.155.573 € de chiffre d’affaire avec une augmentation de 189.75 % entre 2021 et 2022, de quoi permettre une totale réflexion sur les moyens à mettre en place pour planifier un évènement environnementalement acceptable.

Killian Jornet, multiple médaillé de courses et grand habitué des podiums de l’UTMB, qui ne participera pas au trail cette année pour raison de santé, annonçait en 2020 au moment de la création de sa Fondation de préservation de l’environnement et des montagnes :

« Il faut repenser le modèle du sport en tant que circuits professionnels mais aussi en amateur. On voit par exemple que sur l’étude de Pamela Wicker de 2018 sur l’empreinte carbone des pratiquants sportifs, les sports nature, dont les sports montagne étaient ceux qui avaient une empreinte carbone la plus importante, et cela malgré une prise de conscience plus élevée. Et au niveau des circuits en général il faut repenser le modèle du sport. En tous cas, j’ai dans mes prochains projets de discuter avec les différents acteurs du sport pour trouver un modèle plus responsable. » 

Dacia : Un partenariat décrié

La nouvelle est tombée cet été, juste avant l’édition 2023 : le constructeur automobile Dacia déjà partenaire, associe son nom à l’évènement pour donner naissance à Dacia UTMB.

Les réactions ne se sont pas faites attendre. Killian Jornet, soutenu par plusieurs grands noms du trail mondial tels que Andy Sysmonds et Jasmin Paris, appelait « à réfléchir à l’avenir avant le profit » sur ses réseaux sociaux, et d’affirmer sur son compte instagram : « les endroits où l’on pratique nos activités changent drastiquement du fait du changement climatique et de la pollution. La vallée de Chamonix a un énorme problème de pollution de l’air par des particules, alors que ses glaciers et ses écosystèmes se détruisent rapidement. »

La Fondation Kilian Jornet se donne pour mission de préserver les montagnes et leur environnement. DR

Une pétition lancée par l’association The Green Runners le 14 août dernier demande le retrait du partenariat entre la marque de voiture connue pour ses SUV et l’organisation du trail. Elle récolte à ce jour plus de 1.400 signatures. L’association dénonce « (…) Les SUV (…)  figurent parmi les principales causes de l’augmentation des émissions de dioxyde de carbone (CO2) au cours de la dernière décennie. (…) Honte à vous, Dacia, pour les millions de SUV destructeurs de la planète que vous avez livrés au monde. Et honte à vous, UTMB, pour la promotion de l’enfer qu’ils ont déclenché. »

Allant jusqu’à parler de sportwashing (procédé par lequel une entreprise ou une quelconque entité utilise le sport pour améliorer sa réputation) et alors que la marque sponsorise également la plus longue course de l’UTMB, la question d’un greenwashing intrinsèque à l’association des deux noms posent un problème éthique aux sportifs, comme le soulignait sur ses réseaux sociaux le coureur engagé Andy Sysmonds, qui a d’ailleurs décidé de ne plus prendre l’avion : « il est très décevant de voir des équipes et des événements sportifs s’associer à des entreprises dont les activités sont entièrement capitalistiques et destructrices de l’environnement ».

L’organisation de l’UTMB réagit en affirmant que ce partenariat suit une logique de cohérence entre les promesses de réduction carbone de la marque, et la leur.

Quand Total sponsorise la coupe du monde de rugby ou bien encore des compétitions automobiles, la voie du sportwashing est toute tracée, presque logique. Aujourd’hui, même le monde du sport nature est accaparé par les géants de la pollution. Reste-t-il encore un domaine libre de profits écocides ?

Par Jessica Combet

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