À Gaza, les Palestiniens subissent les bombes et l’indifférence

Cette semaine, l’équipe de rédaction de Combat prend la parole sur le traitement médiatique des attaques portées sur la Bande de Gaza et les populations palestiniennes.

Combat a mis du temps à publier son premier article avec pour sujet l’inaltérable conflit israélo-arabe. Le journal le justifie, en refusant la position de pure réaction imposée par l’économie médiatique : chaque jour, biberonner le spectateur non-émancipé, de toujours plus de news, de fake-news, de fact-checking, et emboiter le pas à une autre actualité plus brûlante. Ne nous leurrons pas : peu de médias ont le souci de ce que les corps des Palestiniens endurent. Comme si chaque corps, soufflé par l’onde d’une bombe, tombait inerte dans le bac sans odeur du traitement informationnel et de sa captation capitaliste.

Je ne sais pas si le soubresaut du 7 octobre et les attaques du Hamas sur des cibles israéliennes méritent que je l’aborde par le gros bout de la lorgnette : comprendre les racines du conflit, distinguer le vrai du faux, savoir qui a le plus raison d’Israël ou de Gaza. L’enjeu n’est pas là, pas là dans l’immédiat. La tâche du journaliste serait de s’affranchir de ces représentations, héritées des guerres de colonisation et de celles contre l’islamisme politique.

La question qui se pose alors est la vision véhiculée par les traiteurs d’infos. Les médias hégémoniques, qui bénéficient d’une aura légitimée par les puissances d’argent, préfèrent piétiner le manteau du peuple et ne voir dans celui-ci qu’un objet de convoitise. Notamment lorsqu’ils décident de l’agenda politique et géopolitique. Ici, ils ne décident de rien et ce sont d’inévitables biais de langage ou de véritables accointances avec les canaux officiels des pouvoirs, qui irriguent notre actualité. La neutralité, que certains s’évertuent à revendiquer comme un blason, devient immorale dans ces moments-là, tant elle consiste d’une part à faire prévaloir l’indifférence politique devant le crime et les massacres et, d’autre part, elle ne signifie en réalité que l’effacement d’un point de vue minoritaire devant la parole dominante.

Les mots, encore les mots, toujours les mots.

L’expression a cela de violent, qu’elle permet son propre dépassement : un jour, une nuit, survient le moment fatal où un slogan préfère l’attrait du feu au trait d’esprit. Ce qu’il se passe à Gaza est aussi le produit d’un narratif. L’ordre du discours décide la manière dont nous aurons à penser et à dire la matière, la situation réelle où, derrière le baume rhétorique, des gens meurent, exterminés.

Une phrase en dit parfois plus que n’importe quelle plûme batarde : “Je le jure 51 jours d’attaque de 2014 c’est juste 1% de ce qui s’est déjà passé pendant 6 jours. Ca sent la poudre partout” (Le Club de Médiapart, le 24 octobre 2023). Là, on a la vie coulée dans la guerre.

Un second exemple exprime l’inverse : “Les événements en cours, depuis les atrocités commises par le Hamas lors de l’opération terroriste du 7 octobre, relèvent d’une guerre sans merci, qui s’annonce longue, porteuse de tragédies et d’ondes de choc multiples. Nous devons à votre fidélité et à votre confiance d’y répondre par une couverture éditoriale la plus complète et la plus fiable possible” (Le Monde, le 24 octobre 2023). Ici, la langue est inscrite dans la guerre, elle la sert, en ce sens que le langage médiatique fonctionne sur le mode du double standard.

Le quotidien des Gazaouis, des Palestiniens, ne reçoit, en guise de considération, que l’ignorance. N’est de mise, dans l’intérêt qu’on daigne leur porter, que le trop de sang. Or, dans ces évènements caractérisés par les mots de l’extrême et soit-disant synonymes de recrudescence du conflit, l’intérêt porté envers la situation nationale est doublé. La différence de traitement entre la victime palestinienne, la victime digne de n’exister qu’en tant que victime et la victime israélienne, seule digne d’hériter des valeurs de la démocratie et de la modernité, devient flagrante.

De l’usage du mot « terrorisme »

Ce double standard facilite et conduit les discours les plus nauséabonds. Ainsi en est-il de l’utilisation du mot terrorisme, classique dans la couverture du conflit israélo-arabe, qui, au-delà de son inconsistance juridique, est employé pour décrédibiliser la résistance. Il ne s’agit pas, ici, de passer sous silence l’atrocité des actes commis par le Hamas mais, dans un contexte de condamnation tous azimuts, de refuser l’utilisation du vocable terrorisme qui permet de taire le combat armé et pacifique des différents mouvements palestiniens. Parler de terrorisme n’est pas faux en soit. C’est en user abusivement et arbitrairement qui en fait, d’abord et avant tout, un moyen d’occultation politique. On ne qualifie pas des terroristes les crimes de guerre de l’armée israélienne, ni les exactions américaines contre les Afghans ou les Irakiens. La langue de velours, pour en parler – car elle doit le dire -, lui préfère les douces abstractions d’“opérations”, de “ripostes”, d’“offensive”. Bref, un vocabulaire d’atténuation propre au récit guerrier qui permet de lisser les crimes et de dresser l’opinion contre un certain type de terrorisme.

C’est donc le rapport qu’il convient de fonder. Une propagande s’organise autour d’objectifs trans-historiques, poursuivis par les Etats qui, concrètement, ne recherchent pas la paix. Sinon dans le sens qu’Israël veuille bien lui donner : la construction d’un Etat exclusivement juif, débarrassé au passage de ses éléments contestataires ou de sang mêlé, les juifs arabes. Sinon la paix à la condition expresse du contrôle et de la destruction d’un peuple, réduit à la seule figure de l’ennemi. Or, dès le départ et avec tous les moments, grands (les intifadas) et moins grands (les accords, les massacres civils), qui l’ont prolongé, un travail de sappe politique, diplomatique et militaire, sous l’égide des Etats-Unis et de l’Union européenne, est réalisé afin d’accomplir le projet sioniste.

Il faudrait se démettre devant l’horreur de l’irréparable. Dis-moi quel est ton camp, et je dirais quel bon ou mauvais citoyen tu fais, voire parfois, quel bon ou mauvais militant tu es. Le moralisme gomme les réalités politiques et économiques des peuples qui courbent l’échine. Il empêche toute solution et toute espérance de se manifester, car il crispe les sentiments et entend instrumentaliser le contexte de violence inhérent à la situation coloniale. Pourtant, il faut dire, et agir. C’est d’abord rappeler l’origine de la violence. C’est d’abord comprendre, et cela est presque impossible dès lors que de telles conditions de vie ne nous apparaissent qu’en idées et en images, que la lutte de libération a depuis 75 ans pris de multiples formes. Manifestations non-violentes le long du mur et des barbelés, attentats, soulèvements, solidarités populaires… C’est donc saisir qu’à ne voir que le plus immonde, on oublie tout le reste.

Un journalisme de la décence devrait raccommoder et porter la veste du peuple. Pourquoi ? Les mots ne sont parfois pas assez effroyables, pour saisir la cruauté à l’oeuvre sous nos yeux. Pourtant, disons-le, avec les mots qui nous viennent : la politique israélienne est de nature coloniale, la barbarie occidentale l’aidant et la soutenant. Il n’y aucun processus de paix et de normalisation, pas plus qu’à terme l’éventualité que deux Etats co-existent puisse voir le jour. L’apartheid, que tout un chacun ne peut que constater, hormis les cyniques qui gouvernent et terrassent, est d’abord légal et instaure, ensuite, une situation politique.

La réaction et la répression sont d’abord l’œuvre de la conviction que les moyens choisis sont les meilleurs. Si nous ne voulons pas assister à la disparition du fleuve palestinien, qui abreuve nos propres veines, nous devons reconnaitre qu’un peuple ne parvint jamais au jour de sa libération par le bon vouloir de ses oppresseurs.

Crédits photo : Ömer Faruk Yıldız.

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