Mikaël Chambru : « Il faut transformer l’imaginaire et la dimension culturelle de la montagne »

Cette semaine consacrée à la montagne s’achèvera demain à Chambéry avec la projection du film Transition écologique en montagne : un raid anthropologique dans le Queyras réalisé par deux chercheurs de Labexxitem. Aujourd’hui, Combat vous propose de partir à la rencontre de l’un d’eux, Mikaël Chambru, maître de conférences, coordinateur scientifique et responsable pédagogique à l’Université de Grenoble.

La question de la transition écologique en montagne est centrale dans nos territoires. Les chercheurs de Labexxitem, de par leur transversalité font un travail remarquable sur le terrain, à la rencontre des acteurs locaux mais également dans les bureaux des politiques ou bien encore derrière le micro des journalistes. Le point commun de tous ces scientifiques est cette volonté d’ouvrir le débat sur la recherche de solutions qui entrent dans un cadre de justice sociale et climatique.

Transition écologique en montagne : un raid anthropologique dans le Queyras a été réalisé conjointement avec Yann Borgnet dans le cadre de votre travail avec Labexxitem. Pourriez-vous expliciter le rôle de cette structure et vos différents moyens d’action ?

Labexxitem est un laboratoire d’expérimentation territoriale en montagne. Nous sommes une centaine de chercheurs : géographes, historiens, économistes, sociologues, juristes qui travaillons sur la montagne dans les différentes universités des Alpes du Nord. Nous faisons de la recherche sur les territoires de montagne autour de cette question de la notion de transition dont on entend désormais beaucoup parler.

Notre objectif est de produire des connaissances, de financer des programmes de recherches. Nous essayons de coller au maximum aux sujets qui font débat. Ce sont des projets qui peuvent être portés par des chercheurs mais aussi co-construits avec certains acteurs autour des problématiques plus concrètes. Il y a aussi l’idée de partager le plus possible ces connaissances, pour qu’elles puissent éclairer le débat, les choix politiques. Pour cela, nous développons tout un tas d’actions de médiation scientifique dont l’un des enjeux est de produire des films documentaires. Je suis attaché au fait de ne pas seulement écrire mes articles. Je participe également à des tables rondes, des conférences, des animations auprès des écoles, jusqu’à faire du contenu adapté aux réseaux sociaux. Il faut toucher le public.

Votre documentaire questionne donc ce rapport à la transition écologique et la nécessité de s’y engager. Quel est le point de départ de sa réalisation?

Yann Borgnet, avec lequel j’ai réalisé le film, fait une thèse en géographie sur la transition touristique dans le Queyras. Nous sommes donc sur des programmes de recherches différents, et nous nous sommes rejoints avec l’envie de passer du temps sur le terrain, de l’arpenter sous ses aspects matériels, paysagers. Nous voulions nous adresser à ces gens de montagne qui aiment les films d’aventure.

Le format nous a permis de soulever les questions de transition, à partir du récit des acteurs locaux. Le documentaire ne s’adresse pas à des militants écolos convaincus. Cette question de la transition des montagnes est politique, elle nécessite donc du débat, de l’échange. C’est indispensable pour apporter un éclairage. Il faut s’adapter, et la question est : « anticiper ou attendre le dernier moment ? » Parce qu’effectivement, plus on attend plus le changement devient radical et violent. Il y aura forcément des conflits, mais c’est là que ça devient intéressant d’un point de vue démocratique.

Le fait d’avoir des données scientifiques et d’être vous-mêmes chercheurs, change la réception du film. La transition est un sujet clivant sur lequel il est facile de poser une opinion. Arriver avec des données et un consensus qui n’est pas fondamentalement militant permet-il d’avoir un débat plus posé?

Le débat n’est pas d’être pour ou contre les stations de sport d’hiver, elles sont là, on ne peut pas les démonter. Il y a deux choix : soit on trouve des solutions techniques à l’image du recours à l’enneigement artificiel en restant dans le même schéma le plus longtemps possible, alors que ces technologies sont désuètes ! Soit on s’oriente vers des solutions alternatives. Et sur des territoires en conflit avec de fortes mobilisations sociales, comme c’est notamment le cas à la Grave, à la Clusaz ou même par extension sur le tracé du Lyon-Turin, l’intérêt est de créer de la discussion.

Si je prends l’exemple de la Grave, l’annonce de Macron de vouloir protéger les glaciers vient à l’encontre de la poursuite des travaux sur le glacier. Et la mobilisation de cet automne risque de prendre plus d’ampleur au printemps prochain. La solution pour pouvoir vivre et habiter en montagne au XXIème siècle, c’est de dire que nous n’avons pas de modèle de remplacement du tourisme. Personne n’a aujourd’hui de solution clé en main. Dans le milieu militant le discours met souvent en avant « les tiers-lieux, l’économie sociale et solidaire, l’agriculture. » Mais la réalité n’est pas si manichéenne. Passer en quelques mois du tout-ski à ça, ça ne marche pas, il faut construire et ça demande du temps. Il faut transformer l’imaginaire et la dimension culturelle, mais aussi le récit que l’on entend tel que « le ski a sauvé la montagne. » C’est cela que nous essayons d’interroger dans le film, qu’elle est la voie qui permet d’avancer.

Après le Plan Neige, l’imaginaire collectif s’est établi de telle sorte que l’éventualité de s’engager sur la voie de la transition prend du temps à gagner les esprits…

Cela prend du temps et la nécessité de dialoguer. Dans le cas du Queyras, la région n’a pas bénéficié du Plan Neige, contrairement à la Savoie et la Haute-Savoie. Au départ, il y avait un équilibre sur le territoire, entre agriculture et tourisme estival, mais l’enjeu était à l’époque de le développer aussi en hiver, pour permettre à la population de s’installer durablement. Il y a eu ce mouvement-là, rendant la région dépendante au tourisme quatre-saisons et ces effets secondaires sont arrivés : la construction de résidences secondaires a fait exploser le prix du foncier, empêchant l’installation de nouvelles habitations, mais aussi d’agriculteurs. C’est un cercle vicieux : sans habitants il n’y a pas d’écoles, pas de service public. »

… Et c’est la désertification des territoires de montagne au profit du tout-ski, du tout-argent. Lorsque nous pensons stations de ski, en effet, les premières images qui viennent sont celles de barres d’immeubles, de maisons secondaires, de business. La réalité sociale derrière cet écran blanc a conduit à la réalité environnementale que nous connaissons aujourd’hui sur ces territoires. Changer l’orientation de l’économie permettrait alors un réalignement de la ruralité de la montagne avec le potentiel dont elle dispose et les leviers d’action sont multiples et désirables, pour rendre ses lettres de noblesse à la montagne.

Propos recueillis par Jessica Combet

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