Chère Judith

Au lendemain de la 49ème cérémonie des César, notre journaliste Capucine Bastien-Schmit lance un appel au monde du cinéma.

Vendredi 23 février, 21h. Amour du cinéma autant que tradition familiale obligent, je regarde les César 2024. Je les attends avec impatience : qui va oser parler de l’année catastrophique pour la réputation du cinéma français, des violences sexistes et sexuelles dans le 7ème art, tristement mises en lumière une fois de plus par l’affaire Depardieu ?

Ariane Ascaride arrive sur scène, elle annonce Judith Godrèche. Sous le feu malheureux des projecteurs depuis plusieurs semaines pour avoir dénoncé avec une immense force les actes répugnants du réalisateur Jacques Doillon ou de Benoît Jacquot lorsqu’elle avait 15 ans, l’actrice est arrivée.

 Si depuis 30 ans, “le silence est [son] moteur”, ces 6 minutes de discours ont montré son courage et sa puissance infinie.

Sous les yeux de la grande famille du cinéma, Judith Godrèche a questionné:  “ je parle mais je ne vous entends pas. Où êtes-vous ? Que dites-vous ?”.

Chère Judith, je me posais la même question. Pourquoi tous.tes ne prennent pas la parole ?  La poignée d’actrices, pourtant toutes plus puissantes les unes que les autres, ne suffisent pas.

Élevée au rythme du 7ème art, j’ai mal. Féministe depuis que je sais penser, je tremble. J’ai peur. En voyant les paroles de Marie Dosé et Julia Minkowski dans La Tribune dimanche dernier, comment ne pas être terrifié.e.s ?  Deux femmes s’indignent de la règle de l’académie des César stipulant que toute personne impliquée ou en procédure dans des faits de violence ne monterait pas sur scène.

Et surtout, le silence des hommes montés sur scène après la prise de parole de Judith Godrèche est aussi révoltant qu’assourdissant.

Non, messieurs, ce n’est pas un problème de femmes. Votre silence abîme le cinéma français.

Non, messieurs, ce n’est pas rien « parce que c’est Gérard. »

Non, 45 prises d’une scène de sexe avec une jeune fille de 15 ans, ce n’est pas du cinéma.

Non, Roman Polanski ne peut pas être sacré meilleur réalisateur en 2020.

Non, on ne peut pas séparer l’homme de l’artiste.

Non, la présomption d’innocence ne doit pas bâillonner les victimes. Une main aux fesses n’est toujours pas “rien”. A votre grand désespoir, les femmes ne s’amusent toujours pas à mentir. Ni Adèle Haenel, ni Charlotte Arnould, ni personne.

Non, Monsieur Macron, Gérard Depardieu ne rend pas fière la France.

Non, Catherine Deneuve, une fille de 13 ans ne peut pas être consentante.

Non, Luc Besson, il n’y a pas besoin d’être amoureux pour faire du cinéma.

Non Annie Duperey, il ne faut pas avoir de l’expérience dans le harcèlement pour prendre position, et non 6 ans de relation n’est pas égal à “consentement”.

Non, Fanny Ardant, on ne peut pas “donner une certaine chaleur” à Roman Polanski.

Non, Nadine Trintignant, on ne peut pas “foutre la paix” à des violeurs.

Enfin, oui, vous, les hommes et les femmes qui honteusement fermez les yeux, devez faire quelque chose. Il en va de votre devoir d’être humain. Car j’ai honte d’appartenir à votre espèce. Et je crois que je ne suis pas la seule.

Et comme l’a dit Judith Godrèche, “pourquoi accepter que cet art que nous aimons tant, cet art qui nous lie, soit utilisé comme une couverture pour un trafic illicite de petites filles ?”

Je demanderai même beaucoup plus largement, pourquoi punit-on toujours les victimes ?

Alors, hommes, sortez de vos fantasmes qui vous déshonorent, et acteur.ices, honorez le cinéma en ne vous taisant pas.

Par Capucine Bastien-Schmit

Laisser un commentaire