FiniES les bévues, les Mamies sont dans la rue

Face à l’accélération des dégradations environnementales, et l’horizon sans cesse assombri des jeunes générations, les Mamies pour le Futur se mobilisent pour obtenir une réaction politique à la hauteur.

Les Mamies sont toutes jeunes, vraiment. Elle sont nées lors d’un pique-nique aux Buttes Chaumont, lorsque Birgit Müller, anthropologue, fait part à Pascale Raoux, intermittente du spectacle, de son idée : créer un collectif de mamies engagées dans la lutte contre le dérèglement climatique et l’avenir des nouvelles générations. L’avenir de leurs petits-enfants.

Semblables groupes existent déjà, en Allemagne surtout, aux Pays-Bas et en Autriche également. Lors d’un séjour professionnel à Berlin, Birgit Müller a rencontré les Omas for Future locales alors que celles-ci militaient pour une capitale neutre en carbone d’ici 2030. La campagne s’est révélée infructueuse, mais l’anthropologue est revenue avec la ferme intention d’initier un mouvement en France. S’en est ensuivi le fameux pique-nique aux buttes Chaumont, et l’exclamation enthousiaste de Pascale Raoux. « C’est une super idée ! » Les Mamies pour le Futur étaient lancées.

Instaurer un rapport de force

« Les Mamies, c’était une réponse à mon désespoir face à l’accélération du changement climatique. En lisant les nouvelles sur la fonte des glaces au Groënland en novembre 2022, alors que je venais d’avoir mon deuxième petit-fils, je me suis dit que son horizon était déjà bouché. » Birgit Müller raconte ainsi sa prise de conscience, non pas des dégradations environnementales – elle s’est engagée dans les luttes écologiques dès les années 1980 – mais de l’urgence de la situation. « Les rapports du GIEC présentent toujours une opinion moyenne, or actuellement, tous les chiffres sont au rouge : le réchauffement se fait plus vite que prévu. » D’où la volonté d’initier un mouvement et de forcer une réaction politique.

Les Mamies pour le Future se sont inspirées d’un collectif similaire en Allemagne. DR

« Il y a tout un schéma de pensée sur une jeunesse révolutionnaire, sur les jeunes qui font chier, parce que ce sont des jeunes, explique Pascale Raoux avec un sourire. On avait l’impression qu’on pourrait plus facilement se faire entendre, en tant que mamies. » Plus difficile, en effet, d’évacuer les revendications de personnes à la cinquantaine consommée sous prétexte que « ça leur passera ». Plus difficile, aussi, de les tabasser en manif, à cause du respect de l’âge ? Peut-être. Les Mamies ne se font cependant pas d’illusions quant à leur potentielle immunité face aux forces de l’ordre.

Il n’empêche, les deux amies sont déterminées à soutenir les jeunes générations qui se mobilisent pour obtenir une réaction politique à la hauteur. Contrairement aux Oma allemandes, qui sensibilisent les citoyens pour transformer les comportements individuels, les Mamies françaises veulent s’attaquer à l’échelon supérieur, et obtenir des transformations structurelles. « On demande aux gens de ne pas prendre la voiture, s’agace ainsi Pascale Raoux, mais à la campagne il n’y a aucun transport. Comment tu veux qu’ils fassent ? » Pas question, donc, d’aller culpabiliser les individus tant que l’État n’a pas pris ses responsabilités et rendu possibles les changements de pratiques.

Prendre le temps de crier victoire

Les revendications ne constituent toutefois qu’une part des activités – encore balbutiantes – du collectif, qui entend également célébrer les victoires obtenues au nom de l’environnement et de la justice sociale. « L’une des filles de Birgit, très engagée, peinait à convaincre ses camarades de prendre le temps de fêter leurs réussites, raconte Pascale Raoux. Ceux qui nous gouvernent n’ont pas forcément envie qu’on s’attarde sur les avancées, parce que c’est souvent contre eux qu’elles se font. On a que les mauvaises nouvelles. » Avis aux journalistes.

Le soutien aux mouvements contestataires est important – après tout, le collectif a vu le jour alors que les Soulèvements de la Terre étaient menacés de dissolution par le Ministre de l’Intérieur – mais pas à tout prix, au risque de se retrouver à côté de la plaque. « On a besoin de prendre contact avec les syndicalistes, connaître très bien ce qu’ils veulent, connaître très bien l’histoire du mouvement… explique Birgit Müller. Si on fait une intervention, il faut que ça ait du sens. »

Les Mamies ont par exemple proposé aux cheminots, qui se mobilisent contre la privatisation du fret ferroviaire, de célébrer leur lutte. Pour le contexte, en 2016, l’activité de transport de marchandises de la SNCF était ouverte à la concurrence, dans le but d’augmenter la part du train dans le fret français. Peine perdue, plusieurs rapports soulignent la chute du rail dans le transport de marchandises depuis sa libéralisation. L’État entend aujourd’hui démanteler la filiale de la SNCF responsable du fret, ce à quoi syndicats de cheminots et associations écologistes s’opposent. « Comment est-ce qu’on retire les camions de transport archi-polluants de la route si c’est pas par le rail ? » interroge Birgit Müller. Ma foi, par l’avion.

Fret SNCF devra abandonner les trains « dédiés ». Ici, un train circulant entre Serqueux et Gisors, en gare de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), le 15 mai 2021. BRUNO LEVESQUE/IP3/MAXPPP

Toujours est-il que les cheminots n’ont pas semblé emballés par la proposition des Mamies. Une réponse à leur mail, une promesse de transfert aux personnes compétentes, puis silence radio. Sans doute ont-ils d’autres priorités.  Tant pis, les Mamies se proposent de célébrer le bonus réparation, prévu par la loi anti-gaspillage de 2020 et lancé en 2022, pour soutenir les ménages qui font réparer leurs objets (meubles, appareils électroniques…) par des réparateurs labellisés. EN 2021, Zero Waste France et les Amis de la Terre France, notamment, ont déposé un recours devant le Conseil d’État contre le décret du 30 décembre 2021, par lequel le gouvernement diminuait drastiquement le montant du fonds. L’action est toujours en cours, et les Mamies entendent bien la soutenir.

Freiner la frénésie

Dans l’Appel aux Mamies, que les deux amies ont rédigé suite à leur pique-nique aux buttes Chaumont, on peut lire : « Nous sommes (…) des femmes fortes de nos expériences de la vie, de nos savoirs. » L’âge est une force, parce que l’âge est une mémoire. La mémoire d’une société avec des citernes d’eau de pluie sur les toits, avec des infrastructures, aujourd’hui démantelées, vers lesquelles on revient à présent à reculons. Vrac, tramway… Parlons du tramway, tiens. À Paris, il a connu son âge d’or au début du XXème siècle avant d’être petit à petit démantelé au profit du métro, des omnibus et… de la voiture. Pareil pour le réseau ferroviaire – divisé par deux depuis 1930 au principal détriment des petites lignes. Les rails existent, ils sont là, juste abandonnés faute d’un investissement goulûment englouti par la grande vitesse et le réseau routier. « Maintenant, s’énerve Birgit Müller, on fait comme si c’était la mer à boire de remettre en usage des trains qui ont déjà existé, qui ont tout pour exister de nouveau. »

Fresque du climat organisée par les Mamies pour le Futur

« Je viens de la Martinique, qui dans les années 60 à 70 était déjà en retard de je sais pas combien d’années par rapport à la Métropole, raconte de son côté Pascale Raoux. Chez mes grands-parents, des bourgeois, j’ai connu les coupures d’électricité non-stop. On avait des lampes à pétrole et mon grand-père les allumait quand l’électricité sautait. » Cette femme de 62 ans constate avec une forme d’incrédulité les bonds en avant, en matière de technologie, en matière d’offre – une seule chaîne télé à son époque, avec tout juste Pimprenelle et Nicolas. Un bond en avant qui a apporté un indéniable confort, mais également son lot de non-sens. « Parfois, je me dis qu’on a pas besoin de tout ça, pas aussi vite, confie l’intermittente du spectacle. Ça nous dépasse. » Immédiatement vient la question, piège, il faut bien l’admettre : est-ce que c’était mieux avant ? Faudrait-il revenir en arrière ? Pascale Raoux secoue la tête en se récriant. « Ce n’est pas revenir en arrière que de limiter la frénésie ! »

Frénésie, l’autre nom de l’innovation ? Birgit Müller a travaillé sur les mouvements alternatifs de production de Berlin ouest, et sur ce qu’est un produit qui fait sens. Pas étonnant qu’elle invective l’obsolescence programmée, une aberration dans une société menacée par le dérèglement climatique. Pour elle, la solution est simple : il faut sanctionner. Sanctionner les entreprises, revoir les traités de libre échange qui permettent, sous couvert de la propriété intellectuelle et du secret commercial, de concevoir des objets conçus pour être hors d’usage un mois après que la garantie a expirée. Et Pascale Raoux d’ajouter : « C’est quand même fou qu’on n’ait pas une commission qui, quand un produit sort, se demande si c’est bon pour la planète ? Pourquoi on nous demanderait de faire autant de tri et autre, alors qu’en deux minutes, on nous balance des produits qui anéantissent tous nos efforts ? »

Rendre aux gens le pouvoir de comprendre

« Quand on aborde un sujet, il faut qu’on sache de quoi on parle, pour avoir du poids dans nos revendications », explique Pascale Raoux. Les Mamies comptent ainsi organiser des conférences-débats sur des thématiques liées à l’environnement, avec toujours l’objectif de sortir de la salle en ayant trouvé des moyens d’action concrets. « On peut pas avoir une action sur tout, convient Birgit Müller. Alors on veut sélectionner des enjeux qui paraissent insurmontables, archi-compliquées, et essayer de les rendre intelligibles, pour qu’on puisse collectivement s’y attaquer. » Puisque, si des mamies arrivent à comprendre les besoins énergétiques des data centers, c’est que tout le monde le peut. La première conférence s’est ainsi tenue le 26 février dernier, à l’Académie du Climat. La frénésie du numérique et son impact environnemental, précédé d’un apéro avec quiche maison. Birgit Müller et Pascale Raoux se félicitent que, malgré une assiduité discutable aux réunions mensuelles, plusieurs Mamies soient venues aider à la préparation de l’événement.

Bien sûr, transformer le système économique ne se fait pas en un claquement de doigt, d’autant que les échelles locales, nationales et internationales s’imbriquent, que les États doivent désormais rendre compte à des entreprises, que tout semble abominablement complexe. Face aux systèmes économiques, à la crainte de l’effondrement, aux exigences de la sacro-sainte croissance, notre imagination même peine à se hisser jusqu’au sommet du mur pour regarder par-dessus. À moins d’avoir vu le mur s’ériger, année après année. Les Mamies en sont la preuve. « On peut facilement imaginer une vie, une économie, des interactions très différentes. Alors pourquoi on va pas dans cette direction ? » rit presque Birgit Müller, avant d’ajouter : « Les Mamies sont nées du désespoir de l’intelligence et de l’espoir du cœur. Notre dernier mot, c’est l’amour. » Amour, et espoir qu’un mouvement naisse au sein des « générations qui ont profité », que des liens se créent et qu’à terme, la force de citoyens, vieux, jeunes, enfants, grands-parents, transforme les structures qui perpétuent et aggravent le dérèglement climatique.

Par Louise Jouveshomme

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