Avec Routines, son premier roman paru aux éditions Rivages, le sociologue offre une intrigue haletante sur une toile sociale à vif.
« Je l’ai encore fait. / Nous l’avons encore fait. […] Plus de têtes. Plus de sang. Pour vous servir. / La guerre est là / Nous sommes vos soldats. »
Curieux ouvrage que ce nouveau livre signé Fabien Truong. Un polar où le nom du « meurtrier » est révélé dès les premières pages, des corps invisibles, une ville inconnue devenue soudain une préoccupation nationale.
Bienvenue à Cléricourt, « une anomalie jaillissant d’entre les terres agricoles », paisible petite ville de province où rien ne se passe, ou presque. Deux années de sociologie en poche, Tibor est revenu s’installer dans sa campagne d’origine avec sa compagne, Coralie. Les études, ça paie bien, il finirait bien par retrouver quelque chose. En réalité, sa vie finit petit à petit par manquer de perspective. Bien loin de l’avenir promis par les bancs de la faculté, Tibor enchaîne les petits boulots en intérim. Depuis la médiathèque Flora-Tristan où elle travaille, Coralie le regarde s’abîmer au contact des usines qu’il enchaîne. « Elle savait ses désirs intellectuels, son bouillonnement politique, son sentiment d’inachèvement. »
Un polar déguisé
Pendant ce temps, Tibor fulmine. Loin des entrepôts, il médite encore sur cette société en illusion unie. « C’est qu’il en avalait, de la philosophie qui s’attaquait au grand capital et de la sociologie qui enquêtait sur les maux du siècle, des théories qui analysaient le tout et disséquaient les parties. Tibor enquillait les pages, s’enfilait les mots des autres à la pelle. A la banalité d’un quotidien aux moyens limités, il préférait les grandes architectures de l’esprit et la tournure des phrases bien faites. »
Un mercredi, en rentrant du travail, Tibor se rend directement à Flora-Tristan. Dans la médiathèque bondée d’enfants, il se fraie un chemin jusqu’aux postes informatiques. Direction X, feu Twitter racheté par Elon Musk. Prenant pour pseudo « le serviteur », il confesse avoir décapité. Aveu de meurtre public en moins de 280 caractères.
Très rapidement, le réseau social s’emballe. Des retweets par dizaines de milliers, puis au-delà. Tibor récidive ses tweets sanglants. Pourtant, « il n’avait pas posté pour obtenir un shoot de validation sociale, encore moins pour se faire repérer. Il voulait juste trouver les mots pour étayer la souffrance, pourchasser l’ingratitude. » Dans la foulée, les autorités se mobilisent autour de l’Inspecteur général Bernard Francine, coordonnateur de la lutte antiterroriste. Mais l’enquête s’annonce complexe : où sont les corps prétendument décapités ? Qui tue, et pourquoi ? Ces meurtres ont-ils un lien avec les trois étudiantes subitement volatilisées ? Et puis, pourquoi Cléricourt ?
« La lutte des classes n’avait jamais cessé, elle avait juste migré entre les lignes des tickets de caisse. »
Plongée en périphérie urbaine
Polar inversé et addictif, le roman de Fabien Truong est aussi le prétexte tout trouvé pour brosser le portrait de la France périphérique, avec ses inégalités, ses boucs émissaires et ses colères. Le sociologue, qui maîtrise son terrain, n’hésite pas à mettre la fiction au service de nos défaillances sociales.
Cléricourt, c’est d’abord un patchwork de communautés qui tentent tant bien que mal de cohabiter. Il y a Fatima, mère célibataire divorcée d’un ancien dealer sensible à un islam rigoriste. Manuel, qui noie son ennui dans l’adultère. Kader, le responsable du centre social culturel Aimé Césaire qui tient son quartier à bout de bras. Et à quelques rues de là, un peu comme sur une autre planète, le maire. « Inconnu au bataillon des joutes électorales », l’élu « était passé sans autre programme qu’un esprit de concorde un peu hautain pour affronter la peur du lendemain. » Son mantra officiel : la diversité communale.
Entre les mains des médias et des autorités, Cléricourt est un appât facile. Alors que des moyens disproportionnés sont utilisés pour mettre la main sur « le serviteur », la population devient la cible d’apriori racistes et islamophobes. « Ce genre de flics l’emmerdait » grince Kader. « La répression était chez eux un réflexe de primate. On ne s’intéressait à Aimé Césaire que lorsque survenait un problème, alors qu’il eût fallu mesurer ce que le centre empêchait. »
Tibor, lui, continue à jouer au futsal en attendant la fin. Qui, sans vouloir vous influencer, risque de résonner encore longtemps dans votre esprit.
Par Charlotte Meyer

