Expérimentation animale : en finir avec l’enfer des labos

La journée mondiale des animaux de laboratoire avait lieu le 24 avril dernier. A cette occasion le parti écologiste et antispéciste, Révolution Ecologique pour le Vivant (REV), porté par Aymeric Caron, nous partageait une tribune écrite par Victor Prandt, référent régional de la REV en Auvergne Rhône-Alpes.

Le CNRS s’apprête à recevoir 500 guenons provenant de l’île Maurice, destinées à faire naître leurs petits, qui mourront après avoir subi des expériences en laboratoire. Ce projet d’importation animale est financé à hauteur de 10 millions d’euros par l’Etat. Pour nous en dire plus sur la question ô combien complexe, opaque et, avouons-le, difficilement supportable, de l’expérimentation animale, nous avons rencontré l’auteur de la tribune, Victor Prandt. Originaire de Grenoble, il milite aujourd’hui à Lyon au sein de la REV, qu’il perçoit comme « la maison politique de l’antispécisme », et qu’il qualifie « d’outil formidable pour débattre de (nos) utopies, les porter et les faire advenir ». Au centre de la question de justice « pour l’ensemble des individus sentients », Victor Prandt participe au développement de la REV en apportant notamment son soutien aux groupes régionaux et aux luttes locales animalistes, écologistes et sociales.

Dans l’enfer des labos

Singes, souris, poissons, chats, chiens, vous en avez sans doute fait des cauchemars après avoir vu leurs conditions de détention, d’élevage, ou après avoir lu les diverses formes de cruauté dont on les affuble, au nom de la science. 2,1 millions d’animaux utilisés chaque année en France, 10 millions en Europe. 12 millions d’animaux élevés et tués sans « avoir servi ». Ces animaux vivent enfermés dans deux mètres carrés, sur un sol en béton, des grilles et du gris pour seul horizon.

Comme le rappelle le site Animal Testing, il n’y a pas de différenciation entre les expérimentations médicales et cosmétiques. Les expériences regroupent les domaines de la toxicologie, l’enseignement, la recherche fondamentale ou appliquée.

Des singes attachés dans des chaises de contention, trépanés (on leur implante des dispositifs dans le cerveau), asphyxiés (on se souvient notamment de la marque Volkswagen qui, en 2014, faisait inhaler à des singes des gaz d’échappement, dans le but de « voir ce que ça fait »). Toujours d’après les enquêtes de l’ONG, « les primates sont également exploités pour tester la toxicité de médicaments à usage humain avant le passage aux essais cliniques. Ils sont utilisés comme usines de production de sang, de fluide cérébro-spinal, de moelle osseuse et d’autres cellules d’intérêt pour les groupes pharmaceutiques. » Afin de faire avancer la recherche sur la cécité, un grand nombre de ouistitis est également tué pour permettre aux chercheurs de leur prélever les yeux. L’ironie de la situation va loin, on permet aux primates des balades dans des box plus grands, ou on leur offre des « sessions télé », tout un programme…

En 2017, près de deux millions d’animaux ont été utilisés dans le cadre de la recherche biomédicale dans l’hexagone. DR

Plusieurs modalités d’expérimentation sont à l’œuvre. Pour les souris par exemple, les procédés vont de la plus légère (prise de sang, injections, tumeurs sous-cutanées), à l’issue fatale (sous anesthésie, entraînant la mort de l’animal). En passant par des greffes de peau, un isolement en cage métabolique, une dénutrition ou une obésité induite, un sol électrifié (ces modalités sont dites « modérées »), jusqu’aux expériences « sévères » : nage forcée, polyarthrite, brûlures profondes, tumeurs importantes, inhalation. Et puisque le spécisme règne, peut-être que certains se sentiront plus sensibles à ce qui est infligé aux chats : chirurgie destructrice, tests de produits anti-puce et vétérinaires, recherches neurologiques. Ou sur les chiens : sol électrifié, isolement en cage métabolique, inoculation de maladies chroniques type myopathie.

A ce sujet, Victor Prandt se souvient de la mobilisation organisée par le collectif Camp Beagles Gannat, en 2023, dans cette petite ville de l’Allier où sont installés deux lieux d’élevage placés sous vidéo-surveillance, en plein milieu d’une zone d’activité : « 2.000 beagles, dont 250 génitrices, sont enfermés dans des espaces de deux mètres carrés par individu, sans herbe, sans affection.» Le Beagle n’est pas choisi par hasard. C’est un animal très docile, créée spécifiquement pour l’expérimentation animale : « c’est le comble du cynisme il est facilement manipulable, donc on va pouvoir lui faire endurer les pires souffrances. » Dès l’âge de 3 mois les chiots sont envoyés dans les labos, afin de passer des « tests de toxicologie réglementaire » et ainsi participer activement à la recherche appliquée sur la myopathie : « on sélectionne les beagles génétiquement, pour qu’ils soient atteints par la maladie », explique Victor Prandt.

Inertie de la réglementation, ou la volonté de ne rien changer

Victor Prandt précise : « la loi européenne prévoit que les singes ne viennent que d’élevages ou de colonies. » Or, les différentes enquêtes menées par des associations ont démontré qu’aucun contrôle n’est effectué, puisque les pays exportateurs ne sont pas contraints de respecter les normes des pays importateurs. Un grand nombre de ces singes sont donc capturés dans leur habitat naturel, que ce soit à l’île Maurice, en Indonésie, au Cambodge, au Vietnam, au Laos, ou aux Philippines. Les pays qui pratiquent la capture à l’état sauvage assurent ainsi leur stock de reproducteurs. Lors des captures, les primates « sont piégés, traînés par la queue, immobilisés au sol, manipulés brutalement pour être entassés dans des sacs ou des caisses en bois, des nourrissons arrachés des bras de leur mère… » Toujours d’après l’ONG One Voice, « un tiers des nouveaux individus utilisés chaque année est né de parents capturés dans la nature », et ce, malgré le fait que le macaque à longue queue soit une espèce déclarée en danger d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) depuis 2022. De plus, peut-on lire sur le site de l’ONG, « il est interdit d’utiliser en recherche fondamentale des espèces protégées ou référencées dans l’annexe A de la réglementation européenne basée sur la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). »

Victor Prandt questionne « pourquoi la France se place-t-elle au centre du commerce des singes pour l’exportation alors que l’on a cet objectif de réduction ? C’est anachronique ! » En effet, la législation prévoit de réduire l’utilisation des animaux dans la recherche. Et à ce titre, la plateforme Silabe de l’université de Strasbourg se tient au centre des échanges commerciaux des singes. Il s’agit d’une zone de transit, où les primates importés sont stockés pendant la quarantaine nécessaire dès leur arrivée sur le sol français, pour ensuite être déplacés partout en Europe, « pour le compte des gros labos que l’on connaît », siffle le militant antispéciste.

« Un tiers des nouveaux individus utilisés chaque année est né de parents capturés dans la nature » Ici, au Cambodge.

« Cette volonté de ne pas changer est préjudiciable pour les chercheurs, pour la recherche en général. L’inertie du système est payante pour ceux qui la défendent.» Dirigé par les lobbies, les comités d’éthique instaurés depuis 2010 ne suffisent pas à vérifier les conditions de détention, d’élevage et de pratique des labos. 90% des membres de ces comités proviennent des entreprises faisant elles-mêmes des tests sur les animaux. En 2022, le CNREEA rendait un avis sur le fonctionnement de ces comités d’éthique : manque de moyens financiers, logistiques et humains,  problèmes générés par le manque d’impartialité dans l’évaluation des projets. En ce sens, la mise en place de trois R, remplacement, réduction et raffinement, visait à réduire la souffrance animale en imposant des règles, et elle s’avère être un échec. « Ce n’est qu’un slogan publicitaire. Il n’y a pas de contrainte juridique et les chiffres mis en avant par One Voice montrent que rien n’a changé depuis 14 ans, alors qu’il aurait dû y avoir une forte décroissance de l’utilisation des animaux » regrette Victor Prandt

Une efficacité amplement controversée

Il n’y a pas ou peu de publication de la part des chercheurs quant à l’analyse rétrospective de leurs travaux. Cette opacité est mêlée à une difficulté d’accès à ces travaux de recherche. One Voice, par la voix de Victor Prandt, révèle que les statistiques annuelles arrivent « toujours très tard » et qu’elles sont « difficilement lisibles, avec des informations manquantes » (l’origine des singes n’apparaissait pas avant 2023). Qu’en est-il alors de l’efficacité des recherches ?  « Il y a un tel nombre de pratiques et d’expériences différentes, il n’y a pas de résultat probant. Et c’est le plus troublant ! Une expérience ne donnera pas du tout le même résultat suivant la souche des souris utilisées, par exemple. Il y a énormément de biais qui s’insinuent, et le chercheur, in fine, sait déjà en avance quel résultat il aura en fonction de quel souche de souris il aura sciemment sélectionné et prélevé. Chaque étude peut être remise en question ! », remarque Victor. Par ailleurs, un certain nombre d’études ont démontré que l’absence d’effets secondaires sur les animaux ne permettait pas de trouver les mêmes résultats chez les êtres humains. « Alors qu’aujourd’hui on a des outils qui nous permettent de nous passer de l’expérimentation animale. »

Sortir des cages : alternatives et projets de loi

A l’ère de la technologie de pointe, les alternatives comme les prises de conscience globales tendent à s’intensifier. Et comme le clame Victor Prandt, « si on a des alternatives il faut les privilégier, réduire les expérimentations qui ne sont pas utiles, faire en sorte que les animaux souffrent le moins possible et qu’il y ait des palliatifs.  On peut aujourd’hui réaliser des organes en 3D, on a des logiciels qui permettent de simuler la réaction à la douleur, de simuler des organismes respiratoires, on est capables de faire des tissus, avec des moyens techniques assez conséquents qui sont aussi plus fiables que les expériences sur les animaux. » Ces méthodes semblent plus utiles et pertinentes. Il s’agit d’utiliser des outils « qui reproduisent nos mécanismes à nous, au plus proche, plutôt que d’utiliser des animaux » qui restent tout de même assez éloignés de nos fonctionnements biologiques.

Selon l’Institut Karolinska (Suède), l’expérimentation animale ne devrait plus constituer la « norme » contre laquelle tout autre procédé serait forcément comparé. Image d’illustration ©Cruelty Free International

Le 14 avril 2022, cent primates importés de l’île Maurice sont arrivés à l’aéroport de Roissy, après onze heures de vol à bord de la compagnie Air France. Arrivés en France, ils ont été donnés à un autre transporteur qui les a acheminés jusqu’à un laboratoire de tests toxicologiques en Angleterre. Les associations se sont levées, et un simple courrier envoyé par Aymeric Caron à la compagnie aérienne française a permis de stopper le transport des singes vers les labos dès l’année suivante. Un petit pas pour les singes, mais un grand pas pour la REV. Bien que l’engagement ne tienne pas compte des autres espèces expédiées (chevaux, poissons, serpents, beagles, entre autres).

Trois candidates du parti sont inscrites sur la liste de l’Union Populaire pour les prochaines élections européennes, et même si la liste « ne porte pas l’abolition des pratiques d’expérimentation animale », elle porte des avancées notables. « Notamment rendre obligatoire l’utilisation des méthodes substitutives, et financer des alternatives. A l’image du programme Horizon, déjà existant et porté par l’UE, qui débourse 60.000 euros sur cinq ans. Ce programme est destiné à avancer sur les méthodes non animales et interdire, in fine, toute expérience sur les singes, chiens et chats. », précise Victor Prandt.

C’est un premier pas vers l’interdiction des expériences. Pour le moment, ces alternatives souffrent d’un défaut de soutien public : « 10 millions pour faire venir les singes, alors qu’un centre français, le FC3R finançant la recherche de méthodes différentes à obtenu 800.000 euros en 2023. Une somme dérisoire compte tenu de l’urgence que l’on a à trouver des solutions aux nombreuses maladies qui progressent chaque jour. » Aymeric Caron travaille également, à l’Assemblée Nationale, sur un projet de loi visant notamment à inscrire l’objection de conscience pour les étudiants et les chercheurs, comme  dans l’Etat de New-York, ou encore en Italie, où elle est inscrite depuis 1993. Pour Victor Prandt, il s’agit d’une « solution particulièrement intéressante, qui peut obtenir l’approbation de la majorité des députés et permettrait de réduire l’utilisation des animaux de laboratoire de façon effective. »

REV défend l’idée que les animaux sont des individus sentients, qui ont de fait des droits : ne pas être torturés, tués, enfermés et vendus. « On veut en finir avec l’expérimentation animale. On a tout un discours à porter nationalement et dans la sphère publique sur la sentience de ces animaux. On parle de science mais il serait vraiment temps d’écouter les scientifiques et les universitaires. Ces individus sont doués de conscience, ont une capacité à ressentir. Nous devons faire avancer le débat sur cette question. »

Pour la REV (et, peut-être aussi, selon un sondage IPSOS de 2023, pour 74% des Français se disant contre l’expérimentation animale) le débat est beaucoup plus moral que technique : « est-il juste de faire souffrir des animaux pour répondre à des besoins majoritairement inutiles et avec majoritairement des expériences qui ne donnent pas de réponse ? 25% des expériences sont consacrées aux recherches sur la santé humaine mais qu’en est-il des 75% restant ? Il est difficile de trouver une justification à faire souffrir des animaux.»

Par Jessica Combat

Les articles de notre semaine spéciale antispécisme :

  • Ani(mal) représenté, par Adrien Desingue, ici
  • C’est tous les jours Holocauste, par Domi Ni, ici

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