Civil War : Récit d’une claque monumentale

Le 17 avril sortait en salles le nouveau film d’Alex Garland. Entre dystopie apocalyptique, film de guerre et road trip movie, ce long métrage se place aux antipodes de tous les codes qu’il devrait incarner. Récit d’un visionnage plein de surprise.

J’ai toujours adoré les bandes-annonces. C’est un goût que j’ai hérité de l’époque où je n’allais pas souvent au cinéma. Faute de me rendre dans les salles obscures pour faire mes classes, j’arpentais assidûment YouTube pour y dénicher des pépites qui m’étaient jusque-là inconnues et que je prendrais le temps de découvrir une fois l’heure venue. En grandissant, mes habitudes ont changé, et du simple visionnage de la bande-annonce je suis passée à un double visionnage : avant et après avoir vu chaque film, il m’est coutume de regarder la sainte vidéo, pour en capter les nuances, et comprendre ce que le film souhaitait mettre en avant pour son public. Mais si mon amour pour les bandes-annonces n’a jamais flanché, il m’arrive parfois d’oublier de les regarder avant d’aller au cinéma. Pour Civil War, c’est exactement ce qu’il s’est passé. Et cela me fait mal de le dire, mais je pense que ma fidèle amie m’aurait trahie, si je l’avais seulement écoutée.

Arrivée un peu par hasard dans une séance du nouveau long métrage d’Alex Garland, je ne savais que deux choses sur le film : il traite du photojournalisme, et l’affiche m’avait vaguement fait penser à un plan d’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, film de guerre que j’affectionne particulièrement. Entre ces deux informations, rien. J’entrais donc dans la salle vierge de tout a priori, et disposée à toute bonne surprise. Disposée, je l’étais, c’est le moins qu’on puisse dire. Le film m’a tout bonnement fait l’effet d’une claque, qui m’aurait délicatement retournée la figure, et aurait fait voler mes idéaux. Balèze.

L’importance du journalisme dans le monde

Civil War, c’est le récit futuriste des États-Unis en pleine guerre civile. Alors que le président américain prend ses aises à la Maison Blanche, le pays se déchire entre les Américains, les vrais, et les autres. Au milieu, la violence, les civils, et ceux chargés de retranscrire les combats. Lee Smith est de ceux-là. Photojournaliste aguerrie, le personnage campé par Kirsten Dunst ne flanche pas devant la violence des affrontements, son appareil toujours prêt à capturer ce qu’elle voit. Mais lorsque la photographe décide avec son comparse, Joel, son concurrent Sammy et la jeune Jessie, de faire route vers Washington pour interviewer le Président-dictateur une dernière fois, les dés sont jetés. S’en suit alors un périple tiraillé entre la banalisation des violences montrées à l’écran, et un questionnement existentiel profond sur l’importance du journalisme dans le monde, sur fond de road trip movie.

Dès le départ, le souffle est coupé. En cinq minutes, Alex Garland pose les jalons de son film en prévenant le spectateur : rien ne lui sera épargné. Vous vouliez de la violence ? Vous en aurez. Vous vouliez de l’émotion ? Préparez-vous. Dans sa bande-annonce officielle, Civil War ressemble à n’importe quel film de guerre, avec des morts de partout. Mais ce que la bande-annonce ne montre pas, c’est finalement le propos du film. Lee Smith est une photojournaliste de guerre, qui a survécu à bien des conflits, mais celui-ci pourrait être le dernier. Envoyée à l’étranger pour faire en sorte de raconter les horreurs commises hors-sol, elle espérait que cela n’arriverait jamais chez elle. Mauvaise pioche, la guerre civile aux États-Unis est tout aussi affreuse qu’ailleurs. Que lui reste-t-il à faire alors, si ce pour quoi elle a dédié sa vie n’a pas marché ? Continuer, il n’y a que cela. Mais pas sans préparer la jeune génération, incarnée par Jessie. Et à leurs côtés, tous les autres.

Crédits : Metropolitan Filmexport.

Un message d’espoir et de lumière

Civil War est bien un film de guerre, une dystopie qui plus d’une fois a traîné son spectateur dans les bas-fonds du genre. Des explosions, des guns et des morts, tout y est. Mais il se cache autre chose dans ce film, qu’on ne peut voir dans la bande-annonce. En cela, ma tradition tombe à l’eau. Car dans Civil War, Alex Garland réussit le pari de porter un message plein d’espoir et de lumière. Chaque plan est lumineux, gardant même dans ses moments les plus moches un rayon de soleil inespéré, pour ne pas cacher un seul instant ce qui se joue à l’écran. La bande-originale aussi, avec des musiques extrêmement joyeuses et typiques des films de voyages, conserve une joie inespérée. Ses compositeurs, Geoff Barrow et Ben Salisbury, glissent d’ailleurs dans leurs créations des instruments à vent, comme le trombone, le saxophone ou la clarinette, pour tenter, par leur douceur, de maintenir une trace d’humanité dans ce chaos. Car ce qui importe à Alex Garland, c’est que l’humanité gagne. Là où on la voit se délier dans le film, elle doit ressortir plus forte dans l’esprit du spectateur. Ici, journaliste et cinéaste font le même travail.

Quiconque enseigne ou étudie le journalisme vous le dira : le journaliste n’a pas d’opinion, il n’est là que pour raconter des faits. Ses récits doivent servir à ceux qui les lisent de se faire sa propre idée. Il n’est question de leçon que dans un second temps. Informer d’abord, inciter ensuite. Dans Civil War, la photojournaliste Lee Smith explique ne plus savoir si sa profession sert à quelque chose face aux violences dont elle est témoin. Quiconque tendrait l’oreille pourrait entendre Alex Garland poser la même question sur son propre métier. Mais le spectateur n’est-il pas touché par cette même violence en voyant le film ?  Fort heureusement, personne ne ressort comme il est rentré après avoir vu ce long métrage. Et moi, qui suis journaliste, suis sortie peut-être plus changée encore que les autres. Civil War n’est pas une leçon, c’est une mise en garde. À l’attention de quiconque n’écouterait pas la voix des journalistes, qui tentent par tous les moyens et en usant de tous leurs outils de mettre en garde ceux qui les lisent, regardent, écoutent : voici ce qui pourrait vous arriver. La violence est partout, mais sa taille est inversement proportionnelle à celle de la liberté de la presse. Et Alex Garland l’a bien compris.

Crédits : Metropolitan Filmexport.

Une fois les lumières rallumées, les larmes séchées et les gens autour de moi sortis, j’ai pu à mon tour quitter mon siège et remonter à la surface. Mais Civil War m’a fait l’effet d’une bombe. Pardonnez-moi le jeu de mot, je n’en trouve cependant pas d’autres aussi appropriés. De ce long métrage, je tire une leçon principale : ne pas regarder les bande-annonces a parfois du bon. J’en tire aussi un sentiment fort, profond, alors que Dream Baby Dream envahit mes tympans, en clôture du film. Je pense avoir arrêté de respirer quelques secondes, mais avoir reçu assez d’oxygène et de force pour les dix prochaines années à venir. Ne laissez pas la presse perdre face aux forces qui nous oppressent. Les journalistes sont comme ces fleurs qui poussent de la lave durcie pour relancer la végétation : sans eux, pas de salut. Écoutez leurs cris, leurs appels à l’aide. Regardez leurs images, lisez leurs reportages. Il n’y a qu’en écoutant les journalistes et ce qu’ils disent que nous pourrons avancer vers des sociétés meilleures. Et ça, Alex Garland l’a bien compris.

Par Mathilde Trocellier

Civil War, Alex Garland.
Sorti le 17 avril 2024, par Metropolitan Filmexport.
Une course effrénée à travers une Amérique fracturée qui, dans un futur proche, est plus que jamais sur le fil du rasoir.

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