Avec sa décision de dissoudre l’Assemblée Nationale, le Président de la République signe une dernière fois son mépris de la démocratie, sacrifiée sur l’autel de ses ambitions personnelles.
« Et je veux enfin avoir un mot pour ceux qui ont voté aujourd’hui pour Madame Le Pen. Ne les sifflez pas ! Ils ont exprimé aujourd’hui une colère, un désarroi, parfois des convictions, je les respecte. Mais je ferai tout durant les cinq années qui viennent pour qu’ils n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes. Ce soir, il n’y a que les Françaises et les Français, le peuple de France réuni, et ce que vous représentez ce soir au Louvre, c’est une ferveur, un enthousiasme, c’est l’énergie du peuple de France ! »
7 mai 2017. Face à la Pyramide du Louvre, le nouveau locataire de l’Elysée remercie ses électeurs tout en s’adressant à celles et ceux qui ont voté contre ses idées. « Je sais nos désaccords, je les respecterai, mais je serai fidèle à cet engagement pris, je protégerai la République » assure-t-il alors. Elu pour la première fois, Emmanuel Macron semble prêt à endiguer la progression de l’extrême droite en France. Sept ans plus tard, celui qui se dressait en barrage contre le Rassemblement National est devenu le laquais et stratège de son arrivée au pouvoir.
La politique du pyromane
Dissoudre l’Assemblée Nationale. Après la défaite cinglante du parti macroniste aux dernières élections européennes et l’essor sans précédent de l’extrême droite, la décision présidentielle d’avancer les élections législatives a coupé le souffle de tout le continent. Si cinq élections législatives anticipées avaient déjà été convoquées sous la Vème République, la sixième est la première à être organisée à l’issue d’un scrutin européen.
Surtout, la débâcle est historique. Dimanche dernier, le premier tour des législatives confirmait une adhésion populaire au Rassemblement National, arrivé en tête avec 33%, suivi de l’union de la gauche avec 28%. La majorité sortante, elle, n’arrive qu’en troisième position avec 21%. A l’international, l’hebdomadaire britannique The Economist décrit « une humiliation écrasante pour l’alliance centriste du président Emmanuel Macron » quand le New York Times évoque « une sévère défaite. »
Pour la première fois depuis 1940, l’extrême droite est donc sur le point de se saisir de la quasi-totalité des pouvoirs. En cas d’une installation de Jordan Bardella à Matignon cet été, celui-ci risque en effet de jouer un rôle plus décisif que le Président de la République, à l’image de ce que la cohabitation Chirac-Mitterrand présentait déjà le siècle dernier.
Le pouvoir, et rien d’autre
Depuis le début de son deuxième mandat, il semblerait qu’on ait laissé le Président jouer avec la boîte d’allumettes. D’aucuns jugeraient que ce dimanche, la mort officielle du macronisme sonnera le pari raté d’Emmanuel Macron. Il n’en est rien. Au contraire, la montée du Rassemblement National figurait en premier plan dans la stratégie macroniste. Le père de l’intéressé lui-même n’a pas hésité à le confirmer.
Dans une interview exclusive donnée aux DNA, Jean-Michel Macron affirmait en effet que ce projet de dissolution courait bien avant le résultat des européennes. Face à une Assemblée nationale devenue apparemment « ingouvernable », le Président de la République aurait voulu « tester » le RN. « Si le RN montre en deux ans qu’il est parfaitement incapable de gouverner, on peut espérer qu’il n’ira pas plus loin. C’est un peu ce que mon fils m’avait dit deux mois avant les élections européennes », confiait Jean-Michel Macron. Autrement dit, l’accession de l’extrême droite est loin d’être un pari raté.
Car voilà bien le pari fou de Jupiter : après avoir envoyé ses députés au combat dans des conditions irresponsables, affichant ostensiblement le mépris de son propre camp, le Président de la République entend bien jeter la population dans les bras armés du Rassemblement National dans l’espoir, peut-être, de revenir un jour en héros. Celui qui a toujours tenu à se montrer seul capitaine du navire n’hésite pas à prendre toute une population en otage pour servir ses propres intérêts. Après avoir mis le feu aux poudres, Macron-Néron court se réfugier en zone sûre pour mieux regarder le pays exploser.
Joueur de casino
En 2022, quelques jours avant le second tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron répondait au journaliste Azzeddine Ahmed-Chaouch qui lui demandait : « Si Marine Le Pen est élue, ce sera de la faute de qui ? » : « des Françaises et des Français (…) vous me faites rire, c’est la démocratie. »
Finalement, cette campagne incertaine entièrement orchestré par un homme seul témoigne encore une fois d’une haine de la démocratie. Celui qui, selon le quotidien espagnol La Vanguardia, est « passé du statut de séducteur irrésistible à celui d’homme le plus détesté de la vie politique française » avait déjà montré sa capacité à semer le chaos par les violences policières lors des dernières manifestations.
Dans une interview pour la revue Politis en mars 2023, la philosophe Barbara Stiegler disait du Président de la République : « Je ne pense pas qu’il ait de « vision », au sens où un homme d’État aurait une compréhension historique des événements. Il se comporte plutôt comme un joueur de casino, qui certes a fait de beaux coups (financiers, médiatiques, etc.), mais qui s’est finalement rendu ivre de son pouvoir, jusqu’à plonger tout le pays dans une crise sans retour. »
En définitive, Emmanuel Macron incarne à la perfection cette idée d’une politique menée non pas au service du peuple, mais bien de son intérêt propre et unique. Cela va d’ailleurs bien plus loin que l’ambition de récolter des privilèges personnels et matériels ; il s’agit d’un besoin presque maladif de s’inscrire dans l’Histoire au détriment des autres, de faire corps avec le pouvoir, s’y glisser tout entier. Le vêtement bien collé à la peau, le reste peut bien finir en cendre et l’héritage le couronner.
Ce pari-là en revanche semble bien raté. A l’avenir, l’Histoire ne retiendra sans doute d’Emmanuel Macron que l’image d’un enfant gâté et jaloux qui refuse que le monde puisse être plus beau après lui.
Par Charlotte Meyer
