Nelly Sanoussi : et si les femmes étaient au pouvoir ?  

Avec son premier roman publié aux éditions Beta Publisher, l’écrivaine lie les enjeux de pouvoir avec des réflexions féministes et écologiques.

« Les femmes dirigeront avec force et compassion. »

2095. Après des années de lutte, le monde a finalement basculé dans une société matriarcale radicale. Les femmes règnent désormais à tous les niveaux. Dans l’Utopie, les hommes, jugés inférieurs, vivent sous inhibiteurs de violence et n’ont plus que trois destins possibles.

Dans cette société où l’amour entre hommes et femmes est interdit, la jeune policière Giannina Whitton vit une relation interdite avec un prostitué. Lilith Rosse, la petite-fille de la dirigeante Dreah, fantasme quant à elle sur un passé perdu. Ebranlées par un meurtre dans une maison close, leurs découvertes vont petit à petit les amener à questionner une société matriarcale en apparence si parfaite.

Dans la lignée d’Élisabeth Vonarburg (Chroniques du pays des mères) et de Pamela Sargent (Le rivage des femmes), Nelly Sanoussi offre une réflexion profonde sur les enjeux du féminisme contemporain tout en questionnant les dynamiques de pouvoir et d’égalité.

« Dans le Nouveau Monde, lorsque l’on naissait homme, il n’existait que trois destinées possibles : kas, toy ou compagnon. Et chacune de ces vies était dépouillée de tout espoir. Pas de liberté. Pas d’égalité. Juste la souffrance, un fardeau nécessaire pour expier les péchés de leurs pères. »

Une idée venue de Lilith

Née dans une famille de grands lecteurs, Nelly Sanoussi tombe dans les livres grâce à l’immense bibliothèque de la maison. « Je lisais énormément de livres qui n’étaient pas forcément de mon âge » rit-elle en confessant avoir effeuillé quelques Harlequin dans le sillage de sa grande sœur. Mais déjà à l’époque, c’est l’épouvante qui l’attire. « Mes parents m’interdisaient de regarder des films d’horreur, alors je le faisais en cachette, se souvient-elle. Quand ma soeur allait se coucher, j’allumais la télé et je regardai L’exorciste sans le son. »

Très vite, cette amoureuse de Stephen King se rêve écrivaine.  Si Demain la lune sera rouge est son premier roman publié, d’autres manuscrits l’ont précédé dans ses tiroirs. L’autrice se souvient même de son tout premier texte, écrit en primaire à quatre mains avec un élève de maternelle.

Celle qui se définit comme une écrivaine « jardinière » – pas de plan avant de prendre la plume ! – vit tellement son manuscrit qu’elle doit parfois se retenir d’écrire. « La nuit, j’ai l’impression de ne pas dormir complètement. Mon cerveau est encore en ébullition, je rêve une partie des dialogues, des scènes. »

Lady Lilith, de Dante Gabriel Rossetti (1866–1873), Delaware Art Museum.

C’est en découvrant le personnage de Lilith à travers une série que l’idée de son roman d’anticipation émerge dans l’esprit de Nelly Sanoussi. Dans la tradition juive, Lilith est façonnée de la même terre qu’Adam, dont elle serait la première femme. Souvent présentée dans les textes comme un démon, elle est condamnée par Dieu à voir tous ses enfants mourir à la naissance. Alors qu’elle s’apprête à se suicider, les anges lui offrent le pouvoir de tuer les enfants des humains. « J’ai trouvé incroyable que ce personnage soit tellement effacé dans notre culture, alors que tout le monde connaît Adam et Eve. Lilith, c’était l’égal d’Adam, qui a refusé de se soumettre. Ce patriarcat nous est en fait imposé depuis la nuit des temps ! »

« Est-ce qu’on peut en vouloir à des femmes de torturer des hommes et de les tuer ? Après tout, elles ne font que reproduire tout ce que les femmes ont longtemps subi. »

Des féminismes

Partant de là, Nelly Sanoussi fait le pari de prendre le contrepied de notre société patriarcale. « Si notre société avait été matriarcale, comme c’est le cas dans certaines ethnies, aurions nous fait mieux ? Est-ce une question de genre ou de pouvoir ? » interroge l’écrivaine. Il faut dire que cette réflexion traverse les époques. En 1861, un certain Johann Jakob Bachofen estimait dans son livre Le droit maternel que notre société patriarcale avait été précédée par une civilisation dominée par les femmes. Si sa thèse a depuis été réfutée, elle n’en n’a pas moins inspiré de nombreuses études, à commencer par les travaux menés par l’anthropologue Margaret Mead dans les années 1930.

D’origine béninoise, Nelly Sanoussi a pour habitude de lutter contre toutes les formes de discrimination, des inégalités entre les hommes et les femmes à celles causées par la religion, la couleur de peau ou le handicap. Elle appelle à une posture humaniste. « Le féminisme n’est pas le même partout dans le monde. Lorsque je discute avec des féministes occidentales, elles ne se sentent pas forcément concernées par les combats des femmes au Sahel. Je pense qu’on ne doit pas regarder ce que l’autre a, mais plutôt ce que nous n’avons pas. »

Dans le contexte du procès des viols de Mazan, le roman de Nelly Sanoussi a une résonnance toute particulière. « On a l’exemple d’un conjoint qui se sert de sa femme comme d’un objet, d’une transaction, accuse-t-elle. Et nous savons malheureusement que ce n’est ni le premier ni le dernier scandale que nous allons entendre. »

Au 18 septembre 2024, la France dénombrait une centaine de féminicides depuis le début de l’année, soit un décès tous les deux jours. « Tout au long de l’année, on parle souvent de la victime et de son agresseur, mais on ne parle pas de la famille autour, des proches et des enfants. Que ressentent les enfants qui sont parfois témoins du meurtre de leur mère ? » A travers son texte, Nelly Sanoussi laisse la parole à une enfant qui assiste à l’assassinat de sa mère par son propre père. Elle fait alors le vœu que tous les hommes comme son père disparaissent de la surface de la terre. « Quels sont les traumatismes qui nous poursuivent jusqu’à la fin de notre vie ? » se demande l’écrivaine.

Questionner le pouvoir

Pour autant, l’autrice a tenu à bousculer les certitudes en interrogeant les dérives du pouvoir. « Je n’avais pas envie de dépeindre une société complètement lisse. La question est plutôt : quand nous avons le pouvoir, qu’en faisons-nous ? » Car cette société matriarcale dont il est question dans Demain la lune sera rouge n’a d’utopie que le nom. Les femmes n’y sont plus jugées sur leur apparence, la crise environnementale a été enrayée et la paix semble prédominer. Mais derrière une façade immaculée, injustices, cruautés et inégalités sociales persistent : ici « le matronyme reste un privilège » et les petits garçons sont arrachés à leur mère dès la naissance.

« Je vois mal comment une société pourrait être gouvernée par un groupe qui ne s’octroie pas certains privilèges, confesse Nelly Sanoussi. Je ne pense pas qu’une gouvernance commune puisse tenir très longtemps. » Elle ajoute : « On peut toujours avoir le pouvoir sur l’autre. On l’a tous déjà ressenti à un moment donné. Même si c’est un petit pouvoir, on sait ce que ça occasionne dans le regard de l’autre, ce qu’il est prêt à faire pour nous. »

A ce titre, ce roman a le mérite de ne pas proposer des caricatures. Demain la lune sera rouge refuse les raccourcis et les stéréotypes. Du bout de sa plume poétique, l’autrice interroge plus qu’elle n’impose et laisse volontairement des portes grandes ouvertes pour repenser les notions de sororité, d’égalité, d’équité et de pouvoir.

La lutte est aussi écologique

A mesure que les effets du dérèglement climatique se font sentir à travers le monde, les droits et les conditions de vie des femmes ne cessent de reculer. Selon un rapport de l’ONU, une femme sur cinq réfugiée ou déplacée dans des conditions humaines difficiles est victime de violence ou de viol. En 2021, 44 millions de femmes et de filles ont été forcées de fuir leur foyer en raison du changement climatique et de violation des droits humains.

Les luttes féministes et écologistes sont aujourd’hui intimement liées. Et le roman de Nelly Sanoussi s’en fait aussi le porte-parole. « A l’heure qu’il est, les personnes qui portent le message sur le changement climatique et ses enjeux sont essentiellement des femmes, observe-t-elle. Sinon, on a l’impression que ça n’intéresse pas grand monde. Entre deux COP, on ne se pose pas vraiment la question. »

Celle qui travaille dans le milieu aérien a récemment participé à une fresque du climat au sein de son entreprise. Elle s’inquiète en particulier de l’émergence de pathologies, comme la baisse de la fertilité et l’endométriose que l’on découvre chez de plus en plus de femmes. « Tout cela me pousse à m’interroger sur nos modes de vie actuels et me rappelle l’importance de lutter contre le réchauffement climatique » affirme-t-elle. « Dans ce roman, je veux aussi faire passer un message positif : si vraiment on veut changer les choses, on peut y arriver. Il faudrait peut-être commencer par laisser de côté nos batailles d’ego. »

Bien décidée à reprendre la plume, Nelly Sanoussi espère que son roman touchera au-delà d’un lectorat féministe. « J’attends qu’hommes comme femmes le lisent et prennent conscience de certaines choses. Notre monde ne sera jamais parfait, mais nous pouvons faire des efforts pour atteindre l’égalité. »

Par Charlotte Meyer

Nelly Sanoussi, Demain la lune sera rouge, Beta Publisher, 2024, à retrouver ici

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