COMBATTANTE. Chaque lundi, Combat vous entraîne à la rencontre d’une femme qui change le monde. Cette semaine, Charlotte Meyer présente Sara Després, qui entend bien faire avancer la cause des enfants.
« Ce n’était pas du tout une évidence que je sois avocate. J’avais même une forme de phénomène répulsif envers les métiers de robe. » Depuis son cabinet parisien, boulevard Saint Michel, Sara Després replonge dans ses souvenirs. L’histoire commence par deux sœurs jumelles retirées à leurs parents biologiques à la naissance et placées en pomponière de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Même si les sœurs n’ont jamais été officiellement adoptées, Sara Després raconte « une vie normale, heureuse » dans le Cher, auprès de sa famille d’accueil qu’elle considère comme ses parents. Une bande de copains, une famille aux petits soins, des activités extrascolaires qui réjouissent son côté touche, parsèment ses souvenirs d’enfance.
« La seule ombre au tableau, c’était l’administration qui se permettait de faire de l’ingérence, à tort ou à raison. » Le regard plus sombre, l’avocate se souvient de visites à reculons chez sa mère biologique, de la crainte toujours présente de se voir changer de foyer. « On savait que c’était une épée de Damoclès, que tout dépendait de la décision que quelqu’un, demain, pouvait prendre dans un bureau. Mais j’ai tout fait pour vivre hors de cette angoisse. »
Rencontre avec le droit
Celle qui s’est longtemps imaginé faire carrière dans l’enseignement ou dans la diplomatie culturelle est aujourd’hui avocate, mandataire d’artiste et auteure. Une rencontre un peu impromptue avec Marie Dosé en 2017 lui fait découvrir le métier sous un autre angle. Boulimique de travail, la jeune femme se retrouve rapidement à traiter des dossiers volumineux. « Même si on travaille beaucoup, il y a une vraie possibilité de créer un quotidien professionnel sur mesure tout en étant utile, défendre des causes. Il y a plein de possibilités d’être engagé au quotidien. »
A 26 ans, Sara Després vient d’ouvrir son propre cabinet, où elle espère pouvoir traiter de sujets qui lui tiennent à cœur, tels que la protection de l’enfance et le droit environnemental. « Le métier d’avocat permet aussi d’avoir une réflexion assez rigoureuse et de mobiliser des vraies connaissances » ajoute celle qui ne se voyait pas passer sa vie derrière un écran.
Mais le quotidien de la jeune femme ne se limite pas à sa robe d’avocate. Toujours en recherche de stimulation intellectuelle, elle multiplie les projets. « Je ne peux pas faire que ça. C’est un métier qui est assez chargé émotionnellement, qui peut être usant. Diversifier est très important, ne serait-ce que pour sa santé mentale. » En parallèle de son parcours de droit, Sara Després a par exemple tenu à garder près d’elle la littérature, sa passion première. Elle vient de reprendre ses études de lettres modernes à la Sorbonne et travaille notamment sur les Notes sur l’affaire Dominici de Jean Giono – le droit n’est jamais très loin. « Je sais que je vais reprendre l’enseignement d’une manière ou d’une autre, affirme celle qui a aussi longtemps donné des cours de français. Transmettre est passionnant ! »
Et comme tout est lié, Sara Després a consacré son premier mémoire de Littérature à l’enfance, à travers l’art de Nathalie Sarraute et François Truffaut. « Si on veut vraiment comprendre les enfants, c’est vers eux qu’il faut se tourner » affirme-t-elle.

L’intérêt supérieur de l’enfant
De fil en aiguilles, l’avocate revient aux origines. Avec son nouveau cabinet, elle compte bien se pencher de plus près sur la protection de l’enfance, en particulier l’amélioration de la situation des enfants confiés. Une décision intimement liée à son histoire personnelle. « Quand j’étais plus jeune, on me répétait souvent que je devais faire quelque chose, que c’était à moi de me saisir du sujet. Pourtant, je ne me sentais pas forcément légitime. Je n’ai pas vécu les pages les plus sombres de l’Aide Sociale à l’Enfance ! »
Aujourd’hui, Sara Després a les pieds bien ancrés dans les rouages de cette institution. « Que ce soit au niveau de la santé ou de l’éducation, l’ASE ne s’est pas du tout améliorée, observe-t-elle. On ne privilégie toujours pas l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce que l’on privilégie, c’est la préservation d’intérêts soit administratifs, soit parentaux. » Aux yeux de l’avocate, les enfants dans notre société sont encore trop peu écoutés, n’ont pas toujours les outils pour s’exprimer, ou sont parfois tout simplement traumatisés. « Et je ne parle même pas des mineurs non accompagnés. Là, on est vraiment dans les bas-fonds de l’aide à l’enfance. C’est une catastrophe. »
En 2023, la note de France Stratégie relative à l’éducation relevait que les enfants placés et confiés à l’aide à l’enfance traversaient des trajectoires scolaires plus tumultueuses que la moyenne. Un constat que la jeune femme ne peut que relier avec son propre parcours, elle qui a pu étudier sur les bancs de Sciences Po Paris : « Faire des études supérieures a toujours été une évidence pour moi, mais on m’a toujours poussé vers des métiers professionnels. On me voyait comme une traîtresse, une déserteuse. » Selon les chiffres de l’association Les Ombres, 70% des enfants confiés sortent du système sans diplôme et 30% sont au chômage. 25% des SDF seraient issus de l’ASE.
Au-delà des parcours scolaires tirés vers le bas, les jeunes placés tombent parfois dans l’engrenage des réseaux de stupéfiants ou de prostitution. Les violences qui sévissent dans les Maisons d’Enfants à Caractère Social (MECS), ces établissements accueillant habituellement des mineurs confiés par l’autorité judiciaire ou par l’ASE, sont de plus en plus médiatisées. « Il faut revaloriser les budgets, martèle Sara Després. On est moins vulnérables quand on a de quoi manger. » Elle insiste : « c’est horrible et, d’une certaine manière, on ne fait rien. Au sens courant, il y a une forme de complicité par abstention. Les enfants confiés à l’Etat sont délaissés. »
Sara Després rappelle l’existence d’une responsabilité collective et historique autour de la protection des enfants. « Il y a eu une forme de criminalisation de l’enfant délaissé au même titre que l’enfant délinquant, explique-t-elle. Avant, tu étais un enfant dangereux pour les autres, puisque tu n’étais pas sous les auspices du bon père de famille. Aujourd’hui, nous n’en sommes plus à ce stade, mais les enfants ne sont pas forcément plus préservés. Parfois, pour préserver les droits fondamentaux, il suffit de procéder à des ajustements du quotidien qui ne requièrent pas de dépenses publiques. Par exemple, le droit au respect de la vie privée, c’est un droit en garantie à tout le monde. » L’avocate continue d’avancer sur ce sujet, et s’intéresse en particulier à la responsabilité de l’Etat au niveau de ces défaillances récurrentes. Elle collabore aussi avec l’association Les Ombres qui accompagne les jeunes confiés à l’ASE, entre 14 et 21 ans, pour les aider à accéder au monde académique et professionnel et trouver leur place dans la société.
Protéger le vivant
Mais la protection de l’enfance n’est pas le seul sujet à lui tenir à cœur. Particulièrement touchée par les enjeux écologiques, Sara Després a récemment rejoint une équipe d’avocats dans l’Association Protection des Animaux Sauvages (ASPAS). « L’écologie, ça m’a toujours plu. Quand j’étais petite, j’achetais des agendas WWF et j’étais abonnée à la LPO » rit-elle. Passionnée par la protection des océans et le droit maritime, la jeune femme s’intéresse aussi de près à la question des PFAS, ces polluants éternels présents dans tous les recoins de notre quotidien.
Avec toutes ces cordes à son arc, Sara Després semble être bien partie pour une vie tissée d’engagement et de luttes au service des autres. « Le fil conducteur de tout ça, c’est de se décentrer, d’être altruiste. Je pense qu’il y a beaucoup de problèmes qui pourraient être estompés si on arrivait aussi à avoir un altruisme plus développé. C’est une qualité qui est un peu désuète chez certains, mais c’est ce que je vais essayer d’avoir comme prisme : penser aux autres, écrire pour les autres, défendre les autres, enseigner à d’autres personnes. Je ne vois pas comment on pourrait parler de l’enfance ou de l’écologie sans cela. »
Par Charlotte Meyer
