COMBATTANTE. Chaque lundi, Combat vous entraîne à la rencontre d’une femme qui change le monde. Cette fois-ci, nous revenons sur le parcours de la première femme africaine à avoir reçu le Prix Nobel de la paix. Une vie marquée par une lutte sans faille pour l’écologie, la démocratie et les droits des femmes.
« Chaque arbre est le symbole vivant de la paix et de l’espoir. Avec ses racines profondément ancrées dans la terre et ses branches qui s’élancent vers le ciel, il nous dit que pour aspirer à aller toujours plus haut, nous aussi nous devons être bien enracinés au sol car, aussi haut que nous nous élancions, c’est toujours dans nos racines que nous puisons notre force. »
Dans notre numéro de mars 2021, nous vous parlions de Jean Giono imaginant un Homme qui plantait des arbres. Ironie du hasard : cette fois-ci, nous vous présentons celle qui l’a vraiment fait.
Une pionnière
C’est à Ihithe, au Kenya, que naît Wangari Maathai le 1er avril 1940. Elle est la fille aînée d’un couple de fermiers issu de la tribu Ki-kuyu, reconnue comme le groupe ethnique le plus nombreux et le plus économiquement actif du pays, popularisée en Occident par Karen Blixen dans La Ferme Africaine. Dix ans plus tard, la tribu sera à l’origine de la révolte des Mau Mau, dirigée contre le monopole des Hautes Terres blanches par les colons.
Pendant ce temps, grâce au soutien de ses parents, la jeune Wangari fait partie de la minorité féminine à occuper les bancs de l’école primaire de Ihithe. Elle poursuit ses études secondaires au Convent Loreto, à Limuru, et obtient son baccalauréat en 1960. Quatre ans plus tard, Wangari Maathai est la première femme d’Afrique de l’Est à obtenir une licence en biologie, au Mount St Scholastica College dans le Kansas. Après un séjour en Allemagne, où elle travaille à l’université de Munich, elle revient au continent en tant qu’assistante de recherche du Professeur Reinhold Hoffman, à l’université de Nairobi, d’où elle ressort doyenne et diplômée d’un doctorat en médecine vétérinaire en 1971. En 1977, elle devient la première femme kenyane à accéder au poste de professeur associée.
Contrairement aux apparences, il n’est pas vain de s’appesantir sur le parcours académique de la jeune femme. Dans la deuxième partie du XXème siècle, la femme africaine instruite est considérée par la gente masculine comme « sinon une femme manquée, une épouse manquée tout au moins ». Le principe est aussi vrai au Kenya, qui appartient alors encore au giron britannique, que dans les colonies françaises où la vieille idée de la Troisième République que « les seuls vrais métiers féminins admis et socialement reconnus sont ceux de la sage-femme et de l’institutrice » continue d’être appliquée. En France, c’est un siècle avant Wangari Maathai que Julie-Victoire Daubié devient la première femme à obtenir le baccalauréat, le 16 août 1861, à l’âge de 37 ans. Notre activiste kenyane, quant à elle, divorce à l’âge de 39 ans : selon son mari, l’intelligence de sa femme la rendait « incontrôlable. »
« La démocratie ne résout pas tous les problèmes. Elle n’est ni le remède miracle à la pauvreté, ni le coup de baguette magique qui pourrait arrêter la déforestation. Mais sans elle, les individus n’ont aucun moyen de s’attaquer à ces problèmes, d’échapper à la spirale de la misère ou de respecter leur environnement. »

Aux racines de l’écoféminisme
D’années en années, son travail de terrain de l’amène à constater la dégradation de l’environnement. En 1974, alors que son mari est candidat au Parlement, elle propose le développement de pépinières et la plantation d’arbres dans le but de répondre aux problèmes économiques, en particulier le chômage. Faute de moyens, le projet est abandonné.
Trois ans plus tard, le 5 juin 1977, à l’occasion de la journée mondiale de l’environnement, de premiers arbres sont plantés à Nairobi. Tout juste élue au Conseil exécutif du Conseil National des Femmes du Kenya (CNFK), Wangari Maathai peut enfin mettre en place son projet. C’est la naissance du Green Belt Movement (GBM). Les femmes du Kenya sont encouragées à planter des pépinières d’arbres dans tout le pays afin d’assurer la qualité des sols. Grâce à un partenariat avec la société norvégienne de foresterie et d’amorçage provenant du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les femmes, chacune reçoit un petit pécule pour la plantation de semis. Dès lors, Wangari Maathai se fait connaître comme « La Femme des Arbres ». Elle raconte dans son autobiographie : « Mes nombreux diplômes ne m’ont jamais fait oublier mes racines paysannes et, comme dans mon enfance, j’aimais ce contact avec la terre. Dans les années 1980 et 1990, le milieu politique se moquait volontiers de cette « grande dame » aux manières de « bouseuse », que l’on voyait agenouillée dans un champ aux côtés des villageoises, plongeant les mains dans la terre. J’étais absolument imperméable à ces railleries et les femmes des campagnes me reconnaissaient comme une des leurs. »
Le projet a permis de planter plus de 50 millions d’arbres en Afrique, favorisant la biodiversité et créant des emplois pour les femmes défavorisées. Loin d’être un « simple » projet de développement durable, il a été pour les Kenyanes l’occasion de découvrir leur puissance et leur courage d’agir face à des maris autocratiques et un gouvernement masculiniste. La sensibilisation à l’importance des arbres a pu aussi jouer un rôle d’éducation populaire. Capables de contrôler leur propre bois de chauffage, les femmes s’autonomisent et se libèrent du temps pour d’autres activités plus politiques. « Comme je le disais aux forestiers et aux femmes, écrit Wangari Maathai, il n’y a aucun besoin de diplôme pour planter un arbre. L’avenir de la planète nous concerne tous, et il est du devoir de chacun de la protéger. » En 1977, l’arbre devient au Kenya un outil d’empowerment féministe.
Un combat pour la démocratie
Fervente adepte de la non-violence, Wangari Maathai acquiert une renommée mondiale lors de son opposition à la construction de la maison du président Daniel Arap Moi. Le projet impliquant l’abattage d’arbres sur plusieurs acres de terre, il sera finalement abandonné grâce à son action.
Après 16 ans d’enseignement à l’Université de Nairobi, elle quitte son poste en 1982 dans l’optique de se lancer en politique. Ecartée des élections en 1997, elle est rapidement la cible de complots internes à l’intérieur même de son parti et passe une bonne partie des années 1990 entre la prison et la clandestinité. C’est en 2002 qu’elle est élue au Parlement avec 98% des suffrages avant d’être nommée ministre déléguée à l’Environnement, aux Ressources Naturelles et à la Faune Sauvage par le nouveau président Mwai Kibaki. A partir de là, l’action politique de Wangari Maathai va crescendo.
En 2004, elle devient la première femme africaine à recevoir le prix Nobel de la paix pour « sa forme originale d’action qui a contribué à attirer l’attention sur l’oppression politique » dans son pays. Elle y appellera l’Afrique « à ignorer le modèle des pays occidentaux » dans son chemin vers un développement respectueux de l’environnement. Le reste de sa vie voit se multiplier les prix tels la Légion d’honneur française en 2006 ou le Grand Cordon de l’Ordre du Soleil Levant du Japon en 2009. Décédée le 25 septembre 2011 à l’âge de 71 ans, Wangari Maathai est restée une figure emblématique du combat écologiste et démocratique kenyan. Répondant au doux nom de Mama Miti, « la mère des arbres », elle avait su faire de la lutte environnementale une émancipation politique et profondément féministe.
Par Pauline Garnier
Cet article a initialement été publié dans notre N°4, « Réinventer la Démocratie », paru en juillet 2021 (ici).

