Dans son nouveau recueil, la poétesse propose une plongée dans le quotidien des femmes en pleine guerre.
« Mes femmes s’expriment de manière brutale et terrifiante. Mes femmes partagent leur douleur et leur désespoir. Mes femmes croient et attendent. Mes femmes tiennent même si elles font du mal. Mes femmes connaissent la valeur de chaque jour. Mes femmes veulent que le monde entier les écoute et les entende. Mes femmes s’efforcent de continuer à vivre envers et contre tout. »
Elles sont nombreuses, depuis trois ans, à écrire sur la guerre. De la poétesse Luba Yakymtchouk dont nous avons déjà parlé à Inna Shevchenko dont nous parlerons bientôt, les Ukrainiennes transforment la douleur en encre. Il y a des fils communs dans toutes ces pages de femmes. Une même écriture enflammée par l’urgence, viscérale, des textes où la terreur du dehors vient toquer à la porte des foyers.
C’est aussi à cette tâche que s’est attelée la poétesse et journaliste Yuliia Iliukha dans son dernier ouvrage. Née en 1982 dans l’oblast de Kharkiv, ses poèmes et récits en prose ont été traduits dans de nombreuses langues et publiés dans des revues nationales et internationales. Cette fois-ci, son recueil Mes Femmes publié aux éditions des femmes-Antoinette Fouque laisse la parole à quarante Ukrainiennes anonymes au cœur de la guerre.
« La femme existait, mais elle ne vivait pas. Elle regardait, mais elle ne voyait pas. Elle écoutait, mais elle n’entendait pas. Et un jour, la femme a rencontré une autre femme qui, elle aussi, attendait en vain. Les deux femmes se sont regardées et se sont comprises. Elles vont continuer à vivre au nom de ceux qui ne leur sont pas revenus. »
Patchwork
De ces quarante fictions, Yuliia Iliukha en tire une symphonie au long cours, tantôt mélancolique ou stridente, tantôt un cri. « L’histoire de chacune d’elles ne concerne personne en particulier, et en même temps nous concerne tous » écrit-elle.
Il y a la femme qui a peur de mourir ainsi, « sans culotte, nue, les cheveux mouillés et les jambes poilues. » Celle qui cherche désespérément la paix dans l’alcool sans la trouver. Il y a cette femme, plutôt discrète, qui avait une manucure rouge quand la guerre a commencé. « Le monde entier l’a vue. »
Il y en a d’autres, encore.
Il y a celle-ci, qui recueille des chats abandonnés. Cette autre, qui pleure d’avoir perdu sa beauté. L’une cherche son mari dans une fausse commune, redessinant en esprit la géographie de son corps « comme si elle dessinait les contours de l’Ukraine sur une carte. » Une autre encore se rongeait tous les jours d’être partie. Tandis qu’une autre femme, de l’autre côté de la frontière, « se rongeait tous les jours d’être restée. »
Il y a les femmes qui enterrent leur fils dans le jardin, les femmes qui trahissent parce qu’elles veulent vivre, les femmes emplies de vengeance et d’autres de foi.
Toutes sont devenus une partie de la guerre.
La guerre aussi est intime
De page en page, ces femmes inconnues se répondent. Leurs histoires, bien que singulières, semblent se faire écho. Elles déambulent dans ces mondes « devenus illisibles, dorénavant petits et plats », se cognent à leurs villes d’enfance parties en fumée, ces villes où les décombres remplacent les endroits chers. « La ville qui n’existait plus poussait en elle en métastase. »
A travers ces textes, Yuliia Iliukha lève le voile sur un aspect plus personnel, plus intime de la guerre. Le conflit s’incruste dans tous les recoins du quotidien, du choix du rouge à lèvre jusqu’aux écoles désormais transformées en abris antiaériens en passant par le visionnage des vidéos de prisonniers, les coupures d’électricité et la préservation de sa féminité.
Mes femmes nous fait entrer dans la guerre par une autre porte. Le recueil nous entraîne dans une guerre quotidienne, faite d’enfants grandis trop vite qui apprennent à ne plus pleurer et de femmes parfois veuves, solitaires, pétries de contradiction, mais toujours courageuses et résilientes.
Par Charlotte Meyer

Yuliia Iliukha, Mes femmes, éditions des femmes-Antoinette Fouque, Février 2025, 80 p,14 €, à retrouver ici
