Léa Vigier, l’aventurière qui brise les tabous autour de la santé mentale

COMBATTANTE. Chaque lundi, Combat vous entraîne à la rencontre d’une femme qui change le monde. Diagnostiquée bipolaire il y a deux ans, l’ancienne entrepreneure casse les préjugés autour de cette maladie invisible et grimpe sur les plus hauts sommets du monde.

Cette année, elle a finalement posé ses valises à Chamonix. Après plusieurs mois d’expéditions et d’aventures tout autour du globe, Léa Vigier entend bien passer du temps au coeur des montagnes qu’elle aime passionnément. Déjà conquise par la région, elle raconte avec enthousiasme les brasseries locales, le cinéma du coin et la dynamique jeunesse qui côtoie ces sommets.

Il faut dire que cette vie au grand air contraste avec ses premières années dans le monde du travail. Celle qui voit le jour en région parisienne enchaîne des études de finance à Dauphine et un master à l’ESSEC avant de rejoindre le monde entrepreneurial. « Je voulais être une grande cheffe d’entreprise, se souvient-elle. Mais toutes mes expériences se soldaient par d’énormes dépressions. » Un projet en Côte d’Ivoire, directrice commerciale, associée dans une agence marketing… La jeune femme cumule les burn-out, jusqu’à cette année 2023 où la vie lui impose une réflexion.

Un message de bienveillance

Il y a deux ans, le père de Léa Vigier s’effondre dans la rue d’une crise cardiaque. Dans la foulée, elle perd sa boîte et son appartement. « En deux mois, je suis à zéro. Ça m’a amenée à me reposer des questions toutes simples. Je me suis aperçue que je préférais être nomade plutôt que de reprendre un appartement, que ma véritable passion était l’écriture et que ce qui me faisait le plus de bien, c’était être seule dans la nature en m’invitant chez les autres. »

A l’été 2023, Léa Vigier se lance dans la traversée de l’Europe avec 1€. Photo : Léa Vigier

Décidée à vivre de l’écriture et de la création de contenu, l’ex-entrepreneure se lance à l’aventure. Par sécurité, elle garde sous le coude un poste de directrice financière de start-up en freelance, et s’en va voyager à travers le monde. A l’été 2023, elle se lance par exemple dans la traversée de l’Europe avec 1€. « C’était le moment des élections législatives, avec une extrême droite qui arrivait très fortement, qui était très présente sur les réseaux sociaux » explique Léa Vigier en rappelant l’omniprésence de Jordan Bardella sur Instagram. « Les messages de haine et de crainte de l’autre étaient présents en continu. De mon côté, je n’ai pas du tout peur de l’inconnu. Je voulais montrer comment cela se passait dans mon monde, ce que cela signifiait d’être 100 % dépendant des gens. » Aujourd’hui, l’aventurière en parle comme de l’une de ses meilleures expériences. « J’ai autant adoré la vivre que la partager » assure-t-elle.

Retour aux cimes

Expédition au sommet de l’un des plus hauts pics d’Asie centrale, trente jours dans l’Himalaya, deux mois chez les moines au Kirghizistan, ascension du Peak Lenin au Tadjikistan… En un an, Léa Vigier multiplie les expéditions. Et l’amour de la parisienne pour les sommets n’est jamais très loin. « J’ai découvert la montagne à 23 ans, sourit-elle. C’est une histoire de dingue ! »

Alors étudiante, la jeune femme dévore le carnet de route de Philippe Esnos, cet aventurier solitaire improvisé chercheur d’or en Amérique latine. « Avec un ami, nous avions décidé de faire comme lui et à trouver les tombes Incas en Équateur. Mais on s’est rappelés qu’on ne savait même pas marcher dans la montagne » rit-elle. Qu’à cela ne tienne, c’est finalement le Massif de la Chartreuse, en Isère, que les deux compères traversent à pied quelques mois plus tard. Pour Léa Vigier, qui revient marcher dans cette montagne chaque année comme un pèlerinage, c’est le coup de foudre.

« Quand je vois la mer si plate, je panique. La montagne me permet de prendre de la hauteur, de voir loin les hauts et les bas. C’est une beauté qui me permet de m’extraire de tous mes tumultes intérieurs. » L’aventurière raconte avec passion l’état méditatif que lui permet la montée, elle qui peut marcher en ascension jusqu’à 10h d’affilée. La chute de la pression atmosphérique, qui ralentit le fonctionnement du cerveau, calme aussi ses ruminations. « Bienheureux sont les imbéciles » sourit-elle. « Généralement, plus on monte haut, moins on arrive à manger et à dormir. Moi c’est l’inverse. Je peux dormir 15h ! »

Sensibiliser aux maladies mentales

Au quotidien, la montagne agit aussi comme un baume pour la maladie de la jeune femme. Il y a deux ans, après sept années d’errances médicales, Léa Vigier était diagnostiquée bipolaire. Si cette maladie mentale touche jusqu’à 2,5% de la population soit 1,5 million de français, elle reste encore mal connue dans notre société. Alors âgée de trente ans, elle décide d’en faire son cheval de bataille.

« Pendant sept ans, je faisais environ une crise par an. Un corps n’est pas fait pour vivre autant de dépressions. Cela abîme tout ! Je rêvais d’en finir. » Grâce au diagnostic, l’aventurière a pu suivre une thérapie cognitivo-comportementale qui lui a permis d’avancer et de construire progressivement la nouvelle partie de sa vie. « Je découvre ce qu’est la vie normale » affirme-t-elle.

En janvier, Léa Vigier projetait son premier documentaire, « 7000m pour vaincre ma bipolarité » dans une grande salle de cinéma.

Assez vite, la jeune femme commence à partager ce morceau de son existence sur les réseaux sociaux. Ses textes authentiques lui permettent rapidement de se faire repérer sur LinkedIn. Au quotidien, elle y raconte les réalités derrière cette maladie et la vie qu’elle a décidé de vivre malgré tout. En moins de deux ans, elle passe de zéro à 20.000 abonnés. « L’écriture est thérapeutique pour moi. Elle m’a permis de vivre toute cette évolution » explique-t-elle.

A travers son témoignage, Léa Vigier espère surtout redonner espoir aux personnes atteintes de la même maladie. « Quand j’ai été diagnostiquée, on ne m’a parlé que d’histoires horribles. Voir quelque chose de positif peut beaucoup aider les gens. Aujourd’hui, des personnes qui avaient du mal à accepter leur maladie ou qui avaient perdu courage viennent me remercier. » Récemment, la conférencière s’est rapprochée d’associations pour répondre aux sollicitations qu’elle reçoit jour après jour. Elle travaille notamment avec HopeStage, une association de psychoéduction à la bipolarité qui diminue de plus de moitié les risques de récidive, Argos 2001 qui propose des groupes de parole ou encore la Maison Perchée, un lieu d’accueil à Paris pour les jeunes ayant des maladies mentales. « Ils peuvent recréer du lien, trouver un petit nid où ils se sentent bien » développe-t-elle.

Changer le regard de la société

« La bipolarité, c’est 50% des malades qui ont fait une tentative de suicide. C’est une maladie très mortelle. » A travers ses prises de parole sur les réseaux sociaux comme en conférence, Léa Vigier entend bien briser les caricatures autour de la bipolarité. « La première fois qu’on m’a dit que j’étais peut-être bipolaire, je me suis imaginée finir dans un asile. Notre culture galvaude les mots. Nous avons pris l’habitude d’utiliser les maladies mentales pour désigner n’importe quelle situation » explique celle qui définit la bipolarité comme « une variation extrême de l’humeur et de l’énergie. Cela nous amène à vivre des phases d’exaltation où nous n’avons presque pas besoin de dormir, où on se prend pour Jésus avec une hyperactivité cérébrale. La phase d’après, tu n’as plus d’énergie, tu te noies dans un verre d’eau. C’est l’enchaînement de crises comme ça qui vont être destructrices. » En moyenne, le temps de diagnostic de la bipolarité est de neuf ans.

C’est d’ailleurs pour faire connaître ce sujet que la jeune femme s’apprête à se lancer dans un « Tour de France d’une bipolaire. » L’objectif : casser les préjugés en abordant la thématique avec humour. « Les maladies mentales, personne ne veut en parler. L’ignorance amène à la peur. Ça vaut aussi pour l’immigration, par exemple. Mon but, c’est que l’on comprenne que cette maladie ne fait pas peur. On n’est pas des fous ! » Sa campagne de financement a été lancée ce 19 mai.

En janvier, Léa Vigier projetait son premier documentaire, « 7000m pour vaincre ma bipolarité » dans une grande salle de cinéma. « Cela a permis de finir d’embarquer les gens que j’aime dans mon histoire, sourit-elle. Désormais, ils comprennent mieux ce que je fais, en quoi cela peut aider. »

Ces dernières années, de plus en plus de femmes ont décidé de prendre la parole sur ces sujets. Léa Vigier cite notamment Abigaïl Barrand, connue sous le pseudo « Voyageuse au naturel« , qui se définit comme borderline et militante santé mentale. De son côté, celle qui se considère désormais comme une porte-parole entend bien continuer à faire évoluer la société positivement. A travers de nouvelles aventures inspirantes, elle espère sensibiliser toujours plus sur ces sujets qui lui tiennent à coeur… et toujours le sac au dos.

Par Charlotte Meyer

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