COMBATTANTE. Chaque lundi, Combat vous entraîne à la rencontre d’une femme qui change le monde. En manifestation, comme sur les réseaux sociaux, la militante « MC danse pour le climat » insuffle de la joie dans les mobilisations et appelle le mouvement écologiste à investir l’espace.
Son point faible ? Elle ne peut s’empêcher de danser lorsque la première note de musique retentit. En manif, le regard bleu profond disparaît derrière des lunettes de soleil noires. En rythme, celle qui se définit comme une « techno-activiste » enchaîne les slogans anti-capitalistes. De la réforme des retraites aux Pfas, rien n’échappe à sa verve artistique. Son style amuse, mais surtout entraîne. « Cette nana, c’est l’icône et l’essence même de la victoire pour la bataille culturelle, confie l’artiviste Koclico. Elle représente une grande dose d’espoir de par son courage, son intelligence et son fun. Elle est tellement vivante. En plus d’être mon amie, c’est une de mes sources d’inspiration favorite. »
Sa première manifestation, Mathilde Caillard l’a vécue en poussette. « C’était lors d’un hiver très froid, se souvient-elle. Nous étions allés en famille au rassemblement pour les sans-papier devant l’Église Saint-Bernard. » Quelques années plus tard, en 2002, la jeune Mathilde alors âgée de 5 ans, suit ses parents dans les regroupements contre l’extrême droite. « La manifestation, c’était un endroit familier pour moi. Quelque chose qu’on fait en famille » sourit-elle.
Il faut dire que la jeune femme a l’engagement dans le sang. Dernière née d’une famille recomposée de sept enfants, elle grandit à Noisy-le-Sec, une ancienne ville ouvrière de Seine-Saint-Denis où s’érigent encore les usines populaires. Sa mère, auxiliaire puéricultrice reconvertie en psychologue et son père, fondateur de l’association Enfance et musique, l’initient très tôt à l’amour de la nature. Elle garde encore en mémoire les livres dénonçant l’usage des pesticides qui traînaient dans le salon. « Mon père nous emmenait souvent dans le jardin pour regarder la nature autour de nous. Il avait un rapport vraiment sensible au vivant et nous a apporté cet attachement émotionnel à la terre. »
Fermement embarquée à gauche, la future activiste réalise ses premiers faits d’armes en primaire. « Pendant les élections présidentielles de 2007, je faisais du racolage plus ou moins vrai pour convaincre mes copines de faire voter leurs parents à gauche » rit-elle.
De la société civile à l’Assemblée Nationale
Son engagement personnel naît plus tard. En 2018, dans la foulée de la démission de Nicolas Hulot, la famille se rend aux Marches pour le climat. « Ma sœur a rejoint beaucoup d’associations, s’est engagée dans une démarche de désobéissance civile. A l’époque, je regardais tout ça un peu de loin » confesse Mathilde Caillard. Il faut dire qu’à ce moment-là, l’étudiante en classe préparatoire littéraire a la tête dans le guidon. Il lui faudra de longues discussions avec sa sœur et de nombreuses lectures pour se décider à rejoindre Alternatiba PARIS et se consacrer entièrement à la lutte. « Avant ça, j’étais politisée mais pas renseignée » affirme-t-elle.

Au fil de son militantisme, la jeune femme se lie d’amitié avec une certaine Alma Dufour, rencontrée au QG de La Base. En 2022, celle-ci est élue députée de la quatrième circonscription de la Seine-Maritime sous l’étiquette LFI. Mathilde Caillard la suit au Palais Bourbon comme assistante parlementaire. Après des études de sciences politiques et sociales, la militante venait d’achever son alternance auprès de GreenPeace. « L’activisme m’a appris que tout est affaire de communication. J’ai adoré écrire des tweets un peu cinglants. Je me suis rapidement mise à gérer les comptes de mes amis pour créer de la viralité autour de sujets progressistes et écolos. »
A l’Assemblée Nationale, l’activiste se frotte aux rouages du pouvoir. « J’ai toujours été convaincue qu’il fallait voter. Constater tous les privilèges auxquels avaient droits certains élus incompétents m’a vraiment mis en rage. Cela donne encore plus envie de participer à la vie démocratique et de faire entendre sa voix. »
De l’ombre à la lumière
En parallèle, la jeune femme poursuit ses activités militantes sur les réseaux sociaux, où elle se surnomme déjà « MC danse pour le climat », en clin d’œil à sa passion pour la danse jusque dans les manifestations. « J’étais toujours la première à danser et à faire la teuf » sourit-elle. « Je voulais faire irruption dans l’espace d’internet avec un ton un peu taquin, pour faire avancer la bataille culturelle. Le but était que les médias et les politiques finissent pas reprendre ces sujets. » Sur Twitter, elle se fait aussi rapidement repérer pour ses tweets acérés.
C’est en 2023 que Mathilde Caillard gagne en notoriété. Très investie dans le mouvement contre la réforme des retraites aux côtés d’Alternatiba, elle travaille aussi bien à la communication qu’à l’animation des cortèges. « La question du travail était très importante à visibiliser. Que signifie travailler à soixante ans quand il fait 50 degrés ? »
Le 7 mars de cette année, un ami la filme en train de danser sur de la musique techno en pleine manifestation. Si la vidéo n’est d’abord pas destinée à être publiée, elle devient rapidement virale sur internet et propulse l’activiste sur le devant de la scène. « C’était très bizarre, confie la militante. J’avais parfois la sensation que mon image ne m’appartenait plus, car on parlait de moi dans les médias même si je n’étais pas là. Mais cette visibilité est aussi une chance car cela signifie qu’on écoute ce que tu dis. Elle implique une certaine responsabilité. » Mathilde Caillard apprend aussi à composer avec le cyberharcèlement, entre insultes en commentaires, menaces de mort et de viol.
Planète Boum Boum : l’art au service de la lutte
Cette année là voit aussi la naissance du collectif militant Planète Boum Boum, cocréé par Mathilde Caillard. Elle le décrit comme « un groupe de musique activiste ». Depuis leur premier son, « Planète brûlée », réalisé au moment de la réforme des retraites, le collectif d’artistes a aussi bien composé sur les polluants éternels que sur le fret ferroviaire. « On recevait beaucoup de messages de personnes qui nous disaient qu’on leur redonnait de l’espoir, de la joie, du souffle », raconte l’activiste.
Si le groupe a commencé en jouant dans des lieux militants, il se fait aujourd’hui inviter dans des institutions culturelles reconnues comme la Philharmonie et le Centre Pompidou. « C’est un peu un cheval de Troie, explique Mathilde Caillard. Il y a un côté artistique et humoristique qui plaît. Nous sommes à un moment où l’arsenal répressif se densifie et où il est devenu presque banal de finir en garde à vue après une mobilisation. Trouver des méthodes d’action qui utilisent l’humour et fassent un peu diversion est très important face à une répression de plus en plus forte. »
A ses yeux, l’utilisation de l’art permet aux activistes de continuer à s’exprimer sans s’exposer à des risques qui, au bout d’un moment, finissent par étouffer la parole.
Inciter à l’action
« Mon rôle est celui d’une passeuse. Je ne peux pas faire campagne sur tout, mais je peux rendre visibles des solutions concrètes. Mon travail est de mettre les gens en mouvement, de les mobiliser et de les engager sur un sujet. » Des dernières luttes, Mathilde Caillard se félicite de la loi sur les polluants éternels votée en début d’année, une première dans l’Union Européenne. Elle se remémore aussi avec émotion la mobilisation contre la réforme des retraites. « Nous avons vu des manifestations de masse dans les villes de sous-préfecture, avec la population dans les rues et les commerces fermés. Cela a pu avoir lieu grâce aux associations qui ont pu réactiver les liens entre les gens sur les luttes locales. Réussir à les réunir, à susciter de l’espoir chez eux, participe à construire du pouvoir sur le temps long. »
La taxe Zucman, sur laquelle le Sénat doit se prononcer le 12 juin, fait aussi partie de l’agenda de l’activiste. Le texte prévoit de taxer les 4.000 contribuables les plus riches de France pour financer la transition écologique. « La question des inégalités et de la distribution des richesses est vraiment centrale. C’est le nerf de toutes les batailles » insiste-t-elle.
Celle qui dit regarder l’avenir de manière « lucide et combative » se nourrit aussi de l’engagement des femmes qui l’entourent. Citant à la fois Alma Dufour et Camille Etienne, « la seule à pouvoir mettre des sujets à l’agenda même quand tout le monde s’en fout de l’écologie », elle compte bien continuer à pousser à l’action. « Tout peut me passionner » s’enthousiasme celle qui vient de refermer Printemps silencieux de Rachel Carson. « Et tant mieux. Être touchée par les choses et ne pas être apathique est une richesse. » A l’avenir, l’activiste entend bien poursuivre la lutte, et toujours en musique.
Par Charlotte Meyer
