Chronique à République : quand la statue porte un keffieh

Dans la nuit du 8 au 9 juin, le Madleen, bâteau de la Freedom Flotilla Coalition, et ses douze membres d’équipage – dont Rima Hassan et Greta Thunberg – était arraisonné illégalement dans les eaux internationales par l’armée israélienne. Depuis, la place de la République à Paris est occupée par des militant.e.s pour la libération de la Palestine pour protester contre l’inaction du gouvernement. Combat est parti à leur rencontre. 

Capucine Bastien Schmit.

11 juin 2025, 18h15. Je vois sur Instagram que l’eurodéputée française Rima Hassan a été placée en cellule d’isolement dans une prison israélienne pour femmes, tristement célèbres pour les nombreuses violences commises par les geôliers, pour avoir écrit “Free Palestine” sur les murs. De nombreux.ses député.e.s appellent à se rassembler, une nouvelle fois. Rendez-vous place de la République à Paris à 19h. Keffieh sur les épaules, je vais prendre le métro pour me rendre sur place.

18h45.Tahia, Tahia, Falestine !” (“Vive, Vive, la Palestine”), “Siamo tutti antifascisti” (“Nous sommes tous antifascistes”), “From the river to the sea, Palestine will be free ! From the sea to the river, Palestine will live forever !”. L’ambiance est à la résistance. La place parisienne est désormais aux couleurs du drapeau palestinien, la statue porte un keffieh. Des écharpes bleu, blanc et rouge arrivent : les député.e.s engagé.e.s pour la libération de la Palestine et de leur camarade insoumise Rima Hassan. 

Hommage aux enfants assassinés et blessés par le régime israélien. Capucine Bastien Schmit.

Un peu plus tôt dans la journée, le Premier Ministre François Bayrou brandissait à l’Assemblée Nationale la carte de l’instrumentalisation pour parler du Madleen, servant ainsi la politique criminelle et illégale de Benjamin Netanyahu. “C’est une honte”, me dit Fatiha, “c’est l’humanité qui est massacrée et l’Occident voit mais ne fait rien. On tue les enfants. Je suis incapable de rester sans rien dire, je pleure chaque jour car je ne peux rien faire, alors quand il y en a qui prennent le bateau, la moindre des choses est de sortir et de crier ma colère”. Ce bateau, raillé dans les médias traditionnels (Caroline Fourest faisait par exemple une “blague” sur TF1: “Rima et Greta sont dans un bateau…”), est “un exemple de courage et d’action politique”, réfléchit Camille.

C’est l’humanité qui est massacrée.

À l’heure où l’armée israélienne bombarde les rares points d’aide humanitaire, “c’est libérateur de partager ces moments-là : être seul dans des périodes aussi atroces, c’est dur. Être ensemble ça fait du bien et c’est comme cela que l’on arrivera à faire changer les choses” raconte Morjane. 

Je rencontre ensuite un membre de l’UJFP, l’Union Juive Française pour la Paix, drapeau sur l’épaule et tracts à la main. Venant d’une famille juive assassinée par les nazis durant la Shoah, il est horrifié par ce qu’il se passe à Gaza. “Toute la politique génocidaire d’Israël est faite au nom des juifs du monde entier, et moi je ne veux pas que cela soit fait en mon nom, c’est hors de question !” C’est à ce moment-là qu’un homme d’une quarantaine d’années nous interpelle : “c’est une honte ce que vous faites là, ce rassemblement. Arrêtez ça !”. Il arrache violemment l’un des papiers (un tract intitulé Le sionisme rend-il fou ?) et part en criant “Vive Israël !”. 

Jean-Guy explique : “Nous sommes pour une égalité totale des droits dans toute cette région et contre une séparation des juifs et des Palestiniens. Cela entretient la ségrégation. Il y a une question importante qui est le droit au retour des réfugiés palestiniens. Il est inscrit dans le droit international (résolution 194 de l’ONU).”

L’Union Juive Française pour la Paix est une association juive laïque, universaliste et anti-sioniste fondée en 1994. Aujourd’hui, elle compte de nombreux membres et réalise diverses actions, notamment sur les territoires palestiniens avec la construction d’un château d’eau – depuis détruit par Israël – et en France lors de manifestations. 

20h. Des militant.e.s accrochent à la statue des gilets de sauvetage, en référence aux membres du Madleen pris en otage illégalement par l’armée israélienne. Parmi eux, il y a Aloïs, qui se désole de la situation : “on est en 2025, toutes les communautés, cultures et religions méritent d’exister ; c’est la diversité qui fait le plus beau, en France et dans le monde”. Quelques député.e.s arrivent, on reconnaît Eric Coquerel ou Manon Aubry. Pour l’instant, leur camarade Rima Hassan est toujours détenue dans les geôles israéliennes. Dans quelques heures, elle sera enfin libérée. 

Je rejoins la bouche de métro en entendant les manifestant.e.s scander “Israël : assassin, Macron : complice”. 

Fin de journée.

14 juin 2025. 13h30. J’arrive en métro place de la République. Les stands des associations s’installent, l’estrade des prises de paroles aussi. Après la nuit orageuse d’occupation, je vais prendre des nouvelles des organisateur.ice.s de campement : “rien ne nous arrêtera, ni l’orage ni les forces de l’ordre !” clame une jeune militante. 

La foule est immense, des dizaines de milliers de personnes sont rassemblées pour dire stop au génocide. Nous sommes tous.tes autour de l’estrade en attendant les prises de paroles. Deux jeunes militant.e.s animent, chauffent la foule et annoncent que trois membres de l’équipage du Madleen viendront prendre la parole. 

14h30. Rima Hassan prend la parole. Elle remercie vivement tous ses soutiens et rappelle les différents enjeux de la manifestation. L’eurodéputée rappelle qu’elle ne veut pas être traitée en héroïne, comme elle le disait à nos confrères de Médiapart plus tôt dans la journée : “Je n’ai envie ni d’être une icône ni d’être un monstre”. L’insoumise répond brièvement aux critiques en précisant que la Flottille de la Liberté est avant tout “une action citoyenne en réponse à un vide politique” et que tous ceux qui les ont critiqués  “ont simplement révélé leur passivité, leur inaction voire leur complicité”.

Ils ont simplement révélé leur passivité, leur inaction voire leur complicité.

Rima Hassan prend la parole place de la République. Capucine Bastien Schmit.

C’est ensuite au tour de Baptiste André, le médecin du Madleen, de prendre la parole. Il rappelle que l’état de santé de l’un des détenus, Pascal Maurieras, est critique et qu’il a besoin d’être mis en sécurité au plus vite. Comme Reva Viard, qui parlera par la suite, il remercie tout cet élan de mobilisation à la suite de son arrestation. Une membre de la Freedom Flotilla Coalition, Caoimhe Butterly, s’est aussi exprimée, pour dire à nouveau l’horreur de ce qu’il se passe à Gaza. Si Rima Hassan l’avait annoncé dès son retour, tous.tes ont tenu à le rappeler : les prochains bateaux de la Freedom Flotilla sont prêts à partir, par centaines, en qualité de “représentants de l’humanité” assure la coordinatrice du mouvement humanitaire. 

De gauche à droite : Baptiste André, Rima Hassan, Reva Viard et Caoimhe Butterly. Capucine Bastien Schmit.

Je pars de République le cœur serré : quand je rentrerai chez moi, les bombes continueront de tomber, et les Gazaoui.e.s seront toujours affamé.e.s.

Par Capucine Bastien-Schmit

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