Dr. Véronique Lefebvre des Noëttes : la psychiatre qui révolutionne notre perception des personnes âgées

Cette semaine, Combat vous présente les invitées de notre conférence sur l’âgisme qui aura lieu le 20 septembre au Ground Control. Aujourd’hui, rencontre avec la psychiatre Véronique Lefebvre des Noëttes.

Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours et vos combats ? 

Je suis le docteur Véronique Lefebvre des Noëttes, j’ai 70 ans, et je suis à la fois pédopsychiatre et gérontopsychiatre. Je travaille dans un hôpital de l’assistance publique depuis 42 ans. Je suis la seule psychiatre pour 700 lits de personnes âgées. Je ne m’occupe donc que de personnes âgées qui ont des troubles cognitifs. J’ai fait une thèse de philosophie que j’ai soutenue quand j’avais 62 ans sur le sentiment d’exister des malades d’Alzheimer. L’objectif était de montrer que ces personnes n’étaient pas réduites à leur déficit, mais qu’elles avaient encore des petites capacités que l’on pouvait solliciter. Depuis que j’ai écrit cette thèse, j’écris de nombreux livres sur le vieillissement, sur les malades d’Alzheimer, sur la force de la caresse – car je voudrais réhabiliter ce soin auprès des plus vulnérables – et sur le sommeil des personnes âgées.

Quelles étaient vos conclusions vis-à-vis du sentiment d’exister des malades d’Alzheimer ? 

Philosopher, disait Gilles Deleuze, c’est inventer des concepts. J’ai donc inventé deux concepts. Le premier était une ontologie de la finitude, une ontologie des limites des personnes âgées qui sont à la fois vivantes mais enterrées par la société. Le deuxième concept, c’est l’éthique des petites perceptions. Cela vient de Leibniz, un philosophe du 18ème  siècle, qui a montré que les malades d’Alzheimer, ou tout être vivant malade, pourraient avoir des moments, par éclipse, de conscience. Parfois, on perçoit un malade d’Alzheimer comme une espèce de tas, une bûche, et pas une personne. Quand je m’en aperçois et que je vais vers elle, je vois qu’il y a une personne vivante qui est tout à fait capable de me parler d’elle. Même si elle confond les dates, ce n’est pas grave. On peut l’interroger sur ses choix, sur ce qu’elle vivait. Les malades d’Alzheimer perdent en général cinquante ans de leur vie en termes de mémoire biographique. Ils ne se reconnaissent donc uniquement quand ils sont enfants. Cependant, ce n’est pas pour autant qu’ils n’ont rien à raconter de leur vie. Quand on connaît la vie d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, on peut tout à fait remettre du sens dans ce qu’ils vivent maintenant. J’ai recueilli leurs mots et j’ai compris qu’ils étaient tout à fait en capacité de reconnaître les sept émotions de base de Paul Ekman, alors qu’ils ne reconnaissaient pas les visages familiers. Je leur ai aussi fait dessiner un dessin d’eux-mêmes, pour voir comment ils se percevaient. Ce sont souvent des dessins d’enfants perdus.

Il faut être dans une juste présence, mais pas dans une juste distance.

Est-ce qu’on appelle l’âgisme ? 

Oui, complètement. Notre société a un regard tout à fait âgiste sur les personnes âgées, en particulier chez les femmes, où il y a un champ lexical qui est tout à fait délétère, c’est-à-dire que ce sont des “vieilles peaux ». À partir du moment où elles ne sont plus en capacité de donner des enfants à la société, elles ne servent à rien. La société dit que ce sont des “sorcières”, elles sont “moches”, ce sont des “vieux raisins de Corinthe”. À l’inverse, quand les hommes vieillissent, ce sont de bons vieillards. Ils ont du charme. Jamais on ne dira ça d’une femme âgée. 

La société est âgiste car les personnes âgées nous rappellent notre finitude. Personne ne se projette dans l’avenir d’une personne âgée démente dans un hôpital gériatrique. C’est humain. 

Cependant, la formation réactionnelle n’est pas la bonne. Je veux montrer que c’est magnifique de vieillir, et qu’il y a toute une transmission que l’on peut faire, et ce témoignage d’une vie qui ne doit pas être balayée du fait de l’âge.

On peut également voir cette perception âgiste qu’a la société avec, par exemple, le traitement des personnes âgées en EHPAD, notamment avec Les Fossoyeurs, le livre de Victor Castanet publié en 2022.  

Oui, c’est tout à fait épouvantable, et c’est toujours d’actualité. 

C’est un problème politique, puisque nos politiques n’ont pas pris de problèmes à bras-le-corps, ni de la gériatrie, ni de la psychiatrie, et encore moins des EHPAD. La plupart des EHPAD sont déficitaires. L’argent sert à avoir du personnel. Lorsque vous êtes déficitaire, vous n’avez pas d’argent. On devient maltraitant, parce que la société en elle-même est maltraitante.

Qu’entendez-vous par là ?

Je vais en revenir à l’écosystème dans lequel on vit, que ce soit à Paris ou en banlieue parisienne, ou même maintenant dans les déserts médicaux. Vous n’avez pas accès aux soins pour les personnes âgées. De plus, très peu d’infrastructures de transports sont adaptées aux personnes en situation de handicap. Les personnes âgées sont donc confinées chez elles. 800 000 personnes âgées qui ont des maladies chroniques, de l’hypertension artérielle, le diabète ou un cancer n’ont pas de médecin généraliste. C’est tout à fait scandaleux. On ne s’émeut pas de ça, et c’est triste.

Que diriez-vous de l’état de la santé mentale des personnes âgées actuellement ?

Il est très, très mauvais. Le taux de personnes âgées souffrant de dépression augmente. Par exemple, en soins de longue durée ou en EHPAD, vous avez un résident sur deux qui est dépressif et qui n’est pas traité. Les troubles anxieux, dont les troubles phobiques, sont majeurs. Dans les institutions gériatriques, il y a 45% des patient.e.s qui sont atteint de dépression contre 21% dans la population générale. De plus, le taux de suicide chez les personnes âgées est dramatiquement élevé.  Il y a une forme de fatalité qui s’est installée.

Comment lutter contre l’âgisme, contre les maltraitances à notre échelle de citoyens ? 

Témoigner, et transmettre. Il faut partager, éduquer, se renseigner. Par exemple, Les Petits Frères des pauvres ont fait une très bonne campagne sur la sexualité des personnes âgées. Il y avait des grandes affiches dans le métro avec pour sous-titres “Sexualité au grand-âge, ne nous laissons pas envahir par nos préjugés”. En effet, pour beaucoup, la personne âgée ne peut pas séduire ou n’a plus le droit au désir. C’est totalement faux. C’est une grande question d’éthique médicale. 

Il y a aussi un grand tabou autour de la ménopause avec des hommes médecins qui disent que “ce sont des problèmes de bonnes femmes et pas une maladie, donc qu’il ne faut pas s’en préoccuper”. Il faut lutter pour changer cela.

Par Capucine Bastien-Schmit

Pour retrouver Véronique Lefèbvre des Noëttes :

Véronique Lefebvre des Noëttes, Vieillir n’est pas un crime. Pour en finir avec l’âgisme. Ed. du Rocher, 288p, 2021, par ici

Véronique Lefebvre des Noëttes, La force de la caresse. Ed. du Rocher, 200p, 2022, par ici

Véronique Lefebvre des Noëttes, Bonne nuit, bonne santé! Ed. du Rocher, 200p, 2025, par ici

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